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Marcel Achard

par Geneviève LATOUR

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Juliette et Marcel Achard (Collection particulière)

ou Les Trompettes de la Renommée
(1899 – 1974)

1.Un Petit « gone » dans la banlieue lyonnaise
2 Un nouveau Rastignac à la conquête de Paris
3. L’Auteur à succès des années 50.
4. Les Époux Achard
5. La Gloire de l’Académie française
6. La Facture. Quelques Pièces.
7. Œuvres Dramatiques.
8. Extraits de Jean de la Lune.

1 . Un Petit « gone » dans la banlieue lyonnaise

Il aura fallu l’autorisation du Pape Léon XIII et du Président de la République, Émile Loubet, pour que M. Ferréol, cabaretier de son état, puisse épouser la fille de sa propre sœur et qu’ainsi soit légalement enregistrée la naissance de leur fils, le petit Marcel, le 5 juillet 1900 à la mairie de Sainte-Foy les Lyon (Rhône). Ainsi l’enfant a-t-il pour grand-père son arrière-grand-père, pour père son oncle, et pour mère sa cousine germaine. Entrée cocasse sur la scène de la Vie.

Dès son plus jeune âge, Marcel est un imaginatif. Il se raconte des histoires rocambolesques et en fait profiter les clients de son père et ses petits camarades de l’école maternelle. Après avoir appris à lire il se jette sur les romans de cape et d’épée. À dix ans, s’inspirant d’A. Dumas, il écrit un drame, Henri d’Auvergne, resté inachevé par faute de combattants. Dès le deuxième acte, les héros s’étaient mutuellement massacrés.

Marcel est un bon élève. M. Ferreol décide donc que son rejeton fera des études pour devenir un Monsieur. Son Certificat d’Études en poche l’adolescent est inscrit au collège Rollin de Calluire
À quinze ans, pour épater ses camarades, Marcel se prétend auteur dramatique, il présente un spectacle de guignol intitulé Tatruffe qui se voudrait une parodie de Molière. Puis viennent un drame: L’Innocent du village, une opérette, La Dernière bohème et enfin une pièce en vers, Cadet Roussel. Les professeurs et les parents d’élèves lui font un triomphe. Tout en préparant son baccalauréat, obtenu sans difficulté, Marcel écrit une bonne douzaine de comédies que les directeurs des théâtres lyonnais refusent systématiquement. L’auteur en herbe ne se décourage pas. En attendant d’être joué, il accepte les postes de surveillant et répétiteur d’anglais dans son cher collège de Calluire.

À quinze ans, pour épater ses camarades, Marcel se prétend auteur dramatique, il présente un spectacle de guignol intitulé Tatruffe qui se voudrait une parodie de Molière. Puis viennent un drame: L’Innocent du village, une opérette, La Dernière bohème et enfin une pièce en vers, Cadet Roussel. Les professeurs et les parents d’élèves lui font un triomphe. Tout en préparant son baccalauréat, obtenu sans difficulté, Marcel écrit une bonne douzaine de comédies que les directeurs des théâtres lyonnais refusent systématiquement. L’auteur en herbe ne se décourage pas. En attendant d’être joué, il accepte les postes de surveillant et répétiteur d’anglais dans son cher collège de Calluire.

Après avoir cherché pendant des jours la solution du succès, Euréka! un beau matin il la trouve : un auteur dramatique doit savoir jouer la comédie. Marcel tente donc l’entrée au Conservatoire de Lyon. Lors du concours, il choisit la scène la plus spectaculaire qui soit: la mort de Cyrano de Bergerac. Après que l’appariteur eut annoncé son nom aux membres du jury, Marcel entre en scène possédé par une émotion intense, un lyrisme dévorant. Il se veut sublime. Malheureusement, il ne se méfie pas de sa maudite myopie et à la dernière réplique :« Ne me soutenez pas, Personne. Rien que l’arbre. »
Dans un geste large, il rate le tronc et cherchant à se rattraper au portant, il gifle Roxane puis tombe à la renverse. Fou rire de la salle. C’en est fini du Conservatoire.

Il lui faut tout reprendre de zéro et commencer par se choisir un nom qui lui apportera la gloire. Il devient Marcel Achard. Sous ce nouveau patronyme il décroche un engagement dans la tournée régionale de Tire au flanc de Mouezi Eon. Il donne alors la réplique au célèbre comique troupier Bach. Il parvient ensuite à faire jouer un acte de sa composition, Minuit dix, lors de deux représentations d’amateurs au Casino de Lyon. Un essai pour rien.
Une fois encore il ne se laisse pas démoraliser. Au contraire, le temps lui semble venu d’attaquer la capitale. Il débarque à Paris le 13 décembre 1918, jour de liesse pour les Parisiens qui fêtent la venue officielle du Président Wilson.

