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Jean-Marie Serreau
1915 - 1973


Jean-Marie Serreau
Jean-Marie Serreau
Béatrice du Congo - Avignon 1971

(photo DR)
Collection A.R.T.

Hommage : En 1973, âgé seulement de 58 ans,
Jean-Marie Serreau nous quittait

par Pierre Laville
avec son aimable autorisation
(Acteurs n°13 - mai 1983)

« Brecht, Beckett, Genet, Adamov, Ionesco, Vinaver, Dubillard, Duras, Frisch, Césaire, Kateb : les plus grands noms du théâtre moderne. Et j'en oublie. Jean-Marie Serreau les a tous joués, révélés. Le premier, souvent ; à leur commencement, toujours. Avec la plus grande simplicité, la meilleure évidence, sur manuscrit, sur commande. D'instinct et avec une exacte lucidité. En avance sur tout, sur tous. Prodigieux.

Plus de quarante mises en scène en vingt-cinq ans. Combien au juste ? Il ne se souciait pas de s'en souvenir. Aucun sens du calcul, de l'archive. Seul le présent, l'avenir l'intéressaient.

La joie, la jubilation, l'exaltation de la vie : il possédait ces dons les plus rares.

Il fut un homme libre, libre de pensée et d'action. On le lui fit payer cher, jusqu'à la pauvreté (qui l'entendit se plaindre ?), jusqu'à devoir se soumettre à des conditions de travail injustes qui l'ont empêché souvent de réaliser ses projets, « donnant » des pièces qu'il avait mises au monde, interrompant des répétitions, créant avec des moyens dérisoires.

Son très exceptionnel talent de metteur en scène, cette façon d'assumer la création dans son entier, ce sens évident de l'espace et de l'architecture scéniques sans cesse approfondi, apuré, exemplaire. Et ses recherches, ses explorations multiples.

Il reste un exemple, un modèle. Parmi nous. »

P. L.

Barrage contre le Pacifique de Geneviève Serreau d'après Marguerite Duras
Barrage contre le Pacifique de Geneviève Serreau d'après Marguerite Duras - 1960
Collection A.R.T.

 

Jean-Marie Serreau
Jean-Marie Serreau à la Martinique - 1972
(photo Betty Rafaëlli)
Collection A.R.T.

Inventaire du Fonds Jean-Marie Serreau au format PDF
s'ouvrira dans un nouvel onglet

 

Le  Theâtre de Babylone

par Geneviève Latour
( Geneviève Latour fut, entre septembre et novembre 1954, la secrétaire et administratrice de Jean-Marie Serreau jusqu'à la fermeture du Babylone )

Je veux présenter des pièces qui donnent à rire, des  œuvres dramatiques qui donnent le goût de la liberté et entrainent au combat... Nous jouerons des œuvres qui n’ont peut-être pas une grande carrière commerciale devant elles, mais qu’il faut faire connaître

Jean-Marie Serreau 1

En 1951, Jean-Marie Serreau rêvait de créer une « communauté de travail » réunissant les auteurs, metteurs en scène et comédiens qui gravitaient autour des petites salles des théâtres  d’avant-garde : le Poche, les Noctambules,  la Huchette et  le Quartier Latin.

À l’intérieur d’une cour d’immeuble, au 38 boulevard Raspail dans le VIIème arrondissement de Paris, il découvre un local disponible. Il  s’agit de la salle de réunions d’un journal en faillite, Le Sillon, créé par Marc Sangnier, fondateur des Auberges de la Jeunesse. Le fils de ce dernier vend le bail des lieux, salle et préau, à Jean-Marie.

Architecte de formation, celui-ci dessine les plans d’un théâtre, aidé  en cela par le scénographe Pierre Sonrel. Un maçon anonyme que l’aventure passionne assure le gros œuvre gratuitement. Le décorateur de théâtre François Ganeau se charge de la partie esthétique. Une scène de six mètres d’ouverture sur cinq mètre de profondeur, de petits dégagements, une fosse d’orchestre, une salle rouge et or de deux cent vingt-trois places, deux loges pour les artistes, sont mis en travaux ainsi qu’un foyer que Jean-Marie Serreau se propose d’utiliser comme galerie de peinture. Le théâtre sera géré par une coopérative ouvrière qui comprendra, groupés autour de Jean-Marie, deux comédiennes Eléonore Hirt, future co-directrice, et Renée Cosima, un acteur Philippe Grenier, un auteur dramatique, Maurice Caseneuve, un compositeur de musique Maurice Jarre, un comptable Claude Morel et un administrateur Max Barrault qui,  à l’instar de son frère Jean-Louis, est un ancien disciple de  Charles Dullin.

Ni l’État, ni la Ville de Paris n’accorderont  jamais un sou de subvention au théâtre de Babylone. Ce sera le « Club des Amis » qui aidera financièrement l'entreprise.

La première manifestation du théâtre sera  consacrée au  vernissage d’une exposition réunissant peintres et comédiens autour des œuvres de Manessier, Hartung et Nicolas de Staël.

Entre juin 1952 et septembre 1954  Jean-Marie Serreau  présentera quinze spectacles. Parmi ceux-ci sont mises en scène des œuvres inédites en France : Mademoiselle Julie et La Maison Brulée signées   d’August Strinberg,  et L’incendie à l’Opéra de  Georges  Kaiser, toutes trois adaptées par Boris Vian.

Si Camille me voyait de Roland Dubillard
Si Camille me voyait de Roland Dubillard
Décor de Jacques Noël

Collection A.R.T.

En outre, furent  affichées : Amédée ou Comment s’en débarrasser d’Eugène Ionesco, Tous contre Tous d’Arthur Adamov et Si Camille me voyait, première comédie de Roland Dubillard.  Mieux encore, c'est au théâtre de Babylone que fut créée, sans aucune publicité, le 3 janvier 1953, En attendant Godot dans une mise en scène de Roger Blin. L'auteur Samuel Beckett, presqu’un anonyme, n'était alors  connu que d’un très petit nombre d'intellectuels. Tous les directeurs de théâtres auxquels avait été présenté l’ouvrage l’avaient violemment refusé. Seul Jean-Marie Serreau s'enthousiasma à la lecture du manuscrit...

En Attendant Godot de Samuel Beckett
En Attendant Godot de Samuel Beckett
Décor de Sergio Gerstein
Maquette reconstituée
Collection A.R.T.

Supportant mal que son théâtre soit fermé pendant la saison d'été,  Jean-Marie Serreau inventa L’Estival de la Rive Gauche qui réunissait sur la même affiche  des œuvres de Jacques Audiberti, d'Eugène Ionesco, Arthur Adamov, Bertold Brecht, Roland Dubillard, etc... Il s’agissait de reprises de pièce qui avaient été  présentées au cours de l’année dans les autres théâtres d’avant-garde de la rive gauche.

En dépit de tout ce foisonnement créatif, en novembre 1954, après que l’électricité et le téléphone furent coupés, que le problème des cachets aux comédiens fut devenu insoluble et la situation intolérable, Jean-Marie Serreau  se vit dans l’obligation d’abandonner les  lieux qui ne rouvriront plus jamais leurs portes en tant que théâtre et deviendront un centre d’alphabétisation pour étrangers émigrés.

G. L.

1 Les Lettres Nouvelles Jean-Marie Serreau,  23 mai 1952

Programation des Estivales du Théâtre d'Aujourd'hui
Programation des Estivales du Théâtre d'Aujourd'hui
Paris-Rive Gauche - juillet 1954

(photo DR)

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