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Les débuts d’un auteur

Alors qu’il travaillait encore à la Comédie des Champs-Élysées, Anouilh, inspiré par le personnage de Raskolnikov de Crime et Châtiments écrivit une pièce en trois actes, L’Hermine. Frantz, follement amoureux de Monime, nièce et héritière d’une riche duchesse qui n’acceptait pas d’avoir pour neveu un roturier, n’hésitera pas à devenir un criminel. Louis Jouvet ne s’intéressant pas à la pièce, Anouilh envoya le manuscrit à Pierre Fresnay. Enthousiaste, celui-ci s’empressa de le soumettre à Paulette Pax et Lucien Beer, directeurs du théâtre de l'Œuvre. Ils acceptèrent de monter le spectacle à condition que Pierre Fresnay, vedette de cinéma, ne soit pas exigeant sur son cachet. Fresnay accepta de « jouer au pourcentage » au-delà d’une recette de 1.500 frs, somme qui ne fut jamais atteinte ... et l’acteur ne gagna pas un sou.

Pierre Fresnay et Marie Reinhardt dans L'Hermine de Jean Anouilh
L' Hermine
Pierre Fresnay et Marie Reinhardt

(photo Lipnitzki)
Collections A.R.T.

La pièce, créée le 26 avril 1932, fut jouée quatre vingt dix fois et connut un certain succès, encore que la critique y dénonçait une certaine inexpérience de l’auteur. Pierre Brisson terminait un long article sur quatre colonnes par cette phrase : « Tout cela reste très chaotique. Mais il y a un rythme d’accent, une abondance et une vigueur qui marquent un tempérament de théâtre. Attendons avec curiosité son prochain ouvrage ». 1

La pièce eut l’honneur de plaire à un spectateur-cinéaste qui en acheta les droits pour un film qui ne fut jamais tourné.

Alors qu’elle s’apprêtait à faire imprimer les affiches de L’Hermine, Paulette Pax fit remarquer à Jean Anouilh que la consonance de son nom prêtait à quelques plaisanteries de mauvais goût. Le jeune auteur voulu néanmoins le garder, sinon qu’il lui vint une idée : signer les pièces graves du nom d’emprunt de Jean-François Arn et garder Anouilh pour les comédies, puis il décida finalement qu’il conserverait son nom de naissance pour signer toutes ses œuvres à venir mais qu’il les classerait en plusieurs catégories : les pièces roses, les pièces noires, les pièces grinçantes, les pièces brillantes ...

Ainsi en sera-il fait.

L'Hermine de Jean Anouilh
Décor de L' Hermine
Archives du Théâtre de l' Œuvre 1932-1940

(photo DR)
fonds Georges Herbert
Collections A.R.T.

1932 : Jean fit la connaissance d’une jeune comédienne Monelle Valentin, dont il tomba éperdument amoureux. Ils s’installèrent tous deux, dans un appartement de la rue du Vaugirard. Fort impécunieux, ils eurent recours à Louis Jouvet qui leur prêta des meubles de théâtre, ainsi s’aimèrent-ils dans lit de Volpone et Jean Anouilh écrivit-il Jézabel ( pièce évoquant les rapports détestables entre une mère et son fils et qui ne sera jamais jouée en France ) sur la table du Pain de Ménage.

C’est alors que Louis Jouvet quitta la Comédie des Champs-Élysée pour s’installer au théâtre de l’Athénée. L’un de ses premiers spectacles fut consacré à La Mandarine, œuvre de son ancien secrétaire. L’après-midi du jour de la Générale, le feu prit au théâtre, les pompiers intervinrent très rapidement et l’on put jouer le soir. Cet incendie était-il un présage ? Le spectacle fut un échec et la pièce fut retirée de l’affiche au soir de la treizième représentation.

Il n’était pas question, toutefois, de se décourager et Jean se remit au travail.

Marie Bell, ancienne sociétaire de la Comédie Française, retint le manuscrit : Y’avait un prisonnier pour être monté au Théâtre des Ambassadeurs. Créée le 21 mars 1935, la pièce racontait l’histoire de Ludovic, homme d’affaires véreux, qui, après treize ans de prison, n’arrivait pas à se réintégrer dans sa vie de famille. Le spectacle ne trouva pas son public et ce fut encore un demi échec.


Programme original de Y'avait un prisonnier
( Bibliothèque historique de la ville de Paris )

voir le programme originale

Décidément le théâtre ne nourrissait pas son homme. Heureusement qu’ Anouilh avait été engagé pour réécrire des dialogues de films et que Monelle Valentin signait contrat sur contrat en tant que comédienne.