2.   Un nouveau Rastignac à la conquête de Paris

Le jeune auteur ne perd pas de temps, il compte sur la colonie des Lyonnais de Paris pour lui mettre le pied à l’étrier, il a raison. Son compatriote Pierre Scize, rédacteur  au Paris-Journal, lui donne un mot de recommandation pour Jacques  Copeau, directeur du Vieux-Colombier. Achard est retenu, il est engagé, non comme comédien, mais comme souffleur. Il se fait renvoyer quelques jours plus tard pour avoir lorgné de trop près les jambes de l’actrice Sara Bartholi au lieu de lui « envoyer » son texte.

Le temps des vaches maigres a sonné. Sans domicile fixe, Achard se réfugie chaque soir dans une péniche de l’Armée du Salut. Pour subsister, il accepte n’importe lequel des petits travaux qui se présente. Il devient, entre autres, représentant en papier carbone pour machine à écrire. De nouveau, Pierre Scize intervient. Grâce à lui, Achard entre à la rédaction du Paris-Journal. Par l’intervention d’un autre Lyonnais, Henri Béraud, il est chargé de relever les cours de la Bourse pour le service financier du quotidien L’Œuvre.

Bientôt engagé à Bonsoir, il y fait la connaissance d’Henri Jeanson. Petit grouillot naïf et corvéable à merci, Marcel est le factotum de la rédaction. Mais un soir de juin 1919, sa bonne étoile lui sourit enfin. Il est seul à la permanence quand le rédacteur en chef apprend l’arrivée à Versailles des plénipotentiaires allemands, venus signer le traité de paix. Pas un journaliste sur place ! Qui envoyer pour représenter le journal ? À la direction, on s’arrache les cheveux. Il y a bien le petit Marcel, mais c’est un incapable qui ignore tout des questions internationales. Néanmoins, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le rédacteur en chef se résout à expédier Achard à Versailles et lui donne même de l’argent pour prendre un taxi. En route, Marcel croise deux célèbres reporters, André Viollis du  Petit Parisien  et Tom Topping de  l’Associated Press. Ils sont à pied. Marcel fait arrêter le chauffeur du taxi et propose aux journalistes de partager sa voiture. Pour remercier leur jeune confrère, qu’ils devinent très inexpérimenté, ils lui proposent de l’aider dans son reportage. De retour au journal, Achard est accueilli comme un héros, son article passe en première page. C’est la gloire.

Lancé sur le procès Landru, Achard ne manque pas d’audace. Il écrit en toute sérénité, la conscience tranquille et le front haut : « Il n’y a pas d’affaire Landru mais simplement une histoire inventée par le gouvernement pour détourner l’opinion des vrais problèmes ». Décidément, la politique n’est pas son affaire. Mais comme il fait preuve d’un joli brin de plume, la direction du journal ne veut pas se priver de ses services et  on l’envoie interviewer des personnalités de divers bords.

La chance veut que ses deux premiers rendez-vous soient consacrés à Charles Dullin et à Lugné Poë. En présence de ses interlocuteurs, Marcel ne leur pose aucune question et ne parle que de lui, que de son désir de devenir auteur dramatique. Subjugué, Lugné Poë lui signe immédiatement un contrat. Sa première vraie pièce La Messe est dite est créée le 14 février 1923. Succès mitigé, mais c’est un début. Quant à Dullin, directeur du théâtre de l’Atelier, il met en scène, à quelques mois de là, Celui qui vivait sa mort, comédie historique du jeune auteur où l’on voit Charles VI penché sur son ami mourant Gringonneur et lui demandant:

« Alors, la mort, comment est-ce ? Un repos ? Une torture ? Parle ! Finalement, quelle est ton impression ? »
Et l’autre de répondre: « Mauvaise » ,
et il meurt …

Marcel Achard a un talent comique indiscutable. Charles Dullin s’en convainc très vite et fait de sa récente découverte un des auteurs attitrés de son théâtre. C’est à Néronville, au bord du Loing où Dullin passait ses étés en compagnie des comédiens de sa troupe, qu’inspiré par les aventures du Guignol de son enfance, Marcel Achard écrit Voulez-vous jouer avec Môa ? qui sera jouée à la rentrée au Théâtre de l’Atelier. Comme l’argent fait défaut, la belle-mère de Marcel sacrifie les garnitures et rideaux de son salon pour réaliser les costumes. Maquillé par Albert Fratellini, Marcel joue le personnage du clown Crockson. Il remporte son premier grand succès.

