Association de lalogoRégie Théâtrale  

2
Naissance d'une vocation

Le jeune Anouilh répondit tout d’abord à une annonce des Grands magasins du Louvre qui offrait un poste de rédacteur au service des réclamations. Le travail était fastidieux. Il le quitta au bout de quelques semaines et fut engagé dans une agence de publicité. La tâche était plus amusante, elle consistait à inventer des slogans. C’est alors que « Cette concision m’a beaucoup appris pour le théâtre ». 1 Il fit connaissance des écrivains Jean Aurenche, Georges Neveux, Jacques Prévert et quelque temps plus tard de Roger Vitrac. La lecture et le théâtre se partageaient ses loisirs.

Au printemps 1928, il apprit que le comédien Louis Jouvet, directeur du théâtre de la Comédie des Champs Élysées, accordait des prix de faveur à la jeunesse. Prenant son courage à deux mains, Jean lui écrivit : « Monsieur, je suis étudiant et fauché. J’ai vingt camarades aussi fauchés que moi qui viennent vous applaudir au poulailler depuis longtemps déjà… etc, etc ». 2 Très touché, Jouvet ne se fit pas prier et le jeune Anouilh fut invité à une représentation de Siegfried de Jean Giraudoux. . Il se souvint : « Oh , les sorties de Siegfried … Le Théâtre, ma vie en beauté, la poésie, l’inaccessible, enfin avait élu domicile entre le métro l’Alma et l’hôtel Plazza … ». 3

Outre Jean Giraudoux , Jean Cocteau devint un maître pour le jeune passionné de théâtre : « J’avais acheté d’occasion un des numéros des Œuvres Libres qui publiait Les Mariés de la Tour Eiffel. Dès les premières répliques quelque chose fondit en moi : un bloc de glace transparent et infranchissable qui me barrait la route (…) Jean Cocteau venait de ma faire un cadeau somptueux et frivole. Il venait de me donner la poésie du Théâtre ». 4

Alors l’adolescent se crut auteur dramatique. Ce fut tout d’abord Le Mystère de la Nativité, relatant la marche des bergers et des rois mages conduits par l’étoile miraculeuse vers Bethléem.

Puis naquit, en collaboration avec Jean Aurenche, Humulus le muet. C’était une farce, un lever de rideau de la longueur d’un sketch. Un jeune amoureux, ne pouvant prononcer qu’un mot par jour, demeurait silencieux pendant un mois pour faire sa déclaration en trente mots. La bien aimée sortit alors, de son sac, son cornet acoustique, lui demandant de bien vouloir répéter, car elle était sourde …

En 1930, Georges Neveux, secrétaire général de la Comédie des Champs-Élysées fut recruté, en tant que scénariste, par la Metro Golwyn Meyer. Pour lui succéder au théâtre, il recommanda chaleureusement Jean Anouilh à Louis Jouvet. Le travail consistait à découper les extraits de journaux, à écrire des communiqués de presse, à lire des manuscrits, établir pour chacun une note de lecture et préparer une réponse. La tâche la plus délicate était de la composition des plans de salles de Générales, ce qui donnait lieu à des gaffes mémorables, car Anouilh ne connaissait personne à Paris, c’était ainsi qu’ une notabilité fort influente se trouvait très mal placée alors qu’un quidam inconnu trônait au milieu du troisième rang d’orchestre.

Les rapports entre Louis Jouvet et Jean Anouilh furent toujours plus ou moins tendus. Tandis que le secrétaire ruminait « son humiliation de jeune homme pauvre, ignorant des usages » 5 , le patron méprisant le traitait de « miteux ». Mais qu’importe, le jeune Anouilh avait un espoir en tête, celui de devenir l’ auteur dramatique dont les pièces seraient un jour affichées à la Comédie des Champs-Élysées. Il décida désormais de faire lire tous ses manuscrits à son patron. Ce fut ainsi que Jouvet prit connaissance de la première vraie œuvre de Jean Anouilh Attila le Magnifique, pièce qui avait un relent d’autobiographie : « Attila c’est un jeune homme de trente-deux ans, vieilli dans les jupes de sa mère. Il est bégayant et timoré devant les femmes, il est ridiculement sentimental, il a cette inélégance qui tient de l’habitude de la laideur et de la dèche et pourtant un soir c’est encore lui qui est l’homme au milieu de tous les magnifiques mâles qui sont là parce sa maladie d’estomac l’a empêché de boire autant que les autres ? peut –être parce qu’il a la foi dans l’amour, dans une âme candide ? ». 6 Après lecture du manuscrit, sans rien promettre, Jouvet encouragea le jeune auteur en lui conseillant de travailler.

Et Anouilh devait se contenter de son poste de bureaucrate qui aurait sans doute fini par dégoûter du théâtre.

Le service militaire vint à point. Le 15 octobre 1931, le jeune appelé fut affecté au 168ème régiment d’Infanterie à Thionville, mais il sera réformé temporaire, deux mois plus tard , pour insuffisance cardiaque et rhumatisme articulaire.

1 Jean Anouilh : La Vicomtesse d’Erispal n’a pas reçu son balai mécanique Éditions La Table ronde janvier 1997
2 Anca Visdei Jean Anouilh, une biographie Éditions de Fallois 2012
3 Jean Anouilh : La Vicomtesse d’Erispal n’a pas reçu son balai mécanique Éditions La Table ronde janvier 1997
4 Anca Visdei Jean Anouilh, une biographie Éditions de Fallois 2012
5 Hubert Gignoux Jean Anouilh Éditions du Temps présent 1948
6 Anca Visdei Jean Anouilh, une biographie Éditions de Fallois 2012

Haut de page

retour suite
Table des matières

la mémoire du théâtre