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Jacques DEVAL

par Jean-Jacques BRICAIRE

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Jacques Deval. Collection particulière

ou
La Noblesse du boulevard

Un auteur doté d’un don extraordinaire d’imagination. Une vigueur, une netteté, une acuité merveilleuses qui le placent hors du commun. Derrière une technique éblouissante, une petite musique de philosophe qui n’a jamais fait profession de philosophie. L’un des dialogues les plus justes, les plus riches et les mieux écrits.

1. Une affaire ce famille
2. La Carrière
3. A l’Assaut des USA
4. Le Purgatoire
5. L’Affaire Achard
6. Quelques pièces
7. Oeuvres dramatiques
8. Extrait de « Ce Soir à Samarcande »

1. Une affaire ce famille

Un petit gascon à Paris

Jacques Deval, né à Paris le 27 juin 1895, s’appelait pour l’État civil Boularan de Cambajoux, un nom qui évoque et s’apparente à Carbon de Casteljaloux, le capitaine des mousquetaires de Cyrano de Bergerac. Jacques Deval est donc un mousquetaire, mais doté d’une myopie démesurée ; on l’imagine mal en bretteur. C’est pourquoi il a troqué en 1912 son épée contre un sabre, ce qu’il raconte très drôlement et avec émotion dans Sabres de bois, ouvrage qui relate ses tribulations d’hyper myope relégué pour cette raison dans le service auxiliaire (cycliste en 1914 dans une formation d’infanterie). Ce sabre, il le remplacera bientôt par une plume pour le plus grand plaisir de plusieurs générations de spectateurs. Élève indiscipliné, il est allé, comme Sacha Guitry, de collège en collège : Condorcet, Louis le Grand, Henry IV, Chaptal, Lakanal. Moins que Sacha toutefois, qui avait fréquenté douze établissements en redoublant toujours la sixième. Il fallut expédier le jeune Deval à 16 ans en Angleterre chez les Maristes près de Canterbury. Il perfectionne son accent en faisant à pied le tour de l’Angleterre. Habitude de marcher qu’il conservera toute sa vie. À Hollywood, où il avait été appelé pour participer à l’écriture du scénario de Ninotchka, il stupéfiait tout le monde en se livrant à ce sport étrange et pratiquement inconnu là-bas : la marche.

Il revient à Paris finir ses études, prépare Normal Sup et obtient la licence es-lettres. Son père voulait qu’il devienne médecin comme lui et il n’était pas question qu’il puisse se tourner vers le théâtre. « Ce n’est pas sérieux. Fais d’abord ta médecine. Ton oncle te cédera son cabinet ». L’oncle était otho-rhino. Ayant toujours eu très envie d’écrire, Jacques avait déjà publié un recueil de vers, Le Livre sans amour. Il a raconté beaucoup plus tard qu’il n’avait écrit ces vers que pour obtenir l’argent que lui donnait son père chaque semaine alors qu’il était collégien : 70 francs en échange de 70 vers frais éclos. 

Le Théâtre en héritage

Mais l’hérédité veillait et revendiquait sa succession : son père Albert, dit Abel Deval, qui poursuivait dans sa jeunesse en province des études de médecine, sentit tout à coup se développer en lui la passion du théâtre. Il entra au Conservatoire, obtint un prix, et joua sur plusieurs scènes parisiennes. Il interpréta même quelques rôles importants auprès de l’illustre Sarah Bernhardt. Il poursuivait parallèlement ses études de médecine et passait sa thèse de doctorat. Mais le théâtre avait sa priorité et il prit en 1900 la direction de l’Athénée où il interpréta quelques rôles principaux. Puis, renonçant à paraître sur scène, il se consacra exclusivement à la direction théâtrale : l’Athénée toujours, puis Les Folies dramatiques, (1) en association avec M. Richemond, le Vaudeville et enfin Marigny.

