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Jean Bernard-Luc

par Jean-Jacques BRICAIRE

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Jean Bernard-Luc Collection A.R.T.

ou Le Pamphlétaire souriant
(1909-1985)

Michel Aubriant écrit, en 1969, à l’occasion de la publication de  Carlos et Marguerite : « Jean Bernard-Luc a la chance – Dieu le garde – de ne pas encore figurer dans les Histoires du Théâtre ».(1) Sans très bien comprendre le pourquoi de cette chance, on peut, à l’inverse, l’assimiler à une injustice. En effet, si les auteurs discrets n’ont pas d’histoire croit-on, Jean Bernard-Luc ne cessera de mener la vie passionnante d’un auteur perpétuellement à l’affût des faiblesses de ses contemporains, trop heureux de s’en faire le pourfendeur.

(1) Paris-Théâtre, n° 94 – Janvier 1955.

  1. Une jeunessse prometteuse
  2. Les années – cinéma
  3. Les années de purgatoire
  4. Quelques pièces
  5. Oeuvres dramatiques

1. Une jeunesse prometteuse

Issu d’une famille béarnaise, Lucien Boudousse est né au Guatemala en 1909. Son père avait émigré quelques années auparavant en Amérique Centrale pour y fonder une maison d’import-export. Il vient en France à l’âge de trois ans avec ses parents qui s’y établissent définitivement. Il partage son enfance entre le Sud-Ouest de ses ancêtres ( à Maubourguet où vivent ses grands-parents ) et la capitale. Études sans histoire à Gerson, Jeanson de Sailly, École Supérieure de Commerce. Mais il n’est pas tenté par l’import-export et décide de se consacrer à l’écriture. Pour vivre, il devient figurant de cinéma, régisseur d’une compagnie théâtrale Le Tremplin, nègre de dialoguistes de cinéma.

En 1936, il enterre sa vie de garçon en épousant Denise, mannequin de haute couture. Il assiste dans le même temps à la création de sa première pièce,  Don José, montée par René Lefèvre à Bruxelles, qui ne sera malheureusement pas reprise à Paris. L’histoire d’un très modeste employé de banque qui, jusque-là n’a connu que des amours passagères avec des midinettes. Mais dans cette âme plutôt naïve sommeille un Don Juan, malheureusement paralysé par une grande timidité. Il sera ridiculisé par un faux ami qui l’a berné en lui laissant croire qu’une jeune fille est éprise de lui. Celle-ci, bien que touchée par la candeur, la mélancolie et la sensibilité de Don José, partira néanmoins avec l’ami abuseur.

 Le succès n’attend pas

La guerre éclate. Denise lui a donné un fils, Jean-Charles. Jean est fait prisonnier, il s’évade et se réfugie en zone libre où il écrit ses premiers scenarii de films et une pièce, Le Dîner de Famille – ex-Peau neuve – qui, après la Libération, sera créée au théâtre de la Michodière le 1er décembre 1944 avec Michel Vitold et Gabrielle Dorziat. La comédie est très bien accueillie par la critique et connaît une carrière plus qu’honorable. Le héros de la pièce est un garçon qui devrait avoir tout pour être heureux, mais qui vit sous la domination d’une tante tyrannique. Il partira en faisant croire que c’est avec la caisse de son patron. En réalité, il part pour s’éloigner, préférant souffrir debout que vivre à genoux.
Jean Bernard-Luc connaîtra son véritable succès deux années plus tard avec L’Amour vient en jouant qui sera créée le 22 avril 1947 au Théâtre Edouard VII par la Compagnie Claude Dauphin et reprise en septembre de la même année au théâtre des Capucines avec Danielle Darrieux et Claude Dauphin en tête de distribution. La pièce connaît 250 représentations au Théâtre Edouard VII .

En 1949, l’auteur change de registre et écrit une tragédie surprenante en un acte et deux personnages : Nuit des hommes, pièce créée au théâtre de l’Atelier le 29 novembre 1949, avec Michel Vitold et Jacques Dumesnil. La critique reconnaît à l’auteur ses qualités de construction, de dialogue et d’originalité. « La plus belle tragédie de l’après-guerre » écrira le journaliste Yan Audouard. Tandis que l’on se bat dans les rues au soir de la Libération, le mari et l’amant de Laura se querellent, confrontent leurs douleurs respectives, puis s’inquiètent ensemble de la disparition de la femme qu’ils aiment. Qu’est-elle devenue ? En fait elle est partie avec un autre homme et ils sont morts tous les deux.