À son tour, Louis Jouvet s’intéresse au jeune auteur et met en scène à la Comédie des Champs-Elysées, le 15 décembre 1924 Malborough s’en va-t-en guerre. En 1925, Dullin confie à Marcel Achard l’adaptation d’une comédie de Ben Jonson, La Femme Silencieuse. C’en est fini des jours calamiteux.
Sans faire partie des auteurs au compte bancaire bien confortable, Achard ne pleure plus misère. Il s’est marié plusieurs mois auparavant. Malheureusement, sa bien-aimée est malade et meurt quelque temps plus tard .

En 1925, Marcel Achard rencontre Juliette Marty. Conquis par sa pétillante joie de vivre, il en tombe amoureux et l’épouse. Une fois mariée, Juliette décide de profiter des plaisirs mondains interdits aux jeunes filles bien élevées. Elle ne s’en prive pas et entraîne son mari dans le sillage des années folles. Bien plus tard elle se rappellera: « Nous ne nous couchions jamais avant 7 heures du matin. Ça commençait par le théâtre tous les soirs. Puis, deux ou trois soirs par semaine, nous dînions chez des amis, le plus souvent chez Henri Bernstein, le reste du temps on débarquait à minuit chez Maxim’s ou au Fouquet’s avant la tournées des boîtes russes et nègres, quatre ou cinq, avec Kessel et L.P.Fargue. Et en sortant, on prenait le petit déjeuner au Palais d’Orsay ».

Quoique dormant très peu, Achard travaille beaucoup. En 1926, il est affiché dans trois théâtres : Je ne vous aime pas, avec Valentine Tessier et Michel Simon, Et Dzim…la…la et Le Joueur d’échec, d’après un roman de Dupuy-Mazuel. En 1928 Achard délaisse Charles Dullin et son Atelier pour le Théâtre de la Madeleine où sera programmé La Vie est belle. Eh oui, la vie est belle pour le petit Marcel de Sainte-Foy lès Lyon, devenu la coqueluche de Paris.
1929, c‘est le triomphe à la Comédie des Champs-Élysées, avec Jean de la Lune joué à la perfection par Louis Jouvet, Valentine Tessier, Pierre Renoir et Michel Simon.
Comment la tête d’un pauvre petit répétiteur ne tournerait-elle pas devant toute cette gloire ? Achard est un éternel naïf qui ne sait quoi inventer pour donner de l’importance à son personnage, car il est devenu un personnage, celui de l’Auteur qui a réussi. Ainsi décide-t-il de porter, à l’instar de Harold Lloyd, vedette comique du cinéma muet américain, de grosses lunettes rondes à l’épaisse monture d’écaille. On le reconnaît de loin. Le critique Pierre Brisson, dans son ouvrage Le Théâtre des années folles, ne fait preuve d’aucune indulgence :
« Le succès et le parisianisme à haute dose attaquaient ses dons ».
« Espiègleries du cœur, naïvetés, petites inventions tendres, gentillesse d’esprit corrompirent sa fraîcheur…».
Ce genre de critiques trouble-t-il la conscience d’homme de lettres qui sommeille au fond du cœur d’Achard ? Peut-être oui, peut-être non. Toujours est-il qu’il préfère les ignorer. Pour lui, l‘important c’est le succès, encore le succès, toujours le succès, le succès à tout prix.
Mais le succès est comme la chance, il va où il veut et bien malin celui qui sait le retenir. Après Jean de la Lune, Achard connaît une autre réussite Domino en 1932 et puis des demi-succès comme La Belle MarinièreLa Femme en blancNoix de Coco.
Et en 1938, un échec cuisant : Le Corsaire à l’Athénée avec Louis Jouvet.

3. L’Auteur à succès des années 50

 Pendant l’Occupation, Marcel et Juliette Achard ont l’intelligence de se faire plus ou moins oublier. Ils ne participent ni à la Collaboration ni à la Résistance. En 1942, seront affichées les deux seules pièces d’Achard écrites lors des années noires : Mademoiselle de Panama et Colinette. Elles furent jouées devant des salles pleines et enthousiastes, aux Théâtres des Mathurins et de l’Athénée.
En dépit de cette discrétion, les jaloux ne pardonnent pas les succès d’avant-guerre et, à la Libération, Marcel Achard est déféré devant le Comité d’Épuration des Gens de Lettres pour avoir participé en tant que dialoguiste aux films de Marc Allégret, L’Arlésienne (1941) et Les Petites du Quai aux Fleurs ( 1943).
Si Achard ne s’est fait que peu jouer pendant les années 1940-1945, il a engrangé. Et dès septembre 1945, son nom réapparaît sur les affiches, le plus souvent au fronton du théâtre de la Michodière où il a pour interprètes le duo Printemps-Fresnay: Auprès de ma Blonde ( 1946), Savez-vous planter les choux ? (1947) Le Moulin de la Galette (1951).