Mais une autre passion habitait Abel Deval : les femmes. C’est lui qu’on avait baptisé « Divan le terrible ». Son fils Jacques a d’ailleurs repris fièrement le flambeau qu’il a fait brûler tout le long de sa vie sans jamais démériter. La troisième génération, en la personne de Gérard de Villiers, a toujours su se montrer à la hauteur de ses glorieux ancêtres. Jacques Deval a d’ailleurs écrit : « Les femmes, je les ai beaucoup recherchées et pas toujours à mon honneur. Ce qu’elles m’ont apporté vaut mieux que ce que je leur ai donné. Si l’on voulait me reprocher un certain nombre de sottises et même quelques mauvaises actions, c’est sur ce terrain-là qu’il faudrait les chercher. Il est vrai qu’en amour on ne sait jamais très bien où finit l’exagération ni où commence le mensonge. Nous promettons en vers et nous tenons en prose ». Il a été marié cinq fois. Sa cinquième femme Claude Godard, ancienne Miss France devenue sa secrétaire, apprit le jour de son mariage par l’officier d’État civil que son époux avait déjà convolé quatre fois. Son « fiancé » avait simplement négligé de l’en informer ; parmi tous ses enfants, on compte deux légitimes : Jacquie, décoratrice et scénographe d’expositions, et Alain, le dernier né, fils de Claude Godard-Deval. Parmi les « illégitimes », Bernard Echasseriau, l’auteur des Dimanches de Ville d’Avray dont on a tiré un excellent film, Gérard de Villiers, (2) l’auteur des S.A.S. que tout le monde connaît et enfin, Fabienne qui a épousé Topor.

(1) Théâtre disparu, situé Boulevard du Temple, devenu cinéma en 1930, et démoli en 1969
(2) Gérard de Villiers : Sabre au clair et pied au plancher, mémoires (Fayard)

2. La Carrière

Les Succès
En ce qui concerne sa première pièce, Jacques Deval raconte : « Il arriva que mon père se brouilla avec son meilleur ami qui dirigeait une autre scène ».
Pour l’embêter, celui-ci accepta d’emblée ma première pièce Une Faible Femme qui fut montée dare-dare et ne marcha pas trop mal.
On peut se montrer sceptique devant cette explication compte tenu de la qualité de la pièce qui allait brusquement catapulter Jacques Deval au firmament de l’art dramatique. Une autre source nous semble plus plausible, qui révèle que c’est à l’instigation du directeur du théâtre Femina, Richemond, ami d’Abel Deval, que la pièce fut écrite et représentée.

Une Faible Femme créée en mai 1920 au théâtre Femina (1) connaît immédiatement un succès foudroyant, la critique saluant unanimement un nouveau grand auteur. C’est alors le début d’une carrière particulièrement prolifique et généreuse si foisonnante, si diverse, qu’elle se refuse à toute étiquette. Il s’est énormément dispersé, investissant toutes les voies. Avec un tempérament d’auteur tragique, il a, avec une habileté déconcertante, écrit des comédies au dialogue à mille facettes, où le mot ne cesse de fuser.
Peut-on imaginer que Prière pour les vivantsMademoiselleLe Onzième CommandementTovaritch, L’Âge de Juliette, K.M.X. Labrador, Ce Soir à Samarcande, soient du même auteur ? Ses pièces sont à la limite du comique et du tragique.

Après Une Faible Femme, les succès se succèdent. On en trouvera la liste plus loin.

(1) Ancien théâtre situé 90 Champs-Élysées, désaffecté en 1928 et dont l’immeuble fut démoli en 1951.

