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Myriam Feune de Colombi

Directrice du Théâtre Montparnasse, Comédienne

(1940-2021)
« L
e théâtre doit être une lumière pour l’intelligence » ne cessait de répéter Romain Rolland, le parcours et les choix de Myriam Feune de Colombi illustrent avec éclat cette volonté salutaire.
A peine sortie du Conservatoire – promotion de 1960 – elle joue La Fleur des pois (Hédwige) d’Édouard Bourdet dirigée par Jean Meyer au théâtre du Palais-Royal puis Le Dialogue des Carmélites (sœur Valentine) de Bernanos monté par Marcelle Tassencourt au théâtre Montansier à Versailles avant d’intégrer, l’année suivante, la Comédie- Française sous l’égide bienveillante de Maurice Escande, premier comédien à devenir administrateur de cette illustre Maison. La toute jeune pensionnaire se fond avec passion dans cette troupe où brillent déjà Jacques Charon, Micheline Boudet, Annie Ducaux, Jean Piat ou Robert Hirsch. Elle s’imprègne du lieu, du plateau  aux cintres, croise avec émerveillement les portraits de Rachel ou de Mademoiselle Mars et n’oublie jamais de saluer le buste du patron, Molière.
Pendant onze ans, elle prêtera sa sensibilité aux plus grands metteurs en scène jouant sous la direction de Jean Meyer, de Jacques Charon, de Maurice Escande, de Raymond Rouleau, de Jacques Mauclair, de Louis Seigner ou de Pierre Dux ; un répertoire pouvant se lire comme l’inventaire contrasté d’un cabinet de curiosités : Corneille et Molière, Le Fil à la patte de Feydeau, Étienne (Thérèse Vattier) de Jacques Deval, Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, Le Songe (Madame) d’August Strinberg, Supplément au voyage de Cook (Amamoura) de Jean Giraudoux, Cyrano de Bergerac (Roxane ou Isabelle) de Rostand ou L’Impromptu de Versailles dans lequel elle figure avec finesse mademoiselle Du Parc aimée par Molière et Racine, célébrée par Corneille.

"Étienne" programme original - Collections A.R.T.

Si sa prédilection pour la scène ne s’est jamais démentie, elle fit quelques incursions devant la caméra tournant pour le cinéma et la télévision sous le regard avisé d’Henri Verneuil – Le Casse 1971 – avec Jean-Paul Belmondo et Omar Sharif ou de Jean Dréville.  Mais toujours le théâtre la rappelle… Après avoir quitté le Français, elle participe notamment à la nouvelle distribution du Sexe faible monté en 1974 par Jean-Laurent Cochet au théâtre de l’Athénée – rôle de Christina – puis participe, une nouvelle fois, à cette pièce de Bourdet en incarnant toujours le personnage Christina sous la férule de Jean Meyer au théâtre des Célestins à Lyon (1977).

Les temps qui s’annoncent inaugurent une nouvelle ère, celle de la direction du théâtre Montparnasse. En 1984, Jean-Louis Vilgrain, brillant industriel pétri de culture, fait l’acquisition du théâtre Montparnasse dont il confie naturellement la direction à son épouse, Myriam Feune de Colombi avec qui il partage une même ferveur pour cette salle qui fut également dirigée par Gaston Baty et Marguerite Jamois, extraordinaire Phèdre consumée par les atermoiements amoureux en 1940.

Jean-Louis Villegrain et Myriam de Colombi (photo DR)

Après les ombres tutélaires du Français, celles du théâtre Montparnasse accueilleront avec un murmure approbateur cette nouvelle directrice pressentant déjà qu’elle se dévouera entièrement à ce lieu baigné d’Histoire. Dès son arrivée, elle fait rénover la façade, cariatides et mascarons retrouvent leur lustre d’antan, privilégie le confort du public en installant un bar-restaurant, veillant à tout, de la salle aux coulisses, des décors aux moindres détails des costumes, de la lumière à la qualité de l’accueil. Éternelle baladeuse – nom également donné à cette lampe constamment allumée qui ne quitte le plateau que le temps de la représentation – elle arpente son théâtre sans répit éclairant de son expertise le moindre recoin. Son bureau croule sous les projets et les manuscrits, en 1987 elle présente La Maison du lac d’Ernest Thompson avec Jean Marais et Edwige Feullière suivra Le Secret d’Henri Bernstein avec Any Duperey, Fabrice Luchini et Pierre Vaneck (1988) puis Le Souper de Jean-Claude Brisville avec Claude Rich et Claude Brasseur (1989).

Le programme de cette fin de décennie témoigne déjà de la constance avec laquelle le théâtre, encore aujourd’hui, privilégie des textes multiples mêlant auteurs contemporains et classiques. Pour Myriam Feune de Colombi, il s’agit de dénicher un bon texte puis le bon metteur en scène et enfin le bon acteur et d’organiser des mariages mêmes provisoires. Mais les mariages aussi provisoires soient-ils nécessitent de la patience pour réunir les protagonistes de la cérémonie alors il faut attendre que Claude Brasseur et Michel Bouquet soient disponibles en même temps afin de les réunir dans A Tort et à Raison de Ronald Harwood (1999) … et donner du temps à La Boutique au coin de la rue de Miklos Laszlo (2001) avec Florence Pernel et Samuel Labarthe, dont les débuts furent difficiles au contraire de L’Évangile selon Pilate, adaptation faite par Eric-Emmanuel Schmitt de son roman, avec Jacques Weber dans le rôle éponyme en 2004. Si le texte occupe une place prépondérante dans les choix de Myriam Feune de Colombi, elle sait aussi combien la qualité de la distribution et la rigueur du metteur en scène participent d’un spectacle réussi. En 2009, Le Diable rouge d’Antoine Rault avec Claude Rich et Geneviève Casile synthétise ce parti-pris revendiqué : Christophe Lidon, le metteur en scène, respecta le texte à la virgule près mais travailla de concert avec les comédiens à une représentation plus moderne  débarrassant le texte de certaines traditions qui l’alourdissent.

En 2018, le théâtre Montparnasse affiche une pièce de Stephan Zweig – Légende d’une vie – mise en scène par Christophe Lidon avec Macha Méril, Natalie Dessay, Bernard Alane et Gaël Giraudeau ; un auteur viennois, une époque révolue qui par un jeu de miroir maîtrisé nous confronte à la nôtre. Une œuvre forte donc mais le théâtre, aussi exigeant soit-il, doit rester un bonheur – ne jamais sombrer dans le théâtre-leçon ou pire encore le théâtre- punition – pour reprendre le souhait de Myriam de Colombi. Ce bonheur du théâtre elle l’a partagé également avec ses pairs en participant activement à la cérémonie des Molières ou en siégeant au sein du Jury du Prix du Brigadier.

Séverine Mabille

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