Il a pris un délicat plaisir à donner à ses pièces des titres de chansons, comme s’il voulait souligner la légèreté de leurs propos, le bonheur d’être de ses personnages. Certes, la vie n’est pas toujours heureuse mais elle est un cadeau qu’il faut prendre comme tel.
Dans le même temps, Marcel se fait applaudir dans d’autres théâtres  En 1948 l’Athénée affiche Nous irons à Valparaiso, une chanson d’amour en quatre actes, un couplet comique, un dramatique, un pathétique et le couplet final.
En 1949, la ravissante comédienne Françoise Christophe quitte la Comédie Française pour créer, à la Comédie des Champs-Élysées, le rôle principal d’une Demoiselle de petite Vertu, entourée de quelques autres beautés libertines.
L’action se passe en 1889 à la Nouvelle Orléans. L’ambiance sud américaine est suggérée par les décors et costumes du peintre Grau Sala et par la présence de trois artistes noirs, un sénégalais et deux américains. Chanteurs de blues, ils réchauffent l’atmosphère d’un théâtre non chauffé en cet hiver glacial .

Après avoir obtenu un joli succès avec la comédie musicale  La P’tite Lili, interprétée par Édith Piaf au sommet de sa gloire, Marcel Achard prend quelque temps de réflexion jusqu’au moment où il sent naître en lui le projet d’une pièce qui devrait être le pendant de Jean de la Lune : trois actes sur l’impuissance de la Haine contre trois actes sur la puissance de l’Amour. Afin d’entreprendre son travail d’écriture dans les meilleures conditions, lui et Juliette quittent Paris et s’installent dans le Var au mois de mai 1956: « Pour écrire une pièce, il me faut une terrasse ensoleillée au bord de la mer et quelques boîtes de nuit à proximité pour aller danser le soir. Je me rends au Night Club comme au bureau. C’est là que je trouve les esquisses de mes personnages. La nuit rend les gens bavards et j’ai, paraît-il, une tête qui suscite les confidences. C’est ainsi que Patate est née à Saint-Tropez. J’ai écrit la pièce au milieu d’une pléiade de Françoise Sagan et d’Anabelle ». (1)

Au retour à Paris, le manuscrit est refusé par quatre directeurs, ceux de l’Athénée, des Bouffes Parisiens, d’Edouard VII et des Ambassadeurs. La directrice du Saint-Georges se laisse convaincre et propose le rôle principal à Bernard Blier auquel Marcel Achard avait pensé en écrivant la pièce. Le comédien, méprisant, refuse tout net le manuscrit. Enfin, Pierre Dux accepte de monter l’ouvrage et, faute de mieux, décide d’interpréter le personnage de Léon Rollo. Ainsi le rideau peut-il se lever le 20 janvier 1957 sur la première réplique de Patate. Un Triomphe ! On jouera la pièce 2.555 fois. La dernière représentation aura lieu le 19 septembre 1963.

Après une apothéose pareille, les belles mais simples réussites semblent bien pâles. Montée aux Bouffes Parisien, en décembre 1958, La Bagatelle (vocable aux diverses significations: payante avec le client, elle est obsédante en amourette et passionnément exclusive en grand amour) connut un joli succès. Mais, après Patate, la mariée n’est plus assez belle…

4. Les Époux Achard

Juliette a toujours été à l’affût des créations de son auteur de mari. Elle en suit le déroulement, de la première ligne du manuscrit à la réception de la pièce. Impresario implacable et trésorière impitoyable, c’est toujours elle qui discute les conditions des contrats avec les directeurs de théâtres. En un mot, elle tient les cordons de la bourse.
«Quand  Marcel est seul, dit-elle, il signe le plus mauvais contrat et l’argent lui brûle les doigts ».

Achard laisse bien volontiers à sa femme les tâches financières. Lui, ce qui l’intéresse, c’est d’une part écrire ( n’aura-t-il pas produit, d’après son ami André Roussin, soixante pièces et quarante scénarios ou dialogues de films ?) et d’autre part être convié partout où il se passe un événement mondain : générales des théâtres ou premières à l’Opéra, galas chez le Marquis de Cuévas, finales sportives, dîners officiels, réceptions à l’Élysée, vernissages des musées nationaux, peu importe pourvu qu’il soit invité là où il se passe quelque chose, qu’on les reconnaisse,  lui et Juliette, installés aux places d’honneur. Il a droit dans les restaurants à la meilleure table, celle d’où l’on est vu de tous les clients. Dans les bars, on lui sert le whisky le plus vieux, les cigares les plus gros et les plus chers ; les producteurs de cinéma et les vedettes du 7ème art le tutoient. On publie ses bons mots dans les journaux. Ces petits honneurs et le bien-être qu’ils procurent le comblent de satisfaction. Il est devenu l’archétype de « l’auteur bien parisien ».

