Ornifle - qui signe Ornifle tout court mais qui s'appelle en r?alit? Ornifle de Saint-Oignon, son p?re ?tait colonel et comte - est ? parolier ?. Son ami Machetu, qui a trois th??tres ? Paris en plus d'une grosse affaire de ferraille ? Saint-Ouen, pr?tend qu'il est marchand de paroles. Sa secr?taire, l'ingrate Mlle Supo (qui l'aime en silence et sans espoir depuis dix ans et qui est, en plus, la voix de sa conscience) pr?tend qu'il est po?te.
C'est d'ailleurs parce qu'elle avait lu ? vingt ans les premiers po?mes d'Ornifle dans une biblioth?que de province qu'elle est venue se proposer ? lui comme secr?taire, se jugeant trop laide pour ?tre sa muse.
Mais Ornifle, qui ne se sentait que du talent, et qui pense qu'un po?te de talent ce n'est pas grand-chose, a tr?s vite renonc? ? ce qu'on appelle la litt?rature et il s'est mis ? ?crire des couplets pour les revues du Casino de Paris, sous les reproches amers de Mlle Supo qui esp?re toujours qu'il redeviendra le po?te qu'elle a admir? jeune fille. C'est qu'Ornifle a d?cid? que la vie ne valait pas la peine qu'on se donnait habituellement pour elle et qu'elle avait ? ?tre v?cue tout simplement. Ornifle est un homme de plaisir rigoureux.
Sa rigueur l'amenant ? ne jamais tricher avec lui-m?me, sa route est naturellement parsem?e de victime. Quand la pi?ce proprement dite d?bute, assez tard dans le deuxi?me acte puisqu'il s'agit d'une com?die-portrait, nous apprenons qu'Ornifle va avoir un enfant d'une de ses belles amies qu'il vient justement d'abandonner : une certaine Clorinde.
C'est sa propre femme, la comtesse, la seule femme de sa vie qu'il n'a pas prise pour son plaisir, qui nous le r?v?le au cours d'une sc?ne de reproches mesur?s.
Ornifle, avec une belle libert? qui nous a un peu quitt?s depuis le XVIIIe si?cle, d?cide de faire endosser cette paternit? ? Machetu (qui ?tait amoureux en secret de Clorinde) et, dans une sc?ne particuli?rement cynique, il persuadera le malheureux d'avoir fait le d?shonneur de cette jeune fille qu'il n'a en v?rit? jamais touch?e.
Mais cet enfant (encore ? na?tre) ? peine abandonn?, on introduira un jeune homme en noir annonc? depuis le premier acte.
C'est la riposte imm?diate du Ciel.
Car le Ciel joue un r?le dans cette pi?ce. La preuve c'est qu'il y a un P?re J?suite - le P?re Dubaton - une reconnaissance - une pure jeune fille sauv?e au dernier moment - un coup de tonnerre ou quelque chose d'?quivalent et m?me un cantique qu?Ornifle - qui peut tout ?tre avec la m?me candeur - compose gentiment sous nos yeux entre deux couplets grivois.
Il y a m?me, avec une symphonie de noirs sur le fond rouge du d?cor, une autre pr?sence de plus en plus insistante dont il vaut mieux ne pas parler...
Jean ANOUILH