2 . Les Années cinéma

Au cours des années 1946 à 1950, l’auteur signera le scénario du Visiteur, de Prélude à la gloire et, en collaboration avec Jean Anouilh dont il deviendra l’ami, Monsieur Vincent et Pattes blanches. Tous ces films rencontreront de grands succès. En qualité de dialoguiste, il collaborera à plus de cinquante films, dont Michel Strogoff  et Caroline chérie, le triomphe avec Martine Carol.

Retour au Théâtre
Une grande comédie satirique éclate le 10 décembre 1950 sur la scène du théâtre Montparnasse. C’est Le Complexe de Philémon, pamphlet décoché contre la psychanalyse et interprété par Suzanne Flon et Henri Guisol (1)  « C’est une soirée où l’on rit, et c’est si bon de rire » s’exclamera Elsa Triolet en sortant du théâtre. Ce succès connaîtra plus de six cents représentations.

Fort de sa réussite, Jean Bernard-Luc embrasse dorénavant tous les genres, du drame bourgeois à la comédie de caractère, de la tragédie intime à la comédie satirique, de la fantaisie légère au vaudeville. La plupart du temps, il puise son inspiration dans les sujets contemporains. Cette critique ironique et comique de certains travers de ses semblables marquera irrémédiablement Jean Bernard-Luc et sera appréciée par tous. « Un jeune homme qui aime le théâtre, un écrivain qui est un observateur attentif de son époque, un garçon à l’allure sportive qui possède le sens de l’humour, qui ne craint ni la fantaisie ni l’aventure ». (2)

« Jean Bernard-Luc, qui estime qu’il n’est point de meilleurs moralistes que ceux qui raillent les mœurs en s’en amusant, décide de porter à la scène les ridicules de notre époque ». (3)

Avec La Feuille de Vigne il s’en prend cette fois au fameux rapport Kinsey concernant la sexualité du couple. La pièce, mise en scène par Pierre Dux et interprétée par Jacques Dumesnil et Suzanne Dehelly, est créée au théâtre de la Madeleine le 25 mars 1952. Il s’agit d’un gentilhomme gascon excessif et de bonne foi qui se trouve aux prises avec les nouvelles théories d’orientation sexuelle. Le sujet était dangereux à traiter car, à vouloir braver ce ridicule, on pouvait facilement tomber dans une certaine vulgarité. C’est pourquoi la critique a été mitigée, mais pas le succès qui a été assez vif, avec neuf mois de représentations.

La pièce suivante évoque l’aboulie, une maladie qui se traduit pour le patient par une incapacité à choisir, à décider. C’est ce dont souffre Marguerite dans Carlos et Marguerite. Elle a épousé un camarade d’enfance et a divorcé au bout d’un an de mariage. Pendant les cinq années qui ont suivi, elle a été incapable de fixer son choix sur un homme. Poursuivie par certains auxquels elle avait donné beaucoup d’espoir, elle va chercher refuge chez son ancien mari, le priant de passer pour l’être encore. La pièce est créée au théâtre de la Madeleine le 1er octobre 1954 avec Gaby Sylvia et Jean-Pierre Aumont.

Après l’adaptation d’un pièce américaine, La Lune est bleue qui connaîtra un joli succès, Jean Bernard-Luc produit le 5 décembre 1955 Les Amants novices au théâtre Montparnasse, l’histoire d’une jalousie, maladie qui ronge un prince florentin, dont toutes les femmes ne tardent pas à le tromper. Jusqu’au jour où il épouse une petite Française douce et pure qui n’a ni l’idée ni l’envie de le trahir. Mais la folie du prince va la pousser dans les bras de celui qui est chargé de veiller sur sa conduite. Réussite très relative.