Il ne rechigne pas sur les amourettes. La présence, disons affectueuse, d’une femme qui n’est pas la sienne n’est pas pour lui déplaire. Il fait partie de la catégorie des coureurs de jupons. Juliette s’amuse assez de voir son époux, rondouillard, d’un mètre soixante-huit, myope comme il n’est pas permis, se promener au bras d’un mannequin à la taille de guêpe et mesurant un mètre soixante-quinze. Mais attention ! Si elle pardonne volontiers les aventures passagères, elle ne fait qu’accepter douloureusement les liaisons, bien obligée d’en passer par là quand il se découvre une passion pour une jeune actrice-chanteuse grecque de 33 ans, Melina Mercouri et lui écrit, en 1953, le rôle flamboyant de Daphné, comtesse de Quelius, dans Les Compagnons de la Marjolaine. Par-dessus tout, Juliette se refuse au divorce.
Le ménage Achard habite rue de Courty dans un bel appartement du VIIème arrondissement, entre la rue de l’Université et le boulevard Saint-Germain, face à l’Assemblée Nationale. Chaque matin, vers 11 heures, Marcel se lève, se déguise en « Homme de Lettres » pour recevoir  ses rendez-vous. Sur un pyjama de soie sauvage, il revêt une longue robe de chambre de cachemire jaune moutarde et à son cou il noue négligemment une écharpe de soie blanche à ramage qu’il glisse dans l’encolure de son peignoir. Pour parfaire l’ensemble, il n’oublie pas de chausser des mocassins de guerrier Cheyenne. Ainsi est-il prêt à accueillir, dans son salon-bureau décoré d’un Matisse et d’un dessin d’Isabey, tout journaliste qui veut bien l’interviewer.

Certains sont sévères face à cet homme manifestement heureux de son sort : « Marcel Achard, jeune, ressemblait au tendre frère de Musset et de Laforgue, on l’imaginait volontiers grattant sa guitare chère à Picasso ou à Juan Gris. Depuis longtemps déjà, un piano à queue orne bourgeoisement son salon et l’on ne songe pas à s’en étonner », écrit Jeanine Delpech dans les Nouvelles Littéraires le 31 janvier 1946.

Cet homme si affable, si heureux de vivre, sait parfois se fâcher. Rien ne l’irrite plus que d’entendre un spécialiste du Théâtre d’avant-garde soutenir qu’il est facile d’écrire une pièce drôle, une pièce de boulevard. Alors Achard se déchaîne, fait appel à Molière. « C’est une entreprise difficile de faire rire les honnêtes gens » (2)  et il poursuit : « Je revendique avec force le titre « d’amuseur » et je me dois d’apporter à mon public l’évasion qu’il vient chercher au théâtre (…) Voulez-vous m’apprendre où s’arrête le théâtre de boulevard et où commencent ce que nous appelions jadis les spectacles d’avant-garde ? Bien sûr l’analyse psychologique au théâtre n’est pas à la portée de n’importe qui, mais certains des succès actuels de nos scènes, qui sont présentés comme des innovations sensationnelles, ne sont en réalité que des adaptations de thèmes consommés et reconsommés cent fois par le public ».

Il reconnaît que l’écriture le fait jubiler : « Dussé-je n’être jamais pris au sérieux, je n’enfante pas dans la douleur. Une réplique qui me semble heureuse, même lorsqu’elle m’a coûté plusieurs heures de fignolage, me cause un plaisir qui me fait tout oublier ». Il avoue ne pas travailler à « l’inspiration » et observer deux règles : « J’en ai appris une de Feydeau : « Quand deux personnages ne doivent pas se rencontrer, je les mets en présence », l’autre de Tristan Bernard: « Le public aime à être surpris mais seulement par ce qu’il attend ». Pour faire une bonne pièce, je prétends qu’il faut surtout la rêver. La partie la plus importante du travail d’un auteur comique se fait lorsqu’il ne sait pas qu’il travaille. Dans l’autobus, dans les taxis, dans la rue, il porte son œuvre en lui. L’écriture n’est qu’un travail de mise au point ».

