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Le metteur en scène détrône l’auteur dramatique

De 1953 à 1958, Camus se fait le traducteur ou l’adaptateur de sept pièces de théâtre. À la question posée lors d’une émission de télévision en 1959 : « Pourquoi travailler pour les autres ? », il répond : « Quand j’écris mes pièces, c’est l’écrivain qui est au travail (...). Quand j’adapte, c’est le metteur en scène qui travaille selon l’idée qu’il a du théâtre. Je crois, en effet, au spectacle total, conçu, inspiré et dirigé par le même esprit, ce qui permet d’obtenir l’unité du ton, du style, du rythme qui sont les atouts essentiels d’un spectacle. Comme j’ai la chance d’avoir été aussi bien écrivain que comédien ou metteur en scène, je peux essayer d’appliquer cette conception. Je me commande alors des textes, traductions ou adaptations, que je peux ensuite remodeler sur le plateau lors des répétitions et suivant les besoins de la mise en scène ».

Albert Camus en répétition
Répétition en plein air
(photo DR)
Coll. part.

Partant du plaisir qu’il prend à mener un spectacle de bout en bout, on comprend qu’il adapte un Don Juan pour le Festival d’Angers. Au sein d'une équipe de comédiens, sous une voûte d'été, l'homme de théâtre qu'est devenu Camus, comblé de bonheur, retrouve l'enthousiasme et la foi de sa jeunesse algérienne : « Le décor naturel, le vent, les nuages ou les étoiles donnent au drame une sorte de corps astral, et le contrechamp incessant de ces mouvements du ciel fournit à l'action une étrange et insaisissable unité qui n'est le fait ni du créateur, ni de ses interprètes, ni de ses serviteurs. Une parole humaine sous le ciel de nuit et, soudain familière, la grandeur s'installe sans bruit autour de nous ».

La Dévotion de la croix, Festival d'Angers
La Dévotion à la Croix
Décor conçu par le peintre Philippe Bonnet

(photo DR)
Coll. part.

Sur les mêmes remparts, l’année suivante, Marcel Herrand, très malade, fait néanmoins répéter Les Esprits de Larivey ( 1540-1619), et « Cet extravagant chef d’œuvre » 1 : La Dévotion à la Croix de Calderon. La version des deux ouvrages signée A. Camus est interprétée par un couple de comédiens extraordinaire, Casarès-Reggiani. Marcel Herrand souffre d’un cancer en phase terminale, il se sait perdu, mais il espère avoir le temps de réussir son ultime festival. Or, il meurt pendant les dernières répétitions. Albert Camus le remplace. Les spectacles, dédiés au disparu, obtiennent un triomphe.

La Tentation de la Croix
Serge Reggiani et Maria Casarès dans La Tentation de la Croix
in Théâtre de France
(photo DR)
Collection A.R.T.

Début mars 1955, le Théâtre La Bruyère affiche une pièce italienne : Un cas intéressant ( Casa Clinico ), adaptée par Albert Camus et mise en scène par Georges Vitaly, ( un ancien de la distribution de Caligula ). L’auteur, Dino Buzatti, est connu en France pour son roman Le Désert des Tartares. Modeste journaliste, il se montre fort honoré d’être traité en « collègue » et apprécié par un écrivain aussi célèbre qu’Albert Camus qui le décrit ainsi: « Grâce au ciel, Buzatti n’a pas la tête d’un intellectuel, mais celle d'un sportif, clair, d’un homme du peuple, solide, ironique avec bonhomie, en quelque sorte un visage de garagiste ».

Dino Buzzati, Un cas intéressant
Dino Buzzati
texte d' Albert Camus
programme originale d' Un cas intéressant

fonds Georges Vitaly
Collections A.R.T.

voir l'intégralité du programme

Quoiqu’il en soit, la pièce du « garagiste » est une œuvre inquiétante : Un riche industriel consulte pour un petit bobo. Au cours d’investigations médicales soi- disant rassurantes, le praticien le dirige petit à petit vers le quartier des mourants. Cette lente destruction par la maladie d’un être qui peu à peu prend conscience de son état ne pouvait que passionner Camus. « J’ai trouvé cette simplicité à la fois tragique et familière dans la pièce de Buzzati et j’ai, en tant qu’adaptateur, essayé de la servir ». 2 Seuls les spectateurs aux nerfs d’acier supportent le texte. Les autres, les sensibles, les inquiets, sortent du Théâtre La Bruyère totalement bouleversés. Le critique du Figaro est révulsé : « Je n’ai jamais vu une œuvre aussi horrible, aussi cruellement sadique, aussi oppressante, aussi épouvantable, aussi abominable, aussi intolérable ». Et le journaliste de Témoignage Chrétien se pose la question sacrilège pour un croyant: « La mort est-elle donc absurde ? ».

Un cas intéressant de Dino Buzzati
Un cas intéressant
Daniel Ivernel et Monique Delaroche

(photo Lipnitzki)
Collections A.R.T.


1 Jugement d’Albert Camus dans le programme
2 Combat 10 mars 1955

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la mémoire du théâtre