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« Jean-Denis Malclès – Théâtres »

dialogues recueillis par Michel LENGLINEY - Ed. Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, 1989

C’est la première fois que la Bibliothèque historique de la Ville de Paris accueille une exposition rétrospective de l’œuvre d’un grand décorateur contemporain de théâtre. Je sais déjà que ce ne sera pas la dernière.

Ce n’est pas un hasard si, depuis plus de vingt ans, l’Hôtel de Lamoignon abrite l’un des fonds de documentation théâtrale les plus importants du pays après la Bibliothèque nationale, celui de la Bibliothèque de l’Association de la Régie théâtrale, qui s’est placée, depuis 1969 sous l’égide de la Ville de Paris.

Car à Paris s’animent chaque soir quelques 130 scènes. Paris est la capitale mondiale du spectacle vivant.

Que ce soit le rideau traditionnellement rouge qui se lève, ou que seule, la lumière donne vie au plateau, le premier contact du public avec l’œuvre s’effectue par la découverte du décor.
Le décorateur est l’un des maillons essentiels de l’équipe qui a oeuvré pour la présentation du spectacle, dont le point de départ est le plus souvent la seule oeuvre écrite par l’auteur, parfois incomplète, souvent provisoire (lorsqu’il s’agit de création contemporaine). Or, pour parvenir à l’aboutissement de ce rêve d’origine, il a fallu mettre en oeuvre d’autres énergies, d’autres talents, d’autres techni­ques … de la mise en scène, aux acteurs, en passant par le décorateur, sans oublier ses compléments de lumières et de son.

C’est le décorateur qui donne à la pièce, son cadre, ses limites, son atmosphère. La difficulté de sa mission réside essentiellement dans son pouvoir d’évocation d’un lieu sans « récrire la pièce » dans l’anecdote des formes et des couleurs.

Il doit faire appel à une immense culture dans le domaine de l’histoire de l’art, du costume, des styles, du folklore… Tributaire d’une scène construite et parfois mal équipée, il lui faut se montrer géomètre, architecte. Il doit savoir faire le choix des matériaux de cons­truction pour le décor, des tissus pour les costumes. Et pour couronner l’ensemble, être capable d’établir un devis, parfois bien modeste, sans pour autant renoncer à la qualité de sa maquette -préfiguration du décor final.

Jean-Denis Malclès appartient à cette race de décorateurs qui ont mis leur talent au service des auteurs, en recherchant un accord profond entre leur propre sensibilité et celle de l’œuvre qu’ils avaient à décorer.

Il a apporté, dans l’immédiat après-guerre, à un moment où le réalisme primait sur les grandes scènes parisiennes, cette vision apurée, transcendée qui dépasse largement l’anecdote … d’un salon bourgeois ou d’une forêt profonde. Je ne puis m’empêcher d’évoquer des images des pièces de Jean Anouilh qu’il illustra si bien et dont il fut l’ami de toujours. La plaine où Beckett rencontre Henri Plantagenet n’est plus telle ou telle étendue bordée d’arbres ; elle devient le lieu éternel de la reconnaissance de deux hommes perdus entre l’amitié et le devoir. Les chevaux qui les portent sont à l’image de ces caparaçons de carton pâte colorés, mais l’œil du poète, du peintre, de l’artiste, les sublimisent tellement qu’ils deviennent les cour­siers du roi d’Angleterre.

Voilà la magie, l’étonnante faculté de Jean-Denis Malclès, qui fait surgir de sa palette toutes les évocations de nos rêves.

Au-delà de l’hommage rendu à un homme et à son talent, cette exposition remplirait pleinement son but si elle attirait l’attention sur l’importance du décorateur et sur la richesse d’un patrimoine encore largement éparpillé qu’il convient de rassembler, de conserver et de communiquer.

Jean DÉRENS

Ancien Conservateur en chef de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris