Une Traviata Second Empire signée par Albert Carré
(Paris, Opéra-Comique,1903)
Compositeur : Giuseppe Verdi
par Michela Niccolai

(Michela Niccolai, musicologue, Docteur de recherche en Musicologie (Saint-Étienne/Pavie) est
actuellement chargée du travail de catalogage et identification du Fonds Bornemann au Palazzetto Bru-Zane. Elle a terminé un
contrat post-doctoral à l’Université de Montréal (OICRM, 2010-2012) avec un projet autour des écrits musicaux et sociaux de
Gustave Charpentier (en préparation chez Vrin). Elle a consacré une monographie à ce compositeur, La Dramaturgie de Gustave
Charpentier (Brepols, 2011), issue de sa thèse doctorale. Pour le même éditeur, elle a publié la première édition
critique de mise en scène lyrique : Giacomo Puccini et Albert Carré : « Madame Butterfly » à Paris (2012 ; 1er prix
‘Gouden Label’ Award 2014, Klassiek Centraal, Belgique), suivie par l'édition critique de la mise en scène de la création de Pelléas
et Mélisande de Debussy (Brepols, sous presse, printemps 2017). Elle a également été chef de projet à la Bibliothèque
historique de la Ville de Paris (Paris) pour la réalisation du nouveau catalogue des mises en scène lyriques du fonds de
l’Association de la Régie théâtrale.
Auteur de plusieurs ouvrages collectifs et de nombreux articles sur l’opéra en France et en
Italie à la fin du XIXe siècle, elle s’occupe aussi des formes de spectacle du théâtre musical léger (opérette, music-hall,
café-concert, chanson...) entre XIXe et XXe siècles.
Publications citées dans la bio :
Niccolai Michela, Giacomo Puccini et Albert Carré : « Madame Butterfly » à Paris, Turnhout, Brepols, 2012 (Mise en
scène, i), 334 p. 1er prix 'Gouden Label' Award 2014, Klassiek Centraal.
Ead., La Dramaturgie de Gustave Charpentier, Turnhout, Brepols, 2011 (Speculum Musicae, xvii), 540 p.
Ead., Debussy’s « Pelléas et Mélisande ». The Staging of Albert Carré, Turnhout, Brepols, 2017, 252 p.
Articles publiés sur le site de l’ART :
- La Jacquerie de Lalo et Coquard sur scène (Lyon, Grand Théâtre, 1895, et Paris, Opéra Comique, 1895)
- Louise de Gustave Charpentier sur la scène de l’Opéra-Comique (2 février 1900)
- Les deux Manon de Jules Massenet (Paris, Opéra-Comique 1884 et 1898)
- Une Traviata Second Empire signée par Albert Carré (Paris, Opéra-Comique,1903)
Le problème de la mise en scène de La Traviata figure
dès sa création à Venise le 6 mars 1853. Si Verdi souhaitait faire représenter son nouvel opéra avec des costumes contemporains,
cela n’était pas l’avis de l’équipe directoriale de la Fenice, ainsi que l’a démontré Julian Budden : La Traviata a donc fait ses premiers pas sur
scène avec des costumes « seicenteschi », avant de s’affirmer dans plusieurs réalisations visuelles qui puisent dans
l’imaginaire entre xviie et xviiie siècle (dans le livret original – 1852-53, imprimerie Teresa Gattei – l’intrigue se passe en
effet « autour de 1700 »).
Après la première représentation parisienne, au Théâtre Italien (6 décembre 1856) , l’opéra a été transposé à l’époque de Louis XV et a
changé de titre (Violetta) dans la traduction d’Édouard Duprez utilisée lors de la première exécution en langue française
au Théâtre Lyrique le 27 octobre 1864. C’est avec cette couleur « ancien régime » que l’opéra de Verdi rentre au répertoire de
l’Opéra-Comique vingt-deux ans plus tard (1886), tandis que la première réalisation cohérente de l’opéra de Verdi en style
Second Empire appartient à Albert Carré .
Une nouvelle mise en scène pour les cinquante ans de Violetta
Lors du cinquantenaire de La Traviata, Albert Carré décide de dépoussiérer la mise en
scène jusqu’alors imposée en costumes Louis XV. Si en effet l’opéra de Verdi souffrait encore du décalage visuel, cela n’était
pas le cas pour la pièce d’Alexandre Dumas fils dont le sujet du libretto avait été tiré : La Dame aux camélias. Dès sa
création en 1852 au Vaudeville, elle avait profité d’une mise en scène des plus respectueuses quant aux précisions géographiques
et temporelles .
Ainsi l’affirme Carré :
« À cette époque le chef-d’œuvre de Dumas se jouait, à quelques rares exceptions près, en
costumes modernes ; par contre l’ouvrage de Verdi, célèbre dans le monde entier, se passait sous Louis XV. On estimait les modes
second Empire ridicules et surannées ; une crinoline n’était introduite en scène que pour provoquer un effet comique.
J’estimai que l’époque était assez éloignée dans le temps pour avoir conquis son style et,
m’inspirant de Winterhalter ,
je reconstituai avec Bianchini, en me servant des documents que j’avais vus chez mon « parrain » Alexandre Dumas, une
présentation conforme à celle de la création de la Dame ».
Cette innovation aurait certainement eu l’agrément de Verdi, lequel n’avais pas osé l’imposer
en 1853 où, même en Louis XV, l’œuvre, jugée révolutionnaire, avait eu du mal à triompher. Elle parut opportune en 1903 et
depuis la Traviata, restée elle aussi un des ouvrages les plus représentés à la Salle Favart, n’a plus connu d’autres
atours.
Si la démarche de Carré est motivée par la recherche d’une version scénique cohérente avec
l’intrigue de l’opéra, continuant le travail déjà accompli par le metteur en scène lors de reprises célèbres – dont quelques
exemples sont fournis par Carmen et Manon en 1898
– il faut également considérer qu’elle est effectuée dans un contexte culturel particulier. Au tournant du xxe siècle on assiste
à une multiplication de figures féminines populaires qui, présentant des nouvelles caractéristiques conformes aux changements
sociaux de la population, renouent les liens avec leurs ancêtres de la première moitié du dix-neuvième siècle. Nous pensons
notamment à la « louisette », à la « mimi-pinsonnette » – issues du chef-d’œuvre lyrique de Gustave Charpentier (1900) ainsi que
de son Conservatoire populaire de Mimi Pinson (1902) – et, enfin, à la « midinette », synthèse de toutes ces physiologies
féminines qui se sont développées dans l’espace d’un siècle.
Pour mieux comprendre la mise en scène de Carré et l’insérer dans un mouvement
plus vaste de revalorisation des typologies parisiennes, il faut revenir à celle qui a inspiré le roman d’Alexandre Dumas fils,
Marie Duplessis (au siècle Alphonsine Plessis), elle-même incarnation de la figure de la « lorette ». Ce terme, rentré dans le
langage en 1840, désigne d’abord un quartier, celui autour de l’église Notre-Dame-de-Lorette dans le ixe arrondissement (dont la
construction s’achève en 1836), lieu de vie de cette nouvelle figure féminine. Théophile Gautier, en 1845, explique ainsi
l’apparition du terme :
À force d'entendre répondre "rue Notre-Dame-de-Lorette" à la question "où demeurez-vous, où
allons-nous ?" si naturelle à la fin d'un bal public, ou à la sortie d'un petit théâtre, l'idée est sans doute venue à quelque
grand philosophe, sans prétention, de transporter, par un hypallage hardi, le nom du quartier à la personne, et le mot Lorette a
été trouvé .
Nous devons à Gavarni la fixation des traits de la lorette et sa renommée tout au long des
années 1840, d’abord dans les croquis accompagnant le deuxième volume des Nouvelles à la main de Nestor Roqueplan (1841) et,
ensuite, dans les 79 gravures du Charivari entre 1841 et 1843.
Ainsi l’auteur par ses images donne à la lorette, avec les mots de Mélanie Roustan,
une silhouette, un costume, un comportement, un mode de vie, voire une éthique… […] Les
Lorettes de Gavarni constituent une peinture sociale d’une certaine condition féminine. Ces images et leurs légendes abordent
aussi bien les questions de dépendance financière et économique, que de contraception et d’éducation (celle de la lorette, avec
le thème de la lecture, et celle de ses enfants) .
Après un demi-siècle Gavarni revient à l’honneur, lors de l’organisation d’un bal masqué pour
recueillir des fonds afin d’ériger une statue à lui consacré place Saint-Georges (ixe arrondissement). La presse se charge de
soutenir cette initiative : La Vie parisienne du 29 mars 1902 se préoccupe de bien expliquer le contexte dans lequel le
bal aura lieu, ainsi que de ponctuer en images la haute valeur « métaphorique » de cet évènement. Ainsi le diverses personnages
du siècle précédent reviennent à la mode : la cocotte, la lorette, la grisette, avec leurs pendants masculins l’étudiant, le
bourgeois, l’Arthur… soulignant également l’influence de la mode années 1830-1840 sur le style vestimentaire de 1902 .

Ill. 1: Détail de la statue en hommage à Gavarni, Paris, place Saint-Georges (© Michela Niccolai, juin 2008).
En 1904 l’hommage statuaire à Gavarni est enfin commandité au sculpteur Denys Puech et
installé place Saint-Georges, reprenant les typologies parisiennes si chères au caricaturiste, parmi lesquelles « la jolie
modiste, ou "trottin", coiffée d’une capote, pelisse sur les épaules, tenant à la main sa caractéristique boite à chapeau ». Il est intéressant de
remarquer que ces deux occasions mondaines, le bal et l’inauguration de la statue de Gavarni, encadrent la reprise de La
Traviata sur les planches de la deuxième scène lyrique nationale. Quant à Carré, il s’était déjà inspiré de l’ambiance
bohème de l’artiste montmartrois lorsqu’il avait monté la création française de la vie de Bohème de Puccini (1898) :
« J’avais fait reconstituer par Jusseaume, dont ce fut une des plus grandes réussites,
Saint-Séverin avec ses ruelles tortueuses de 1830 et son café Momus dont l’auvent abritait un marchand de marrons. Là-dedans,
j’avais voulu que grouillassent les lorettes, les grisettes, les étudiants, les poètes, les bourgeois, les gardes nationaux, et
les petits métiers de l’époque, et j’avais demandé à Multzer de reconstituer les célèbres types de Gavarni » .
Revenons maintenant à la mise en scène. Le document qui relate la réalisation visuelle de la
reprise de l’opéra verdien en 1903 est un libretto de La Traviata annoté de la main de Carré [ancienne côte Mes 7 (3),
nouvelle côte 8-TMS-03045 (RES)]. Il témoigne d’une première phase créatrice, souvent accompagnée d’une deuxième réélaboration
fixée sur une partition intercalée de pages manuscrites qui présentent une version de la mise en scène plus avancée, comme il a
été le cas pour Louise (1900) et Madame Butterfly (1906).
Nous n’avons pas retrouvé à aujourd’hui de partition annotée pour La Traviata contenant la mise en scène de Carré, ni d’un
livret scénique : on peut supposer en effet que ce dernier n’a jamais été proprement réalisé car, loin de proposer une création,
Carré inscrivait son travail dans la continuité des « reprises opéra qui faisait déjà partie du répertoire du
théâtre. Bien qu’il se soit attaché à fournir une nouvelle interprétation des pages verdiennes, le metteur en scène ne pouvait
pas profiter de la publicité consacrée à une « première » représentation, comme nous le verrons sous peu parlant de la réception
dans la presse.
D’abord le titre : Carré se détache de la tradition parisienne des multiples Violetta
commencées avec la représentation au Théâtre Lyrique en 1864, et revient au titre original de La Traviata (La dévoyée)
mettant l’accent sur la catégorisation sociale de la protagoniste, celle de la lorette dont il était question il y a quelques
instants. Pour ce faire le décor abritant l’intrigue se distingue des convenances Louis XV pour arriver au plus proche du
texte : le Second Empire de Napoléon III. La volonté de Carré est évidente : plutôt qu’effectuer un « faux historique », il
propose, avec les mots d’Olga Jesurum, une « relecture actuelle » du drame .

Ill. 2: Acte I, mise en scène de Carré, 8-TMS-03045 (RES), ART (BHVP).
Si on ne peut pas prétendre à l’exhaustivité de la mise en scène dans les annotations
manuscrites de Carré sur le libretto imprimé, toutefois les plantations des actes sont extrêmement minutieuses et dévoilent une
construction fonctionnelle au drame .
Si les diverses sources avec un décor Louis XV, présentées ci-dessus montrent une alternance de scènes intérieur/extérieur
suivant les convenances théâtrales, un tout autre choix est pratiqué par Carré :
Actes
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C4900(5)
Violetta
|
8-TMS-03045
(RES), Carré
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I :
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Riche salon Louis
XV
|
Un grand salon
(style Second Empire)
|
II :
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Terrasse de
jardin Louis XV dominant sur le parc
|
« Cet acte est
joué ordinairement dans l’intérieur, la salle du rez-de-chaussée d’une maison de campagne donnant sur un jardin »
|
III :
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Salon avec un
grand rideau de fond représentant une serre garnie de plantes aquatiques très grandes
|
Grand salon
|
IV :
|
Chambre de
Violetta
|
Chambre de
Violetta avec un « grand lit à rideaux »
|
Comme il l’a déjà souligné Mercedes Viale Ferrero, La Dame aux camélias se déroulait
« toute en intérieur » pour montrer la qualité de prisonnière de Violetta : de ses humbles origines, de sa profession, des
conventions, des préjugés sociaux, de son amour pour Alfredo [Rodolphe dans le livret en français], et la seule voie de secours sera celle de s’offrir telle une victime
sacrificielle.
Carré se positionne face à l’opéra de Verdi pour « servir le drame », brisant la convention
utilisée jusque-là sur les scènes lyriques parisiennes qui voulait un deuxième acte sur une « terrasse […] dominant le jardin ».
La cage dorée qui emprisonne Violetta fait également l’objet d’un soin minutieux. Au premier acte, le faste du grand salon de
Violetta dans lequel se déroule la fête est montré par Carré grâce à une double profondeur de la scène : le salon en premier
plan et, sur le fond, la salle à manger et une antichambre, ouvertures qu’on aperçoit à travers deux grandes portes à la droite
et à la gauche d’un précieux meuble central. Le buffet est ainsi « servi par des maîtres d’hôtel », tandis que dans
l’antichambre une servante s’occupe des vêtements des invités et un valet annonce l’arrivée des premiers convives. Si
l’apparence « publique » est donc impeccable, le côté « privé » n’est pas en reste : sur la table du salon sont disposés des
objets qui évoquent la fragilité, la jeunesse et, au même temps, la vanité de la protagoniste : « un vase avec des roses, une
glace à main, un flacon de sels ».

Ill. 3: Acte II, mise en scène de Carré, 8-TMS-03045 (RES) ART (BHVP).
La « glace » figure également parmi les accessoires indiqués aux actes ii et iv. Un grand
miroir « sans tain » est disposé au-dessus de la cheminée dans le salon de la maison de campagne (acte II), miroir d’une société
bourgeoise avec des codes sociaux qu’on ne peut pas franchir, et, en même temps, seul témoin de geste héroïque de Violetta qui
sacrifie son amour pour Rodolphe acceptant le « conseil » de Georges d’Orbel et écrivant la lettre qui doit mettre fin à leur
passion. À la fin de l’opéra, une dernière « glace à main » est posée sur le guéridon à côté de la chaise longue pour montrer un
reflet diffèrent de Violetta, affaiblie par la maladie et enfin sincère dans son amour pour Rodolphe, dernier gage de vérité
parmi les crinolines.
L’agencement de la scène est aussi conçu par Carré afin de permettre le déroulement du ballet
au troisième acte : si la chorégraphie de l’habile Mariquita malheureusement ne nous est pas parvenue, toutefois on peut
imaginer qu’elle occupait beaucoup de place sur la scène assez étroite de l’Opéra-Comique ; la mise en scène relate que « les
meubles sont acculés vers les murs pour faire place aux danseurs. Après le divertissement, les domestiques les placeront comme
il est indiqué sur le plan ».

Ill. 4: Acte III, mise en scène de Carré, 8-TMS-03045 (RES), ART (BHVP).

Ill. 5 : Acte IV, mise en scène de Carré, 8-TMS-03045 (RES), ART (BHVP).
Une véritable « trouvaille » consiste dans l’emploi de l’éclairage avec un clair objectif
psychologique à l’acte IV. Le lit de Violetta est isolé du reste de la chambre par le biais de rideaux qui en délimitent l’espace
sans le dévoiler ouvertement au public. Dans une perspective méta-théâtrale, Carré confie au lit, lieu de la souffrance de
Violetta, la fonction de protéger l’intimité de la maladie de la protagoniste. Il se trouve dans la pièce, au fond, disposé de
trois quarts, exactement face à la grande fenêtre M. Au début de l’acte « les rideaux de la fenêtre M sont fermés. La chambre est
dans l’obscurité », mais quand Annette écarte le voilage et entrouvre la fenêtre ce n’est pas la lumière du jour, diffusée, qui
rentre à travers les carreaux, mais un « rayon de soleil », qui illumine le lit de la malade et qui suivra son déplacement,
toujours dans un faisceau lumineux, du lit jusqu’à la chaise longue, dernier sursaut de vie avant la mort de Violetta.
L’écho de la presse
La réception de la presse peut paraître assez froide, car le nombre d’articles qui relatent
cette reprise sont assez peu nombreux. La presse illustrée, quant à elle, semble être absente, du moins dans ses organes les plus
attentifs aux mises en scène de Carré : Le Théâtre et Musica. S’il n’a pas été possible, à aujourd’hui, de retrouver ni les décors
de Jusseaume, ni les croquis des costumes de Charles Bianchini, toutefois quelques dessins de Marcel Multzer pour La Traviata,
conservés à la BMO , montrent
des robes-crinolines pour le rôle de Violetta et pourraient avoir été réalisés pour des représentations successives à la nouvelle
reprise de l’opéra.
Charles Joly, dans les colonnes du Figaro, fournit un compte rendu très positif de la
première représentation de La Traviata à l’Opéra-Comique :
Il fut un temps où l’on jouait la Traviata avec la plus forte réjouissante fantaisie de
costumes et de décors que l’on puisse imaginer. Le père portait un costume Louis XIII, Rodolphe apparaissait sous les habits d’un
jeune seigneur du dix-huitième siècle, et Violetta revêtait des robes du second Empire ; les choristes endossaient les défroques
du répertoire allant de Fra Diavolo au Pré aux Clercs, et dans un décor rappelant la Régence trouvait place un mobilier empire.
Vous pensez bien que M. Albert Carré a changé tout cela. La Traviata est une pièce
moderne ; elle porte une date précise, je veux dire l’époque où il était de mode de réhabiliter les dévoyées, voilà pourquoi les
costumes des présents interprètes nous reportent au commencement du Second Empire, et le goût que professe Albert Carré pour
l’exactitude du détail fait que nous pouvions voir sur un clavecin la partition d’un quadrille de Musart [sic] ornée d’une gravure
de Nanteuil .
Le compte rendu d’Edmond Stoullig, d’abord publié dans Le Monde artiste (15 février
1903) et ensuite, la même année, dans les Annales du théâtre et de la musique est sans doute celui qui illustre au mieux l’esprit
dramatique de Carré :
M. Albert Carré a fait preuve de goût – comme toujours, du reste – en remontant la Traviata
dans les décors, les costumes et les toilettes du second Empire. Nous avions toujours rêvé de voir jouer la Traviata en costume
moderne ; dans les habits du temps passé, pourpoint, mousquetaires ou tenue Pompadour, la pièce n’a pas l’ombre de sens commun. La
Dame aux Camélias n’est pas une action qui puisse se transplanter indifféremment dans un siècle ou dans un autre ; c’est un
drame bourgeois, exclusivement relatif aux mœurs de notre temps et qui devient ridicule dans un milieu différent. […] La
courtisane languissante et « lamartinienne » est une création de notre temps ; c’est presque déjà même de l’histoire ancienne…
Quoi qu’il en soit, j’en conclus que pour rester dans la vraie couleur, la Traviata doit être jouée en costume contemporain. […]
Plus hardi que son prédécesseur [Léon Carvalho, supra], M. Albert Carré a osé nous montrer la
Traviata dans les costumes qui lui conviennent, et a très heureusement triomphé de la difficulté. Et si M. Fugère […]
apparaissant, au second acte, avec son pantalon à carreaux et son gris bolivard, nous a un peu donné l’impression d’un compère de
revue – triste, les vestons de M. Beyle, après Louise, n’ont pas trop surpris, et Mlle Garden a paru charmante sous son grand
chapeau à la Winterhalter et dans ses robes-crinolines à volants .
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