Mais un nouveau grand succès se profile à l’horizon dramatique de Jean Bernard-Luc : Hibernatus, qui reprend le thème de L’Homme à l’oreille cassée d’Edmond About. La pièce, mise en scène par Georges Vitaly et interprétée par Jean-Pierre Marielle et Jean Parédès, est créée le 26 janvier 1957 à l’Athénée. (4) La pièce deviendra un film avec Louis de Funès, qui sera accueilli avec bonheur. Mais Edmond About avait fait d’autres émules. Au cours des représentations d’Hibernatus, Jean-Pierre Aumont écrit à Jean Bernard-Luc une lettre ouverte très courtoise qui signale à son confrère sa pièce Ange le bienheureux traitant du même sujet.
Après Hibernatus Jean Bernard-Luc se consacre uniquement à l’écriture cinématographique: La Belle et l’empereur (Romy Schneider) Le Tracassin (Bourvil), Le Caïd  (Fernandel), Les Trois mousquetaires, etc…

Bref retour au théâtre en 1965 avec un vaudeville écrit en collaboration avec Jean-Pierre Conty : Quand épousez-vous ma Femme ? créé au Théâtre du Vaudeville le 19 octobre 1964 avec Michel Serrault et Maria Pacôme. Gros succès comique. Un couple est en instance de divorce. Les deux conjoints ont déjà choisi le futur élu, ils se trouvent aux prises avec une tante farfelue qui avait été l’instigatrice du mariage et à laquelle il faut cacher pendant son séjour cet échec conjugal. Chassés-croisés, malentendus, quiproquos, portes qui claquent dans la plus pure tradition du vaudeville.

(1)  cf Analyses et critiques
(2) Philippe Soupault – Le Monde Illustré – 21 juin 1947
(3) Max Favalelli
(4)cf Analyses et critiques

3. Les années de purgatoire

Bientôt le nom de Jean Bernard-Luc disparaît des affiches aux frontons des théâtres parisiens. Pourquoi ? La raison en est partiellement donnée par Jean Anouilh  : « Quelque temps après la guerre, la vague de fond de la critique d’avant-garde qui surgit alors le submergera comme tant d’autres. Il eut de plus en plus de mal à faire jouer ses pièces, se heurtant au mur de béton des maisons de la culture et en souffrit amèrement ». (1)
Une maladie implacable aura raison de ce géant d’un mètre quatre vingt-dix. Atteint d’un cancer, Jean Bernard-Luc s’éteindra à Pontoise le 18 mai 1985, laissant une œuvre relativement peu nombreuse en quantité, mais qui n’aura connu aucun échec et restera le brillant reflet des ridicules d’une époque.

(1) Jean Anouilh – Le Figaro – 23 mai 1985

4.  Quelques Pièces

L’AMOUR VIENT EN JOUANT

Analyse.  Dans un castel de Normandie, Clara vit isolée du monde. Abandonnée il y a cinq ans par un mari volage, elle nourrit, depuis, à l’égard des hommes, une violente répulsion, et gifle à tour de bras les séducteurs assez audacieux pour franchir le seuil de sa porte. Arrive, sans complexes, Michel qui ne cache pas la vérité. S’il entreprend une conquête, réputée impossible, c’est qu’il a engagé un pari avec un camarade : avant huit jours, il doit être l’amant de Clara s’il veut emporter l’enjeu du pari qui se monte à cent mille francs.

Critiques.  « Il s’agit bien en effet d’un jeu, d’un simple divertissement que M. J. Bernard-Luc a conduit, durant deux actes, avec une grande virtuosité. Pour avoir voulu trouver à une situation artificielle une conclusion logique, l’auteur a faibli lors du dénouement. Évidemment, il ne saurait être question ici de recherches psychologiques ou d’analyse de sentiments. L’auteur n’a eu d’autre prétention que de réussir une gravure galante – et même un peu libertine – et elle nous a procuré d’autant plus de plaisir que M. Roger Dornes a su lui donner le style léger et gracieux de Carmontelle ».    Max Favalelli – Paris-Presse

« J. Bernard-Luc trouve injuste que le théâtre comique soit relégué, chez nous, au trente-sixième rang ; son dessein est de réagir contre ce pédantisme d’aujourd’hui, qui veut qu’on ait honte de rire… Aussi L’Amour vient en jouant  comprend-t-il un côté artificiel, systématique, sans aucune prétention à la réalité. Le mot jouer est compris dans trois sens différents : s’amuser, parier et interpréter une comédie, évidemment. Il s’agit de l’éternel jeu de l’homme et de la femme, celle-ci voulant qu’on la conquière après beaucoup de luttes, de joutes plus ou moins polies et coquettes ».   Guillaumet – Les Nouvelles littéraires