3. A l’Assaut des USA

En 1930, il est appelé en Amérique en qualité de scénariste. C’est pendant son séjour aux USA qu’il se liera d’amitié avec Céline, ce qu’il relatera dans ses souvenirs Rives Pacifiques ( N.R.F. 1937 ). Dans la biographie de Céline de François Gibault ( Mercure de France ) on peut lire: « Pendant son séjour à Los Angeles, Céline visita Hollywood où il rencontra beaucoup de gens de cinéma, et toute une équipe de Français parmi lesquels Jacques Deval qu’il affectionnait tout particulièrement et qui menait alors joyeuse vie ». Paul Marteau a noté dans son journal ce que Céline lui avait raconté : « Il nous parle de Jacques Deval, évoqué par Pascaline (Madame Marteau). Il l’a connu à Hollywood, priapipe comme personne, fuyant l’une pour essayer l’autre ». Le même écho se trouve dans une lettre écrite par Céline à Milton Hindus : « J’ai retrouvé grâce à vous Jacques Deval. J’ai été avec lui à Hollywood. Nous avons demeuré ensemble plusieurs mois, lui, moi et ses femmes. Car il mène une vie de nabab à la Alexandre Dumas. C’est un admirable cœur et l’un des plus subtils esprits que je connaisse. Il faudrait absolument que vous le connaissiez. Vous l’aimerez sûrement beaucoup. C’est l’esprit français en personne – hallucinant presque – il est inquiétant, monstrueux de cruauté spirituelle » (lettre de Céline à Milton Hindus, 18 juillet 1947 ).

Deval rentrera des USA en 1934 pour y repartir en 1939 et s’y retrouvera alors bloqué par la guerre. Il ne reviendra qu’en 1947, au prix de graves difficultés avec le Trésor américain, qui le retient contre son gré : « J’avais projeté de regagner la capitale en 1945, mais le fisc me réclamait de l’argent indûment. Aux USA comme en France, les explications avec la loi sont toujours libres, mais longues, surtout quand le code nous échappe. J’ai passé deux années assis sur mes valises ».

4 . Le Purgatoire

À son retour, ses créations se succèdent au même rythme que précédemment, et sa production d’après-guerre est aussi abondante que celle d’avant-guerre.
Il écrira environ 25 pièces qui connaîtront des fortunes diverses mais seront toutes marquées de son talent incomparable. Il nous a quittés en décembre 1978, à 82 ans. Son œuvre traverse actuellement le « purgatoire des auteurs » mais connaîtra certainement une nouvelle gloire posthume.

En février 1993, Régis Santon directeur du Théâtre Silvia Montfort, reprend Lundi huit heures, créée en 1933.

Bernard Thomas, dans Le Canard Enchainé, écrit à cette occasion: « Cherchez le nom de Jacques Deval dans le Dictionnaire encyclopédique du Théâtre de Michel Corvin chez Bordas. Cherchez dans le Bompiani des auteurs ; à la rubrique des rase-tifs et des tartousards, pas un ne manque à l’appel. Lui, rien… Ce que c’est, de Tovaritch à Ombre chère, de Prière pour les vivants ou Ce soir à Samarcande à Marie Galante, avec lyrics de Kurt Weill, ou certains dialogues hollywoodiens pour Cukor ou Griffith, d’avoir fait, pendant des milliers de soirées le bonheur des spectateurs ».

Dignité de l’auteur

La raison de cet ostracisme est simple : Jacques Deval était un homme secret qui fuyait les honneurs comme il aurait fui la télévision vers laquelle aujourd’hui tous se précipitent : les acteurs – c’est normal, ils défendent leur fonds de commerce – mais les hommes politiques, les sportifs, les cuisiniers, les scientifiques ; tous s’y bousculent. Peut-on imaginer un vedettariat quelconque concernant un personnage inconnu du petit écran ? C’est donc moins le talent qui compte que la médiatisation. Si Jacques Deval s’était agité moitié moins que Marcel Achard, il figurerait dans toutes les encyclopédies. Il a pourtant cumulé bon nombre de fonctions artistiques : poète, romancier, auteur dramatique, dialoguiste, scénariste, metteur en scène. On peut dire à cet égard qu’il était l’anti-Achard…

Autant l’un recherchait les honneurs et s’était fabriqué un personnage incontournable de la vie parisienne, autant l’autre fuyait les mondanités. Son anti-conformisme était total. Il a toujours résisté aux sollicitations pressantes de son ami de jeunesse, Maurice Genevoix, qui souhaitait le voir rejoindre les rangs de l’Académie française. L’idée même des visites protocolaires lui était insupportable: « Moi qui n’ai jamais sollicité aucune faveur, aucune récompense, aller me déguiser en toréador vert à près de 70 ans, ce serait pour le moins badin. À d’autres toutes ces visites intéressées qu’il faut faire à 39 personnes. Au surplus, je n’ai jamais trouvé logique qu’on puisse offrir à la fois une épée et un fauteuil ! »

Sa sagesse était telle qu’à la veille de la « générale » d’une de ses pièces, il partait un mois en voyage, ignorant le sort réservé à son œuvre. Il voyageait d’ailleurs beaucoup. Pendant que ses confrères allaient de répétitions générales en cocktails, il s’exilait en Turquie ou aux Caraïbes, en oubliant de payer ses impôts.

Cette fantaisie cachait une discipline de fer. « Je commence à travailler chaque jour, où que je sois, vers cinq heures du matin, et cela jusqu’à onze heures. C’est une seconde nature. J’ai écrit en partie Mademoiselle sur le paquebot Ile-de-France ».

5. L’Affaire Achard

Deval rencontre un jour Marcel Achard. Chacun parle de ses projets et Deval apprend à son confrère qu’il est en train d’écrire une pièce sur fond d’intrigue policière dont l’originalité réside dans le fait qu’elle se passe entièrement dans le cabinet d’un juge d’instruction. ( Et l’enfer, Isabelle ? ). Achard trouve l’idée excellente et écrit L’Idiote, pièce sur fond d’intrigue policière dont l’action se situe entièrement… dans le cabinet d’un juge d’instruction… C’est une trahison que Deval ne peut accepter, et il écrit La Croix des Vaches (1), pièce mettant en scène Achard, sa femme Juliette et sa maîtresse du moment, Mélina Mercouri. La pièce est féroce et raconte la trahison dont il a été victime. Le « traître » ira jusqu’à piétiner le portrait de sa mère, le seul être qu’il ait vraiment aimé. L’académicien est devenu puissant et personne n’ose représenter la pièce. Le portrait de cet auteur de boulevard, Max Antoche (Alias Marcel Achard) qui désire frénétiquement entrer à l’Académie est si précis et si déplaisant que personne n’ose se lancer. C’est finalement un producteur américain, Georges Banyai, qui acquiert les droits et décide de monter la pièce à Édouard VII.

Opinion de Marcel Achard: « Il y a deux ou trois ans on m’a donné à lire La Croix des vaches: Je n’ai reconnu dans les personnages ni Jacques Deval ni moi-même. Si elle a attendu longtemps un théâtre, c’est peut-être tout simplement parce qu’elle n’est pas bonne. Pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’on la joue ». Et Juliette Achard d’ajouter : « Si quelqu’un a voulu nous nuire, c’est raté car cet incident nous a valu une avalanche de témoignages de sympathie et d’amitié en provenance des directeurs et des acteurs de théâtre ».

Jacques Deval répond le 29 avril 1966 dans Le Figaro : « Aussi vrai que Monsieur Achard exècre les bruits faits sur sa personne, aussi vrai qu’il a toujours répugné à défrayer la chronique des moindres péripéties de son existence, aussi vrai que sa fidélité en amitié, sa gratitude pour les services rendus, son dédain des appuis douteux sont quasi proverbiaux, il n’est rien dans ma comédie La Croix des vaches qui puisse être imputé ici et là à raillerie occasionnelle de ses travers ou de ses faiblesses, qui n’enlèvent rien à son charme vainqueur ». La pièce, tant mieux ou tant pis, ne verra jamais le jour.
On pourra lire plus loin un extrait de La Croix des vaches.

(1) Incision en croix sur le visage et qui constitue une marque d’infamie.

6. Quelques pièces

 CE SOIR À SAMARCANDE

Pièce créée le 29 septembre 1950 au Théâtre de la Renaissance.

Analyse
Nous faisons librement tout ce qui est écrit. Une femme a été mise en garde contre le destin qui la menace. Deux fois elle échappe à ce destin par sa seule volonté. Mais est-ce pour toujours qu’elle y échappe ?

