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À Jean-Denis Malclès
par Jean Anouilh

Jean-Denis Malclès et Jean Anouilh
Jean-Denis Malclès et Jean Anouilh
(photo DR)

Le portrait d'un peintre ... quelle tentation ! Il semblerait que c'est enfin le moment de se venger ... Nous aussi, nous savons faire « ressemblant » comme ils disent...

Mais le moyen de se venger de MALCLÈS ?

Vous demandez à ce qu'on appelle un décorateur en vogue de vous faire un décor et des costumes et vous voyez arriver chez vous un garçon silencieux et modeste qui tire de son carton de quatre-sous les doigts tachés d'encre et l'incertitude des mauvais élèves dans ses gestes, les plus ravissantes merveilles que vous aviez rêvées.

Vous donnez votre pièces à lire à MALCLÈS et vous savez bien, depuis toujours, que ce lieu où vous n'avez été qu'une nuit, en cachette, est indescriptible : ce n'est pas parce que vous direz qu'il y avait une porte à gauche et sans doute un escalier au fond - même si vous ajoutez qu'il vous semblait bien que les tentures étaient rouges que cela risque de rendre les choses plus nettes.

MALCLÈS lit la pièce et il faut croire qu'il avait fait le voyage la même nuit, à votre insu, il revient avec un dessin qui est la reproduction scrupuleusement exacte de ce lieu où vous n'êtes vous-même allé qu'une fois et où vous ne sauriez plus conduire personne.

Le miracle pourrait en rester là, quatre petites touches de gouache sur un papier, cela s'apparente assez bien, en somme, aux petits signes cabalistiques de votre stylo glissant trop vite sur le papier, la nuit du voyage...

Mais MALCLÈS a une autre vertu, la plus grande des vrais décorateurs de théâtre. Il convoque un beau jour quelques machinistes moustachus qui ont dû faire des grèves héroïques sous Fallières, un vieux monsieur chauve et rêveur en blouse blanche, dont les pinceaux sont plus gros que les siens.

Il s'enferme avec eux, on entend beaucoup de coups de marteaux et la terrasse d'Elseneur, la salle basse où Lady Macbeth a vu la tache de sang dans sa main, la promenade aux arbres bien sages où Arnolphe apprend que le petit chat est mort sont soudain là, aussi improvisés que sur le dessin - mais bien solides - avec toutes les portes à l'endroit qu'il faut et les escaliers praticables.

MALCLÈS rend les rêves solides. C'est un extraordinaire talent, bien rassurant pour les poètes. Lorsqu'il est passé, on peut voir et toucher et eux, ils peuvent dire « vous voyez bien que c'était vrai ! »

Et chaque fois que le monde arrive à croire un poète, il évite quelque énorme bêtise.

Merci MALCLÈS

Jean ANOUILH


L' Alouette de Jean Anouilh
Affiche de Jean-Denis Malclès
Collections A.R.T.

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