« C’est une pièce de boulevard au meilleur sens du terme : une pièce techniquement bien faite, ne manquant pas d’esprit, et interprétée par de très bons acteurs. Exactement ce qu’il faut pour passer une bonne soirée de délassement ».    Jacques Lemarchand – Combat

LE COMPLEXE DE PHILÉMON

Analyse.   Hélène et son mari François forment, depuis quinze ans, le couple le plus uni et le plus serein qui soit. Un jour, Hélène assiste à la conférence d’un psychanalyste de renom qui la persuade que son mari, en apparence normal, présente toute une série de tares et de défauts cachés, connus sous le nom de « Complexe de Philémon ». S’ensuit alors, entre les deux époux, un échange de propos cocasses qui préludent à des situations des plus inattendues.
Critiques.   « Sur un thème qui a le mérite de sortir des sentiers battus, l’auteur a écrit une comédie alerte, plaisante, pleine de trouvailles charmantes, dont quelques-unes sont d’un haut comique. Le dénouement est peut-être un peu lent et embarrassé, mais l’ensemble a un air légèrement loufoque qui est très séduisant. Je me suis beaucoup amusé ».
André Ransan– Ce Matin – Le Pays

« Excellent sujet que cette satire de la psychanalyse. M. Bernard-Luc a mis le doigt sur l’un des ridicules de notre époque (je parle, bien sûr de ces têtes un peu folles qui font du freudisme leur tarte à la crème et il en a tiré une comédie extrêmement réjouissante ».   Max Favalelli – Paris-Presse

« Un premier acte étincelant ; un deuxième où quelques passages pourraient être allégés, enfin un troisième acte dont la réussite rejoint le premier et nous vaut quelques scènes d’une cocasserie et d’une finesse exceptionnelles, tel est le très bénéfique bilan de cette soirée qui s’annonce comme devant avoir de très nombreux lendemains ».   Paul Abram– Libération

HIBERNATUS

Analyse.   Un bateau brise-glaces a ramené le corps d’un homme pris dans un bloc de glace depuis 1900. Restitué à sa famille, celle-ci a l’idée, pour éviter le choc de l’hiberné à son réveil, de restituer l’atmosphère et les costumes 1900, afin que ce dernier s’imagine que sa léthargie n’a duré que quelques semaines. Cette histoire va déboucher sur une suite de très nombreuses surprises pour ce jeune homme de 82 ans, et de situations particulièrement extravagantes et cocasses.

Critiques.   « L’hibernation est l’un des derniers dadas de la science moderne. Hier matin, les journaux nous informaient qu’on avait « gelé » Melle Martine Carol et hier soir, Jean Bernard-Luc, toujours à l’affût pour demander à l’actualité les thèmes de son inspiration, présentait une comédie satirique sur le même sujet. Il se trouvera peut-être quelques esprits chagrins pour considérer de haut cet Hibernatus. Je suis de ceux qui, sans arrière-pensée, y ont ri de bon cœur ».
Max Favalelli – Paris-Presse

« Ce n’est pas du grand théâtre. Ce n’est pas du vrai théâtre. C’est de l’excellent guignol ».   Robert Kemp – Le Monde

« Ce n’est que de l’excellent guignol, a dit sévèrement notre ami Robert Kemp. Mais si c’est là du guignol, je dirai « vive Guignol »… Je soutiens qu’ Hibernatus est beaucoup plus qu’un vaudeville, c’est une fantaisie très divertissante et que l’auteur a eu grand mérite de savoir animer jusqu’au bout ».     Gabriel Marcel – Les Nouvelles Littéraires

5.   Œuvres dramatiques

26-12-1936 – Don José – Belgique

1-12-1944 – Le Dîner de famille – Théâtre de la Michodière

22-4-1947 – L’Amour vient en jouant – Théâtre Edouard VII

29-11-1949 – La Nuit des hommes – Théâtre de l’Atelier

10-12-1950 – Le Complexe de Philémon – Théâtre Montparnasse

27-3-1952 – La Feuille de vigne – Théâtre de la Madeleine

1-10-1954 – Carlos et Marguerite – Théâtre de la Madeleine

29-1-1955 – La Lune est bleue (d’après Hugh Herbert) Théâtre Michel

5-12-1955 – Les Amants novices – Théâtre Montparnasse

26-1-1957 – Hibernatus – Théâtre de l’Athénée

19-10-1964 – Quand épousez-vous ma femme ? (avec J-P. Conty) Théâtre du Vaudeville