Antoine est un ? grand auteur dramatique ? fran?ais en 1913 - cette ?poque d?j? perdue dans la nuit des temps - du temps o? les b?tes parlaient...
Du temps o? le g?rant du Pavillon Henri IV o? Rostand, qui y d?jeunait chaque jour en famille (le ma?tre, Rosemonde, les gar?ons en culottes de velours, la gouvernante et sans doute quelque secr?taire fr?missant) s'?tant plaint un ,jour d'?tre importun? par ses admirateurs, extasi?s, ? ses Moindres coups de fourchette et ayant exig? un paravent - le g?rant atterr?, faisait confectionner dan la nuit un paravent de glaces, qui isolait le ma?tre sans le d?rober tout ? fait aux regards, pour que le culte puisse continuer... Ce que Rostand, d'ailleurs, acceptait sans sourciller, conscient de ses responsabilit?s royales...
Antoine est mort. Il ?tait parti un soir, au faite du succ?s, sans pr?venir personne, en Bavi?re, retrouver inexplicablement une vieille bonne allemande qu'il avait eu enfant. Il y a fini ses jours, croit-on, avec une jeune fille du pays, d?origine modeste, dont nous ne saurons ? peu pr?s rien, dont il s'est s?par? peu avant sa mort, dans des circonstances qui resteront myst?rieuses, avant de se tuer, accidentellement pense-t-on, seul un matin, au soleil levant, en nettoyant soit fusil de chasse.
Avant de mourir il avait convoqu? tous les personnages de sa vie ? l'ouverture de son testament : sa premi?re femme, une trag?dienne c?l?bre du Fran?ais. devenue un vieux monstre de th??tre ; sa derni?re jeune femme ; une de ses ma?tresses ; une jeune fille connue autrefois au quartier latin, qui est maintenant une vieille dame avec un grand fils (qui doit ?tre de lui) et ses amis de toujours : un ami trop l?ger, qui est aussi ion m?decin, un ami trop lourd, un ami faux-jeton, qui se trouve d'ailleurs ?tre un critique - ce qui est vraiment un peu trop facile...
Dans ce lieu insolite et inaccessible tous ces gens sont bloqu?s par une avalanche - vieux truc de th??tre de ce ma?tre du Boulevard de l'?poque - transpos? dans la r?alit? - les obligeant ? rester quarante-huit heures en face du souvenir du d?funt - et en face d'eux-m?mes... Ce qui est toujours d?sagr?able pour des parisiens.
()r, il se trouve qu'Antoine avait eu l'id?e, le jour de l'anniversaire de ses cinquante ans, il y a trois ans, d'un sujet de pi?ce. analogue, intitul?e ?galement
Cher Antoine ou l'Amour rat? et cette autre pi?ce, qui ressemble ?trangement ? la premi?re, il avait eu l'id?e de la faire jouer chez lui, pour lui seul, en Bavi?re, peu de temps avant de mourir...
C'est l? que les choses se compliquent et que se dessinent quelques arabesques th??trales sur la solitude qui n'ont d'ailleurs d'autre pr?tention, rassurez-vous, que de vous distraire un moment.
Jean ANOUILH