Des générations bourgeoises qui n'avaient jamais mis les pieds dans les coulisses ont entretenu une légende tenace sur les désordres des gens de Théâtre... Un roman moitié noir - la cigale ayant chanté tout l'été se trouva fort dépourvue... - moitié égrillard : je suis sûr qu'il y a encore des sous-préfectures où (les messieurs (pourtant raisonnables en affaires) pensent encore qu'avec une douzaine de roses et une invitation à souper dans le restaurant de la ville encore ouvert à minuit, ils ont une forte chance de lever une comédienne en tournée...
Tout cela n'est plus exactement vrai et date en fait de l'époque des
Misérables où le méticuleux Hugo, grand-père modèle et trousseur de jeunes bonnes, notait sur ses carnets de dépenses : bonnes oeuvres : deux francs - chaque fois qu'il en caressait une.
Les servantes terrorisées par le chef de famille ne sont plus que des personnages de légende et dès qu'elle s'est fait un petit nom - son ange gardien-agent (10 %) veillant jalousement à la montée de ses salaires - la cigale, la brise venue, a généralement de quoi allumer le mazout dans sa coquette villa suburbaine...
Et pourtant, cette pièce sur les désordres sentimentaux d'un homme a pour cadre le Théâtre et ses fausses maisons ou la belle intimité - c'est lui qui le dit à la première scène - fait toujours place au vide - ou les décors du bonheur s'envolent au cintre la représentation finie et où on se retrouve toujours finalement seul sur le plateau nu...
Je crois que la morale à en tirer - si on ne s'embrouille pas trop, en route, dans le temps qu'on remonte et descend au cours du spectacle avec la même désinvolture apparente que les décors - c'est que le Théâtre, c'est la vie comme elle est. Les décors des autres sous leurs apparences ne sont pas plus stables que les notres...
Ces jeux de miroirs, ces embrouillaminis, ces entrées et ces sorties inattendues, dont vous venez vous distraire - croyant vous être immunisés en payant votre place de " spectateur " si c'était aussi
votre vie ?
Notre seul avantage - et je bénis personnellement le ciel tous les jours de me l'avoir donné - c'est de savoir jouer avec ces apparences, ces mensonges répétés, ces incertitudes et ces désordres... On ne souffre pas moins - mais notre art étant l'organisation ultérieure de la souffrance, lui enlève peut-être une part de son venin.
C'est en cela, sans doute que nous sommes
autres vaguement tricheurs et que les curés du temps de Molière, je l'ai toujours pensé, avaient raison de nous excommunier.
Jean ANOUILH