Le temps passe, les années s’accumulent, Marcel fête ses cinquante ans, mais il est toujours aussi friand d’hommages. Il le reconnaît bien volontiers : « J’ai toujours ardemment souhaité tous les honneurs ». Il n’est pas un jury dont il n’aspire à faire partie. On le trouve à la table des examinateurs aux concours d’entrée et de sortie du Conservatoire, au concours de beauté de Miss Belgique au Casino de Knokke, au concours du Festival de la Chanson à Spa. Il est Commandeur de la Confrérie du Tastevin, et sa spécialité étant la belote boxée (sic), il se fait nommer Président du FISC (Fédération Internationale des Sports de Carton ). Enfin en 1972, il deviendra Président du Jury de l’Académie de l’Humour. Naturellement, la décoration dans l’Ordre de la Légion d’Honneur ne lui échappera pas et il finira par obtenir la cravate de Commandeur.

Si on lui reproche d’être partout à la fois, il rétorque : « Oui, et alors ? Je veux être un témoin de mon temps ».  Que répondre à cela ?

  1. cf La Critique de L’École des Femmes
  2. La gloire de l’Académie française

En 1959, comble du bonheur et de la félicité, Marcel Achard est reçu à l’Académie Française. Ce sera le Professeur Pasteur Vallery-Radot qui lui remettra son épée, œuvre du maître joaillier Jean Schlumberger. L’éloge de Marcel Pagnol qui reçoit officiellement son confrère et ami sera d’une grande gentillesse : « C’est la poésie qui est le charme de votre œuvre et le secret de votre réussite. Poésie parfois tendre et délicate, souvent franchement burlesque. C’est pourquoi la critique a si souvent parlé d’Ariel… ».

Tout à sa gloire, Monsieur l’Académicien met en chantier un nouvel ouvrage :  L’Idiote, destiné au Théâtre Antoine avec, en tête d’affiche, Annie Girardot et Jean-Pierre Cassel . Il aborde là un genre nouveau : la pièce policière. Il réussit à entretenir le suspens jusqu’au baisser du rideau. Le résultat est une victoire. Ce n’est pas le triomphe de Patate, mais cela lui ressemble.

En 1962, on répète, au Théâtre Antoine, Turlututu signé Marcel Achard. Le rôle principal est tenu par Robert Lamoureux, comédien fantaisiste, auteur de monologues spirituels, qui fait courir Tout-Paris mais ne montre aucun respect face au texte d’autrui. Il invente chaque soir des répliques de son cru, qui mettent la salle en joie. Entre l’écrivain et l’interprète, le ton monte. Finalement, Achard se décourage. Il se montre en quelque sorte magnanime : ne se reconnaissant plus l’auteur de la pièce, il demande à la S.A.C.D. (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques)  de verser ses droits à l’Orphelinat du Spectacle. Les spectacles suivants, une comédie musicale Eugène le mystérieux au Châtelet et les comédies Machin-Chouette au théâtre Antoine, et Gugusse au Théâtre de la Michodière, connaissent ce qu’on appelle des succès d’estime. Pour l’ensemble de la critique et des spectateurs, Marcel Achard reste l’auteur de Patate et on ne lui pardonne pas de manquer d’un certain génie.

Depuis quelques années, le goût du public a évolué. Les auteurs dits d’avant-garde ne sont plus cantonnés dans les minuscules théâtres de la Rive gauche. La Cie Renaud-Barrault a mis à son répertoire les œuvres d’Eugène Ionesco, de Samuel Beckett, de Marguerite Duras et de Jean Genet. En 1970, Ionesco est entré à l’Académie Française et depuis, Beckett a reçu le Prix Nobel de Littérature. Référence dangereuse d’une nouvelle génération de dramaturges qui se croit permis d’inventer n’importe quoi. Pour Marcel, ces écrivassiers sont les fossoyeurs du Théâtre

En mai 1973, l’immortel Achard a l’honneur d’accueillir sous la coupole le critique dramatique Jean-Jacques Gautier. Lors de son discours de réception, alors que ses pairs, vêtus de leur bel uniforme brodé d’or, le bicorne sur les genoux et l’épée au côté, attendaient avec curiosité l’éloge d’un auteur dramatique à un critique parfois sévère en espérant un règlement de comptes, ils ne furent pas déçus. Sinon que ce règlement de comptes ne s’adressait pas à la personne attendue. Achard profita de l’occasion officielle qui lui était offerte pour exprimer sa rancœur à la jeune génération de gens de théâtre dont la seule ambition était de faire table rase d’un passé prestigieux : « Le théâtre est devenu un laboratoire. Au début ce n’était pas trop grave. On disait : « C’est vieux, par conséquent c’est bon ; c’est neuf par conséquent c’est meilleur ». En 1973, la crise s’est aggravée. Le dernier des barbouilleurs en recherches théâtrales, engagé ou pas, est persuadé que lui seul peut donner au théâtre le second souffle qui lui manque tellement. Pas de rideau, pas de rampe. Pas de lumière en scène. Ils rejettent tout ce qui faisait le miracle du théâtre à l’italienne. Jamais on n’a bâti autant de salles de théâtre et à si grands frais depuis que ces messieurs cherchent leur second souffle. Assez de Molière, de Musset, de Racine, de Beaumarchais. Plus de maîtres ! Plus de pères, rien que des fils ! Et des fils qui ont besoin d’aide. Jamais il n’y a eu autant d’aides : Prix de  la première pièce, Prix de la mise en scène, Prix du meilleur acteur, Prix de la Société des auteurs, concours des Jeunes Compagnies, etc, aide, aide, aide à tous les étages. Ce qu’il faudrait instituer, c’est l’aide au dernier spectateur ».

