Retour

Le « Cabaret Théâtre » 1945-1965

de Geneviève LATOUR - Ed. Paris Bibliothèques, 1996

Retour

imprimerie F. Paillart à Abbeville

Caves, bistrots, restaurants, jazz, poésie, sketches, chansons…
en couverture : illustration de Jean-Denis Malclès

Avant-Propos

Après avoir traité le théâtre d’art et d’essai de l’après-guerre ( Petites scènes… Grand Théâtre – 1986), puis le théâtre d’idées (Le Théâtre, reflet de la IVème République, événements, politique, société, idées – 1995), Geneviève Latour poursuit imperturbablement son enquête sur les spectacles de cette époque dont elle nous fait découvrir ou dont elle nous rappelle l’extraordinaire diversité et l’incroyable richesse.

Il s’agit cette fois du Cabaret-Théâtre, notion qu’il faut préciser, car les deux termes associés excluent précisément tout ce qui est « cabaret », au sens de boîte de nuit, et tout ce qui est « théâtre » proprement dit : ils recouvrent la plus grande variété de formes de spectacles, donnés dans les lieux les plus disparates. Mais du jazz au théâtre, de la pantomime à la poésie, des jongleurs aux illusionnistes, de la danse aux sketches et à la chanson, des caves aux bistrots, des garages aux restaurants ou aux anciens cabarets de la rive droite, c’est toujours le même esprit qui souffle, la même volonté frénétique de vivre, de faire la fête, de s’amuser, de rire ou de s’émouvoir, de se réunir après cinq années de guerre et d’occupation. Ce sont d’ailleurs les mêmes directeurs, auteurs, décorateurs, acteurs, musiciens, chanteurs que l’on retrouve à travers Paris d’un lieu à l’autre, au fil de la fantaisie, du hasard, des rencontres, des amitiés, des engagements et des cachets.

L’existence d’un public abondant, passionné et assidu a favorisé l’ouverture d’un grand nombre de lieux, dans lesquels les jeunes artistes trouvaient l’occasion de se faire entendre, à la plus dure des écoles, car dans un endroit où l’on mange, où l’on boit, où l’on parle, où l’on danse, il faut savoir forcer l’attention du public. On sera étonné de voir, en lisant le présent ouvrage, combien de gloires actuelles de la scène ou de la chanson ont fait leurs premières armes dans les cabarets. Il y avait le plus souvent peu d’argent, de maigres cachets, mais une grande liberté et une grande créativité. Au temps de « la vache enragée », la vie était une fête.

Au début des années 60, l’âge d’or de ces cabarets se termine. Le public se raréfie ; avec la concurrence de la radio, de la télévision, du disque, de la voiture, de la résidence secondaire et le succès de la chanson yé-yé au détriment de la chanson poétique, engagée ou révoltée, on s’achemine vers l’uniformisation. D’autre part, les affaires deviennent difficiles : exigences financières des interprètes, pression fiscale, droits des auteurs, compositeurs et interprètes de musique, contrôles policiers. Les cabarets ferment leurs portes, même si certains tiennent bon et existent encore, même si La Vieille Grille ouvre en 1960…

L’esprit de Saint-Germain des Prés, triomphant pendant quinze ans, meurt au début des années 1960, et fait place à  une autre civilisation.

Déjà, lors d’expositions consacrées aux décorateurs Jean-Denis Malclès et Jacques Noël, nous avions eu l’occasion de découvrir l’extraordinaire invention et fantaisie qui leur avait été nécessaire pour créer des décors sur les scènes minuscules de La Rose Rouge, de La Fontaine des 4 saisons ou Chez Gilles. L’un et l’autre nous avaient dit combien cette expérience les avait éblouis et combien elle avait été marquante dans leur évolution. L’idée d’une exposition sur le cabaret-théâtre nous était alors venue, mais nous l’avions repoussée car la documentation paraissait bien dispersée sinon disparue, et la bibliographie sommaire : on ne disposait guère, il y a quelques années, que du livre de Marc Chevalier sur L’Écluse. Le Théâtre des Trois Baudets par Alain Poulanges et Janine Marc-Pezet n’est paru qu’en 1994. À cela s’ajoutaient des mémoires et souvenirs, des biographies d’artistes, quelques guides et Le Manuel de Saint-Germain des Prés de Boris Vian.

La reprise du projet doit beaucoup à l’intérêt, à l’enthousiasme et aux encouragements de quelques personnes : Pierre Marcabru d’abord, Jean-Denis Malclès toujours, Hubert Deschamps, Paul Tourenne, l’un des Frères Jacques, qui est aussi un excellent photographe et un véritable archiviste et qui n’a cessé de nous aider pendant toute la préparation de ce livre et de l’exposition, Simone Chobillon, aussi, qui a rassemblé une très importante documentation. Enfin l’intérêt a fait boule de neige, quand Geneviève Latour a entrepris de contacter tous les anciens directeurs, acteurs, chanteurs, décorateurs, auteurs, – les personnes qu’elle voyait lui permettant successivement d’en rencontrer d’autres. Et comment ne pas mentionner ici particulièrement Marc Chevalier et Jacques Canetti ?

Cette enquête, menée après le dépouillement systématique de la bibliographie de La Semaine de Paris et des dossiers – assez maigres – de la Bibliothèque historique, de l’Association de la Régie Théâtrale et de la Bibliothèque des Arts du Spectacle, a constitué la partie la plus gratifiante du travail. C’est elle qui a fourni l’essentiel de ce qui est présenté, mais aussi les récits de tous ceux qui se souviennent de cette autre « belle époque » constituent la trame et donnent le ton des notices de ce livre.

(…) C’est une véritable révolution des spectacles qui s’opéra en quinze ans. Sans en reprendre ici tous les aspects – on les retrouvera dans le livre – je ferai une place particulière au théâtre si cher à Geneviève Latour : avec la première pièce d’André Roussin, L’Étranger au Théâtre, avec Fantômas de Desnos, avec Un Mot pour un autre de Jean Tardieu, avec toutes les parodies, toutes les saynètes, les sketches, les dialogues burlesques, c’est un territoire nouveau qui s’ouvrait. Ionesco et Beckett ont reconnu tout ce qu’ils devaient au spectacle de cabaret.

Jean DÉRENS

Ancien Conservateur en chef de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris