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Jean Anouilh retrouve Jean Anouilh

Il était temps que Jean Anouilh se remette en scène. Ce fut fait avec Le Directeur de l’Opéra. Le personnage d’Antonio avait une telle ressemblance avec son auteur que le journaliste Gabriel Marcel envoya un courrier à Anouilh, pour lui demander s’il ne signait pas là une « pièce testament ». Ce dernier lui répondit par une réplique interrogative du premier acte : « Et si c’était le sujet de la pièce, l’impossibilité pour chacun de sortir de lui-même ?… ».

Le Directeur de l' Opéra de Jean Anouilh
Collections A.R.T.

Traitée sur le mode d’une comédie, style opéra-bouffe, la pièce racontait les malheurs d’un homme de théâtre, qui se sentant vieux, délaissé des femmes, harcelé par une famille détestable, rejeté par son fils qui lui aussi avait « été si gentil quand il était petit », ne trouvait un semblant de paix que dans ses souvenirs : « C’est si fragile un vieux monsieur avec tout son avenir derrière lui » 1 geignait-il.

Dire que la critique fut unanimement favorable serait mentir. Certains articles furent très sévères : « Le vérisme rejoint ici le « Boulevard du Crime », le feuilleton populaire et le pire théâtre bourgeois 1900 » 2 et aussi : « ( C’est ) un théâtre né il y a quarante ans des amours coupables de Bernstein et de Pirandello, démodé, inutile, immobilisé dans ses conventions ». 3

répétition du Directeur de l' Opéra de Jean Anouilh
répétition du Directeur de l' Opéra
Jean Anouilh, Paul Meurisse, Madeleine Barbulée et Jean Parédès

(photo Le Figaro)
fonds Roger Lauran
Collections A.R.T.

Mais les spectateurs leur donnèrent tort. Au soir de la répétition générale, alors que Pierre Dux, administrateur de la Comédie française prétendit « adorer » la pièce, l’ensemble du public : « … parfois ému, parfois indigné par l’inconscience des personnages, souvent cessa de rire, mais jamais d’être attentif ».4 Quant à Anouilh : « caché comme à l’accoutumé dans l’ombre propice d’une loge, ( il ) fut rassuré tout à la fin par l’ampleur des applaudissements qui saluèrent tout à la fois l’œuvre, l’auteur, Paul Meurisse et la troupe entière ». 5

Le spectacle étant affiché plus de deux cent cinquante fois, on put affirmer que la pièce fut un succès.

En 1974, les brillantes reprises de deux pièces qui avaient connu, en leur temps, des sorts peu enviables, rendaient heureux Jean Anouilh. Le 27 janvier, la troupe des Mathurins fêtait la cent cinquantième représentation de la reprise du Voyageur sans bagages et le 30 du même mois, à la Comédie des Champs-Élysées, les acteurs - Louis de Funès et Mony Dalmès en tête de distribution - célébraient la centième de celle de La Valse des Toréadors.

reprise de La Valse des Toréadors de Jean Anouilh
reprise de La Valse des Toréadors
Louis de Funès à droite

(photo François Darras)
fonds Roger Lauran
Collections A.R.T.

Cette même année, Anouilh tenta une nouvelle expérience. Pourquoi ne pas créer un spectacle dans un cabaret-théâtre? Il choisit pour cela Le Fanal, situé dans le quartier des Halles, où l’année précédente avait eu lieu une reprise de L'Orchestre dans une mise en scène d’André Vousinas.

L'Orchestre de Jean Anouilh au Fanal
L'Orchestre de Jean Anouilh au Fanal
programme original

Collections A.R.T.

Cette fois il s’agissait de Monsieur Barnett, pièce écrite en 1965, jouée pour la première fois en Angleterre, à Bristol, et enregistrée en audio-visuel par la BBC.

L’action se passait dans un salon de coiffure. Un homme riche qui apparemment avait tout pour être heureux, sinon qu’il se sentait très seul, mourrait subitement tandis qu’une manucure soignait ses ongles Cette fois Jean Anouilh semblait avoir délaisser Jean Anouilh pour inventer un nouveau personnage… encore que…

Le fait d’être interprété dans un café-théâtre parut original et en réalité bénéfique : « La concentration qu’exige ce type d’établissement aussi bien dans le temps que dans l’espace a redonné à l’auteur d’ Ornifle une jeunesse et une puissance nouvelles : répliques concises et percutantes ». 6

Le succès fut complet tant pour le texte : « un petit chef d’œuvre percutant, satirique, méchant, désopilant, presque pathétique à la fin » 7 que pour la présentation : « La mise en scène de Nicole Anouilh excelle à rendre ce climat ambigu, ce jeu d’acrobate qui a la drôlerie et le grinçant pour champ de bataille ». 8

Décidemment le public anglais appréciait le Théâtre d’Anouilh. Après Monsieur Barnett ce fut une nouvelle pièce L’Arrestation qui fut créée, en version anglaise, à Bristol, puis reprise au festival de Chichester. Ce fut un triomphe.

Au journaliste Paul Chambrillon, qui l’interviewait au sujet du spectacle, Anouilh répondit : « C’est une pièce sur le thème du temps. Je ne pensais pas la présenter à Paris avant deux ou trois ans, mais j’ai été encouragé par le succès de Monsieur Barnett (…) C’est un peu une pièce policière, du moins on peut le croire au début. En fait c’est tout autre chose : quelque chose qui m’est venu d’un rêve ancien. Dans une vieille maison où je retrouvais tous les personnages de ma vie ».9

Il s’agissait, en fait, d’un criminel, agonisant au fond d’un fossé. Dans son délire, le mourant, mis face à face à son passé, en revivait trois temps forts : celui d’un petit garçon malheureux que sa maman négligeait ( comme précédemment dans L’Orchestre et dans Ne réveillez pas madame ), celui d’un homme jeune qui quittait sa femme pour s’adonner à la débauche et celui d’ un homme, usé par la vie, qui s’en allait, seul, errant au hasard.

L' Arrestation de Jean Anouilh, Geneviève Brunet, Jacques Dannoville, Jacques François, Geneviève Fontanel, Didier Valmont et Claude Dauphin
L' Arrestation
Geneviève Brunet, Jacques Dannoville, Jacques François, Geneviève Fontanel, Didier Valmont et Claude Dauphin

(photo DR)
Collections A.R.T.

Bien que l’originalité du sujet soit reconnue : « C’est la première dramatisation dans notre théâtre du déroulement d’images qui se produit au moment de la mort ». 10 La pièce fut médiocrement acceptée. Il fallait dire qu’elle était affichée au théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet et que ce théâtre ne pouvait que porter malchance à l’homme superstitieux qu’était Jean Anouilh… il suffisait de se rappeler l’échec cuisant de Mandarine.

L' Arrestation de Jean Anouilh
L'Arrestation
affiche de Jean-Denis Malclès

Collections A.R.T.

Le rideau tombé sur la dernière représentation de L’Arrestation, il était urgent pour Anouilh d’oublier et de se remettre à l’écriture.

Avant de s’attaquer à une nouvelle pièce, Jean Anouilh fit appel à ses souvenirs, lorsque, jeune auteur d’avant-guerre, il écrivait pour le cinéma.

Et ce fut Le Scénario. Juste avant que la guerre de 1939 n’éclate, deux cinéastes travaillent sur leur prochain film en écoutant la radio. Laissons, Jean Anouilh présenter son spectacle dans le programme : « (…) Je ne fais plus de films depuis bien longtemps et je ne sais plus ce qu’est actuellement le cinéma. Mais la faune de cette époque était haute en couleur, assez sympathique au fond. À cette époque, le metteur en scène avait bien entendu du génie, mais le producteur aussi (…) Les méthodes de travail tenaient du marchand de tapis, de l’émir pétrolier et du boyard. Beaucoup de Juifs russes ou polonais avaient , avec des retournements inattendus, des manières de seigneurs. Et le scénario se faisait tant bien que mal. (…) Mais le scénario, dont on parlait à longueur de journée et de nuit, n’était pas tout. Nous avions nos scénarios personnels – celui de nos vies.(…) Et puis Hitler, dont l’heure approchait peu à peu, en avait un autre, grandiose et sanglant ».

Le Scenario de Jean Anouilh
Collections A.R.T.

Apparemment le public aimait se souvenir, alors il fut chaleureux : la pièce tint l’affiche pour plus de deux cents représentations.

répétition du Scénario, accroupis au premier plan, Jacques Fabbri et Daniel Gélin
répétition du Scénario
accroupis au premier plan, Jacques Fabbri et Daniel Gélin

(photo DR)
Collections A.R.T.

