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Le besoin de solitude

L'indifférence polie du public face à La Grotte, à L’Orchestre et à La Foire d’empoigne d’une part, et de l’autre une violente altercation en public avec son épouse Nicole, suivie de leur mésentente, causèrent à Anouilh une sorte de dépression. Il vint à douter de son talent. Il décida de quitter Paris pour s’installer seul – sans même le concours d’une femme de ménage – dans un chalet suisse. Il occupait alors ses journées… à peindre. Il reçut une visite, ce fut celle de l’auteur dramatique et journaliste Steve Passeur : « J’ai trouvé l’adaptateur de Richard III torse nu dans son jardin. Son chalet est le plus isolé des Chesières-sur-Ollon, trente kilomètres de Montreux et pour ne pas être perturbé, il a acheté tout le terrain possible des deux côtés de son refuge ». 1 Et Jean Anouilh, lors du décès de Passeur, se rappela : « Je m’étais enfermé en Suisse dans une solitude un peu pénible. Pour faire, je crois, un article sur moi que votre journal vous avait demandé, vous êtes monté me voir, vous perdant dans le brouillard et calant dix fois votre moteur. Nous avons passé trois heures ensemble. Vous avez eu le sentiment, sans me le dire, que j’étais sans doute un peu seul, et sans doute triste sur ma montagne. Et voilà ce que vous avez fait : vous m’avez, dès ce jour-là envoyé, pendant plus d’un an, tous les jours une carte postale, une curieuse carte postale 1900 dont vous aviez toute une collection, une curieuse carte postale avec un petit mot gentil ou un petit potin de Paris, dont vous vous étiez fait le chroniqueur, pour cet homme exilé. Pendant plus d’un an, tous les jours, j’ai reçu vos hiéroglyphes qu’il me fallait d’ailleurs deux heures pour déchiffrer et je n’ai jamais ( en pestant, en vous insultant, je le reconnais ) été me coucher sans avoir, Champollion d’une amitié inattendue, déchiffré intégralement votre message quotidien et illisible ». 2

Autoportrait de Jean Anouilh
in Jean Anouilh, une Biographie de Anca Visdei Éditions de Fallois 2012
Coll. part.

Mais le réfugié suisse ne pouvait oublier Paris. Sans rompre définitivement avec Nicole - ils passeront désormais toutes les fêtes de famille ensemble et elle participera en tant que comédienne ou metteur en scène aux œuvres de son époux - Anouilh s’installa seul dans un pied à terre, la rue du 29 juillet ( 1er arrt ), partageant ainsi ses séjours helvétiques et parisiens.

Certes n’étant pas encore prêt à affronter de nouveau les diktats de la critique parisienne, Jean Anouilh se consacra à la mise en scène de pièces d’autres auteurs. Ce fut ainsi qu’il présenta, avec le grand succès que l’on sait, une reprise de Victor ou les enfants au pouvoir de son ami Roger Vitrac, décédé dix ans auparavant.

Victor ou les enfants au pouvoir au Théâtre de l' Ambigu 1962
Indication du décor, dessin original de Jean Anouilh dédicacé à Jacques Dubois
Collections A.R.T.

voir les photos et le décor de Jacques Noël de Victor ou les enfants... dans l'article sur Roger Vitrac

En outre, il monta L’Acheteuse de Steve Passeur, Richard III de Shakespeare et La petite Catherine de Heilbronn de Kleist.

Collections A.R.T.

Mais… mais... mais… Lui était-il possible d’ignorer longtemps les personnages qui ne cessaient de jaillir de son imagination ? Non, bien sûr ! Dès 1964, sans chercher à se faire jouer, il ne cessait d’écrire et d’entasser les manuscrits, ceux de : Ne réveillez pas Madame, Le Boulanger, la Boulangère et le petit mitron, Cher Antoine, Monsieur Barnett et La Belle vie.

« J’ai arrêté de travailler pendant six ans (…) Depuis quelque temps j’ai repris la plume et cela n’a pas été facile. C’est un métier qui s’entretient ». 3

1 Steve Passeur L’Aurore 14 Novembre 1964
2 Jean Anouilh L’Aurore 13 octobre 1966
3 La Tribune de Genève 22 décembre 1966

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