Association de lalogoRégie Théâtrale  

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Un monde peu fréquentable

En 1951, de retour au Théâtre de l’Atelier, Jean Anouilh proposa à André Barsacq de monter Colombe. Ce dernier s‘enthousiasma pour cette pièce dont il résumait le sujet mieux que personne : « Autour de deux héros Julien et Colombe, Anouilh a su faire revivre avec brio la faune pittoresque des coulisses théâtrales du début du siècle. La vieille actrice célèbre, monstre sacré, momifié dans son égoïsme de parade, son poète attitré, le directeur libidineux, le grand premier rôle aux moustaches vernissées, la vieille habilleuse bavarde et le secrétaire haineux de la Diva, y forment une galerie de tableaux prestement enlevés, chef d’œuvre de cocasserie et de vie (…) Ce monde frelaté et clinquant attire l’innocente colombe qui, à son tour, attire tous les hommes qui gravitent autour d’elle et essaient de la séduire en éveillant sa perversité cachée. Son mari, Julien, de retour du camp de Châlon (…) découvre avec stupeur le petit monstre d’égoïsme et d’inconscience qu’est devenue sa femme ». Les répétitions se passèrent dans un climat de confiance et de cordialité. Un article d’avant-première, paru le 17 janvier dans Opéra, montrait une photo de Danièle Delorme, dans le rôle de Colombe, accompagnée du texte suivant : « Pour elle, le farouche Anouilh s’est fait tout miel. Il suit ses efforts et ceux de son partenaire Yves Robert avec attendrissement qu’il assure n’avoir jamais connu pour aucun acteur ».

Colombe de Jean Anouilh
Colombe
décor d' André Barsacq

photocopie couleur
Collections A.R.T

Le spectacle remporta un très vif succès et connut une longue carrière, en dépit de quelques critiques impitoyables. Pour Guy Leclerc la pièce n’était qu’ « un bain de boue (…) une idéologie décadente et dégradante ». 1 Elsa Triolet parlait « de pourriture (…) d’une véritable galerie de monstres (…) de quelque chose de diabolique dans le malfaisant ». 2 En revanche, dans Les Nouvelles littéraires, Gabriel Marcel se montrait plus qu‘enthousiaste: « L’autre soir en écoutant Colombe j’ai de nouveau été saisi d’admiration par l’extraordinaire don théâtral de Jean Anouilh » et pour Roger Nimier, critique le l’hebdomadaire Arts : « La dernière œuvre de Jean Anouilh vient de commencer une carrière éclatante, celle des œuvres où tout est réussi ».

Au début de l’année 1952, Jean Anouilh fit répéter, en duo avec Roland Piétri, La Valse des toréadors. Deux ans auparavant, lorsqu’il eut terminé le manuscrit de la pièce, il avait tenu à le soumettre à Louis Jouvet : « Pour vous mettre à l’aise, lui dit-il c’est une pièce que vous ne pourrez vraisemblablement pas jouer. Mais je serais heureux de vous lire… ». D’après son secrétaire, Léo Lapara, Louis Jouvet aurait détesté l’ouvrage : « Avec sadisme, Anouilh me semble ne se délecter que dans la souffrance d’autrui et ne prend plaisir qu’à donner jeu à des personnages ignobles, odieux, méprisables, infréquentables (…) Quelle sordide compagnie ! Pas un seul être de chair ! Pas une once d’humanité, de générosité ! ». 3

La Valse des Toréadors de Jean Anouilh
La distribution de La Valse des Toréadors
programme original
Collections A.R.T.

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En effet, un général grincheux, coureur de jupon, une épouse acariâtre et jalouse, deux adolescentes sosottes et disgracieuses, une vieille fille amoureuse qui se dessèche en ne pouvant oublier la valse dite Valse des toréadors dansée, autrefois, dans les bras d’un jeune officier fringant, devenu, avec le temps, une vieille ganache, tous ces personnages ne donnaient guère envie de les fréquenter, par contre ils étaient suffisamment ridicules et comiques pour donner envie rire. Acharné, Jean Anouilh défendit son œuvre : « J’ai un faible pour La Valse des Toréadors et j’y vois deux raisons. D’abord, j’ai trouvé en elle un ton moliéresque de farce tragique ; ensuite elle fut fortement attaquée. Un père garde toujours un faible pour ses enfants opprimés. Je crois bien que j’ai rarement été aussi insulté... ». 4

Fait tout-à-fait étrange, lors de la reprise de la comédie, en 1973, elle fut fort applaudie. Les critiques allèrent jusqu’à se désavouer. C’est ainsi qu’après avoir écrit que le spectacle était : « le plus accablant, le plus glaçant d’Anouilh ! », 5 vingt et un ans plus tard, Jean-Jacques Gautier abonda de compliments envers la pièce qui : « déborde de vie humaine et théâtrale, (…) la tragi-comédie aboutit à une bouffonnerie tragique assez grandiose ». 6 Était-ce la présence de Louis de Funès dans le rôle du général qui fit basculer la pièce du four au triomphe ?

La Valse des toréadors de Jean Anouilh
La Valse des toréadors
Affiche de la reprise en 1973

Collections A.R.T.

Le temps avait passé et la petite Catherine Anouilh était devenue une très jolie jeune fille qui allait se marier. Comme cadeau de noces, son père lui offrit une comédie spécialement écrite à cette occasion. Ce fut Cécile ou l’École des pères. La pièce sera jouée, le soir du mariage, à la Comédie des Champs-Élysées, le 12 décembre 1952.


Mariage de Catherine Anouilh à la Comédie des Champs-Élysées
de gauche à droite : Monelle Valentin, Jean Anouilh et Catherine Anouilh

(photo Lipnitski)
fonds Roger Lauran
Collections A.R.T.

Œuvre légère où il est question d’amour, bien sûr : M. Ourlas, veuf, vit avec sa fille Cécile et la gouvernante de celle-ci, Araminthe. Cécile s’est éprise du Chevalier, ce qui déplaît à son père, mais ce dernier, amoureux de la très jeune Araminthe, a-t-il le droit de dire quelque chose ?

Cécile ou l'école des pères de Jean Anouilh
Cécile ou l'école des pères - 1954
Catherine Anouilh et les maquettes de costumes de Jean-Denis Malclès

programme original
Collections A.R.T.

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La comédie fut reprise en alternance avec Il est important d’être aimé d’Oscar Wilde, - traduction Jean Anouilh -, à partir du 29 octobre 1954. Pour une fois, les critiques se montrèrent aimables, ils louèrent « l’amusant divertissement», « la fraîcheur de l’écriture», « la fantaisie de l’auteur». L’un d’eux alla jusqu’à vanter « le sourire discret dont il (Anouilh) voile toutes choses est un merveilleux manteau transparent ». 7

1 L’Humanité dimanche 18 février 1951
2 Les Lettres françaises 22 février1951
3 Dix ans avec Jouvet Éditions France Empire 1975
4 André Dulière Rencontre avec la gloire Éditions Duculot 1959
5 Le Figaro 11 janvier 1952
6 Le Figaro 29 octobre 1973
7 XXX L’Information 30 octobre 1954

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