Qu’en pensaient les critiques ? Naturellement, ils n’étaient pas d’accord. Si Paul Chambrillon applaudissait à la pièce comme à une « machine efficace, impressionnante et forte… (…) Satire nuancée et triple drame intime. (…) Comédie énorme et tragédie pathétique » 11, si Mathieu Galey y découvrait : « des trouvailles , de la tendresse …» 12 J.P. Léonardi, lui, s’indignait contre l’auteur : « Son humeur quinteuse vire au ressassement (…) Voici réunis en gerbe , les poncifs d’une philosophie de bistrot (…) Cet univers étriqué aux dimensions de l’arrière-boutique, rêvant du Faubourg Saint-Germain, devrait avoir fait son temps ! ». 13

À la lecture des journaux, Jean Anouilh se montrait relativement blasé. N’avait-il pas écrit à la veille de la première représentation : « Je vais, demain, passer pour la trente-neuvième ou la quarantième et une fois ( je m’embrouille dans mes comptes ) mon bachot. J’ai été reçu au moins trente ou trente-cinq fois, mais il va falloir que je le repasse tout de même. Je me demande parfois quel garçon de Nanterre, qui y va de la matraque ou du cocktail Molotov, au moindre soupçon d’un contrôle de connaissance, supporterait ce régime-là ? ». 14

Après avoir été interprété au théâtre de L'Athénée-Louis Jouvet, au cabaret Le Fanal et au Théâtre de l’Œuvre, il était temps pour Anouilh de retrouver le plateau de la Comédie des Champs-Élysées.

Son manuscrit Les Oiseaux, écrit en 1974 fut retenu par Claude Sainval pour être mis en scène en décembre 1976. On dut toutefois en modifier légèrement le titre, déjà utilisé par Albert Hitchcock pour son célèbre film admiré dans le monde entier. Les Oiseaux devinrent Chers Zoiseaux.

Chers z'oiseaux de Jean Anouilh
Collections A.R.T.

Qui étaient-ils ces Chers Zoiseaux ? Des filles, des gendres, des petits enfants insupportables qui vivaient au crochet d’un vieil auteur de romans policiers à cours d’imagination. Fatigué, las de chercher sans espoir l’Idée originale, l’auteur finit par s’inspirer de la faune familiale qui s’agitait autour de lui ( l’intellectuel gauchiste, la jeune mère évaporée… etc. )

La satire politique et sociale de la pièce amusa à la fois le public et la critique dans son ensemble.

Chers Zoiseaux de Jean Anouilh, Michel Lonsdale et Odile Mallet
Chers Zoiseaux
Michel Lonsdale et Odile Mallet

programme original
Collections A.R.T.

voir l'intégralité du programme

« Pour une fois, Guignol rosse le commissaire du peuple. On parlera longtemps encore de cette volée de bois vert, signée d’un Anouilh des très grandes années » 15 , « Jamais Anouilh n’a mené avec plus d’alacrité la charge contre la bourgeoisie pervertie. Jamais il n’a peint plus cruellement les richards englués dans les contradictions du capitalisme, bourreau de soi –même. Jamais les délires et les hypocrisies du gauchisme mondain n’ont été soulignés avec plus d’allègre sadisme ». 16

« Bon ! Certains vont faire la fine bouche. Ils auront tort. On jubile comme à la foire, au jeu de massacre. Ni plus, ni moins. Les pantins saluent, tout est dit… Anouilh a gagné la partie ». 17

En raison de son remarquable succès, Chers Zoiseaux tint l’affiche jusqu’à l’été 1977.

1 Réplique d’Antonio dans le premier acte
2 Georges Lerminier Le Parisien 14 octobre 1972
3 Guy Dumur Le Nouvel Observateur 9 octobre 1972
4 Le Figaro 18 septembre 1972
5 idem
6 Françoise Varenne Le Figaro 7 novembre 19 74
7 Jean Mara Minute 4 décembre 1974
8 Patrick de Rosbo Le Quotidien de Paris 4 novembre 1974
9 Valeurs actuelles15 septembre 1975
10 Gabriel Wagner revue Triades
11 Valeurs actuelles 11 octobre 1976
12 Le Quotidien de Paris 1er octobre 1976
13 L’Humanité - Titre de l’article : De l’estomac, plus de dent - 1er octobre 1976
14 Paris-Match 2 octobre 1976
15 Dominique Jamet L'Aurore 4 décembre 1976
16 Claude Lorne Rivarol 23 décembre 1976
17 Pierre Marcabru Le Figaro 4 décembre 1976


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