Et la diatribe continue… et Achard de s’en prendre nommément à Roger Planchon, à Armand Gatti, à Marcel Maréchal, à Antoine Bourseiller pour terminer par une attaque violente contre la comédienne-metteur en scène Silvia Monfort. En écoutant leur confrère, les académiciens en restent bouche bée. Sous la verrière de la vénérable Coupole, on ne s’attendait pas à une harangue digne des séances de crises de l’Assemblée Nationale.
Marcel Achard a eu bien raison de se défouler en ce jour de mai 1973. Il n’en aura plus l’occasion.

  1. La Gloire de l’Académie française

En 1959, comble du bonheur et de la félicité, Marcel Achard est reçu à l’Académie Française. Ce sera le Professeur Pasteur Vallery-Radot qui lui remettra son épée, œuvre du maître joaillier Jean Schlumberger. L’éloge de Marcel Pagnol qui reçoit officiellement son confrère et ami sera d’une grande gentillesse : « C’est la poésie qui est le charme de votre œuvre et le secret de votre réussite. Poésie parfois tendre et délicate, souvent franchement burlesque. C’est pourquoi la critique a si souvent parlé d’Ariel… ».

Tout à sa gloire, Monsieur l’Académicien met en chantier un nouvel ouvrage :  L’Idiote, destiné au Théâtre Antoine avec, en tête d’affiche, Annie Girardot et Jean-Pierre Cassel . Il aborde là un genre nouveau : la pièce policière. Il réussit à entretenir le suspens jusqu’au baisser du rideau. Le résultat est une victoire. Ce n’est pas le triomphe de Patate, mais cela lui ressemble.

En 1962, on répète, au Théâtre Antoine, Turlututu signé Marcel Achard. Le rôle principal est tenu par Robert Lamoureux, comédien fantaisiste, auteur de monologues spirituels, qui fait courir Tout-Paris mais ne montre aucun respect face au texte d’autrui. Il invente chaque soir des répliques de son cru, qui mettent la salle en joie. Entre l’écrivain et l’interprète, le ton monte. Finalement, Achard se décourage. Il se montre en quelque sorte magnanime : ne se reconnaissant plus l’auteur de la pièce, il demande à la S.A.C.D. 1 de verser ses droits à l’Orphelinat du Spectacle. Les spectacles suivants, une comédie musicale Eugène le mystérieux au Châtelet et les comédies Machin-Chouette au théâtre Antoine, et Gugusse au Théâtre de la Michodière, connaissent ce qu’on appelle des succès d’estime. Pour l’ensemble de la critique et des spectateurs, Marcel Achard reste l’auteur de Patate et on ne lui pardonne pas de manquer d’un certain génie.

Depuis quelques années, le goût du public a évolué. Les auteurs dits d’avant-garde ne sont plus cantonnés dans les minuscules théâtres de la Rive gauche. La Cie Renaud-Barrault a mis à son répertoire les œuvres d’Eugène Ionesco, de Samuel Beckett, de Marguerite Duras et de Jean Genet. En 1970, Ionesco est entré à l’Académie française et depuis, Beckett a reçu le Prix Nobel de Littérature. Référence dangereuse d’une nouvelle génération de dramaturges qui se croit permis d’inventer n’importe quoi. Pour Marcel, ces écrivassiers sont les fossoyeurs du Théâtre.