1937 est une année de rencontres heureuses : ce fut tout d’abord celle de Georges Pitoëff qui inscrivit au programme de sa Compagnie Le Voyageur sans bagage. La pièce créée le 16 février, au théâtre des Mathurins, fut un succès inespéré. L’histoire dramatique et parfois amusante de ce malheureux amnésique, de retour de guerre, que différentes familles tentaient de s’approprier passionna le public et la critique : « Il m’est doux qu’un sanglot crève en éclat de rire et qu’un échange comique de réparties amasse les larmes » écrivit Colette dans le quotidien Le Journal.

Ludmilla et George Pitoëff dans Le Voyageur sans bagage de Jean Anouilh
Le Voyageur sans bagage
Ludmilla et George Pitoëff
Théâtre des Mathurins
in La Petite Illustration 1937

Collections A.R.T.

Jean Anouilh reprit courage et fit une seconde rencontre, plus importante encore que la première, celle d’Andrée Barsacq, jeune metteur en scène et décorateur. Tous deux deviendront de grands amis.

Le 11 janvier 1938, Georges Pitoëff affichait au théâtre des Mathurins La Sauvage, pièce en trois actes commencée en 1934 et retravaillée cent fois. Le sujet en est ardu, il s’agissait du rapport de l’Homme avec l’ARGENT. Deux jeunes gens s’aimaient, il était riche, elle était pauvre, il voulait l’épouser, elle finit par le quitter sur cette réplique : « Tu comprends, Florent, j’aurai beau tricher et fermer les yeux de toutes mes forces ... Il y aura toujours un chien perdu quelque part qui m’empêchera d’être heureuse ». La pièce fut fort applaudie par le public mais la critique se montra partagée dans ses jugements. Tandis qu’il trouvait l’ouvrage « le plus neuf de la saison », Robert Brasillach le décrivait comme « inégal et émouvant ». 2 Gaston Rageot résumait ainsi son article : « Beau sujet, œuvre indécise ». 3 Par contre, Colette s’extasiait : « Un accent qui se reconnaît dès les premières répliques, une aptitude à la grandeur, la facilité, dévolue à Anouilh de dépasser les auteurs dramatiques de sa génération, les charmes d’une fraiche matière intellectuelle, voilà bien de quoi emporter, effacer ce qu’au passage nous avons cru pouvoir nommer faiblesse ». 4

Programme original de la Répétition Générale de La Sauvage de Jean Anouilh
Programme original de la Répétition Générale de La Sauvage
Collections A.R.T.

Le spectacle, joué une centaine de fois, fut repris en mars 1945 à la Comédie des Champs-Élysées.

La Sauvage Comédie des Champs-Élysées
La Sauvage, reprise à la Comédie des Champs-Élysées
(photo Harcourt)
fonds roger Lauran
Collections A.R.T.

Le 17 novembre de cette même année 1938, André Barsacq qui dirigeait La Compagnie des Quatre Saisons mettait en scène, au Théâtre des Arts, Le Bal des Voleurs comédie dont Anouilh, encore adolescent, avait rédigé, en 1929, la première mouture et retravaillé son texte à plusieurs occasions depuis 1933. « Ce rayon rose dans le ciel noir des précédentes pièces d’Anouilh fut une surprise pour tout le monde. Le trio des Voleurs qui prennent les déguisements pour se rouler les uns les autres, entraina les spectateurs dans une ronde infernale , à laquelle les plus moroses n’ont pu résister. Je dois dire que, personnellement, je conserve à ce Bal des Voleurs une prédilection particulière, celle que l’on garde pour les œuvres de jeunesse , nées dans l’enthousiasme et la joie ». Ainsi s’exprimait André Barsacq quelques années plus tard. 5 Et lorsqu’en 1940, Charles Dullin, nouveau directeur du Théâtre de la Ville, quitta la salle de l’Atelier en la confiant à A. Barsacq, ce fut avec Le Bal des Voleurs que ce dernier inaugurera sa direction.

Le Bal des voleurs de Jean Anouilh
Le Bal des voleurs
René Clermont, Maurice Jacquemont, Germaine Montero, Denise Jovetel, Jean-Roger Caussimon et Madeleine Joeffroy

(photo Georges Henri)
fonds Maurice Jacquemont
Collections A.R.T.

Bientôt, une nouvelle création d’un tout autre genre comblera de joie le jeune couple Anouilh : la naissance de leur petite fille Catherine.

Septembre 1939, la guerre... Anouilh, quoique réformé, fut rappelé en service auxiliaire à Auxerre. En juin 1940, fait prisonnier, il passa deux mois en captivité, avant de reprendre le chemin des théâtres.

1 Pierre Brisson Le Temps 2 mai 1932
2 L‘ Action Française 21 janvier 1938
3 Les Annales politiques et littéraires 21 janvier 1938
4 La Jumelle noire Tome I 1938
5 Cahier de la Compagnie Madeleine Renaud-Jean-Louis Barrault n° 26 mai 1959

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