En mai 1973, l’immortel Achard a l’honneur d’accueillir sous la coupole le critique dramatique Jean-Jacques Gautier. Lors de son discours de réception, alors que ses pairs, vêtus de leur bel uniforme brodé d’or, le bicorne sur les genoux et l’épée au côté, attendaient avec curiosité l’éloge d’un auteur dramatique à un critique parfois sévère en espérant un règlement de comptes, ils ne furent pas déçus. Sinon que ce règlement de comptes ne s’adressait pas à la personne attendue. Achard profita de l’occasion officielle qui lui était offerte pour exprimer sa rancœur à la jeune génération de gens de théâtre dont la seule ambition était de faire table rase d’un passé prestigieux : « Le théâtre est devenu un laboratoire. Au début ce n’était pas trop grave. On disait : « C’est vieux, par conséquent c’est bon ; c’est neuf par conséquent c’est meilleur ». En 1973, la crise s’est aggravée. Le dernier des barbouilleurs en recherches théâtrales, engagé ou pas, est persuadé que lui seul peut donner au théâtre le second souffle qui lui manque tellement. Pas de rideau, pas de rampe. Pas de lumière en scène. Ils rejettent tout ce qui faisait le miracle du théâtre à l’italienne. Jamais on n’a bâti autant de salles de théâtre et à si grands frais depuis que ces messieurs cherchent leur second souffle. Assez de Molière, de Musset, de Racine, de Beaumarchais. Plus de maîtres ! Plus de pères, rien que des fils ! Et des fils qui ont besoin d’aide. Jamais il n’y a eu autant d’aides : Prix de  la première pièce, Prix de la mise en scène, Prix du meilleur acteur, Prix de la Société des auteurs, concours des Jeunes Compagnies, etc, aide, aide, aide à tous les étages. Ce qu’il faudrait instituer, c’est l’aide au dernier spectateur ».

Et la diatribe continue… et Achard de s’en prendre nommément à Roger Planchon, à Armand Gatti, à Marcel Maréchal, à Antoine Bourseiller pour terminer par une attaque violente contre la comédienne-metteur en scène Silvia Monfort. En écoutant leur confrère, les académiciens en restent bouche bée. Sous la verrière de la vénérable Coupole, on ne s’attendait pas à une harangue digne des séances de crises de l’Assemblée Nationale.
Marcel Achard a eu bien raison de se défouler en ce jour de mai 1973. Il n’en aura plus l’occasion.

6. La Facture
En janvier de cette année 1973, Achard avait fait jouer au Théâtre de l’Œuvre sa dernière pièce, inspirée de la vie scandaleuse des Borgia, La Débauche. Louis Seigner, nouveau sociétaire honoraire de la Comédie-Française, vient de quitter l’illustre maison. La lèvre lippue et l’oeil égrillard, il se fait une joie d’interpréter César, le pape scandaleux. Malheureusement la farce est trop épaisse. Cette fois, l’auteur s’est trompé. Il avait avoué à la presse: « D’habitude j’écris « Violoncelle », avec La Débauche ce serait plutôt « Trombone ». En fait, c’était un tocsin assourdissant. Il croyait que ses personnages deviendraient comiques à force de démesure, ils sont simplement ignobles.
Malade, Marcel, accompagné de Juliette et de son médecin, assiste à sa dernière répétition générale et c’est un échec cuisant.

Depuis plusieurs mois, le bon-vivant paye la note des succulents dîners, des wiskies hors d’âge, des vins capiteux, des vieux cognacs et des gros cigares qui lui rendaient la vie si agréable. Un diabète sévère l’oblige désormais à un régime draconien. Il maigrit à vue d’œil, il perd sa bonne humeur et sa brillance. Il est fini le temps où sous la photo réjouie de l’auteur on lisait ces quelques lignes: « Il est amoureux de la vie. Il en a la passion. En un seul jour, il peut visiter une capitale, assister à un match, jouer à trois jeux différents et écouter de la musique ou aller voir deux films et une pièce dont il démonte aussitôt en expert jusqu’au moindre rouage. Avec lui, tout semble facile parce qu’il ne se plaint pas des difficultés. Il a la séduction drolatique, le charme divertissant, la poésie comique, le dynamisme cocasse ».

En janvier 1974, imitant ses confrères Jean Anouilh, Marcel Aymé et René de Obaldia, Achard se tourne vers le Café-Théâtre et confie au Bec fin un de ses premiers textes, créé par Dullin en 1923 Celui qui vivait sa mort. Ce fut le dernier plaisir que l’existence offrit à Marcel. Puis il commença à vivre sa mort.

Le 4 septembre 1974, foudroyé par un pré-coma diabétique, il s’éteint chez lui en quelques heures.
Auteur des articles nécrologiques pour Henri Jeanson, Marcel Pagnol et Steve Passeur, Achard avait peaufiné le sien.
Plus de mille articles et émissions de radio et de télévision saluent la carrière de cet homme, si simple et si complexe.
Mais alors que l’on s’attendait à des obsèques quasi nationales, Marcel Achard, selon ses dernières volontés, fut inhumé en présence de sa seule famille – peu nombreuse – au cimetière de la Chaussée Saint-Victor, près de Blois où Juliette et lui possédaient une maison de campagne.