Critiques

« La soirée que nous offre Jacques Deval est d’un agrément délicat et tendre comme un conte d’Andersen coloré par Walt Disney. Rien n’y est réel et tout y semble vrai. Pas une minute nous ne saurions admettre la véracité de son intrigue, et, par le miracle de son ingéniosité et l’attrait de son dialogue, pas un instant, alors qu’elle se déroule devant nous, nous ne doutons de sa réalité. Miracle des enchanteurs et des poètes. Jacques Deval a su être l’un et l’autre”.
Paul Abram – Libération

« S’il existe un syndicat clandestin des voyants professionnels, des tireurs de cartes, il subventionnera discrètement la Renaissance. Tous les superstitieux auront la tête tournée par la boule de Sourab. Toutes les âmes tendres, en voyant trois fois apparaître Melle Frédérique Nadar qui, sous le nom de Thérèse, jongleuse, infirmière, femme de chambre, incarne évidemment la mort… Pour ma part, je me suis contenté sans frémir de savourer un dialogue spirituel et vivace et d’admirer une étonnante comédienne à qui j’ai toujours prédit un grand avenir, sans tarots ni boule de cristal : Melle Gaby Sylvia”.
Robert Kemp – Le Monde 

LA PRÉTENTAINE
Pièce créée le 2 septembre 1957 au théâtre des Ambassadeurs.

Analyse
Le héros est aidé à traverser l’Atlantique clandestinement par un steward, afin de retrouver à New York une jeune Américaine dont il est amoureux. L’héroïne, elle, est aidée à traverser l’Atlantique par une camarade d’infortune dans le but de piéger aux USA un riche épouseur. Mais la providence se mêle à son tour d’aider les deux passagers.

Critiques

« Mon Dieu que c’est donc reposant et agréable une bonne comédie de boulevard. Ce qui est déplaisant, c’est la comédie de boulevard mal faite. Mais alors, avouez que la grande pièce à prétention est tout aussi désagréable. Et beaucoup plus assommante. Or ici, la pièce est menée à peu près de bout en bout avec une habileté confondante. Ne faites pas la petite bouche, n’applaudissez pas du bout des doigts, n’ayez pas honte de votre plaisir, c’est un charmant divertissement. Jacques Deval y fait preuve d’une verve de laquelle nous sommes des habitués. Réjouissons-nous qu’il nous fournisse de ce genre de théâtre un échantillon aussi gaiement usiné”.
Jean-Jacques Gautier – Le Figaro

« Une grâce fine, le sourire-duvet, des gentillesses de bon ton avec pourtant de la pointe et du mordant, ce je ne sais quoi qui fait dire d’une robe, d’un clin d’œil ou d’un bibi « ça c’est Paris”. Monsieur Jacques Deval est le seul a les avoir conservés, embaumés, et il sait les faire reverdir. La Prétentaine ? ce n’est pas comme on dit « méchant” , cela n’épuise pas les facultés d’attention ni le flux cérébral du spectateur. Cela le rend heureux, le met à l’aise, le détend. Il rit, figurez-vous. Presque tout le temps… Au fond, voyez-vous, cela sert de ne pas viser trop haut : rien de plus que divertir. On fait mouche”.
Robert Kemp – Le Monde

« Ce que l’analyse ne rend malheureusement pas, c’est l’extrême agrément du détail. Il y a longtemps que je n’ai vu une pièce aussi plaisante. Il est infiniment curieux qu’un auteur, au fond de lui-même si âcre, si pessimiste ait réalisé cette ravissante « pièce montée”.
Gabriel Marcel – Les Nouvelles Littéraires

LA MANIERE FORTE
Pièce créée le 9 février 1954 au Théâtre de l’Athénée.

Analyse
Un imprudent jeune homme, institué dragon de vertu pour solde d’une dette de jeu, devient gardien d’une femme libre contre son indigne amant et gagne par l’intransigeance, ce que son charme personnel n’avait pu décrocher ex abrupto.

Critiques
« Jacques Deval possède un métier sûr, un sens presque diabolique de la scène, un talent léger et d’ailleurs charmant, comme en témoigne La Manière Forte nouvel intitulé d’une comédie naguère applaudie sous le nom de Dans sa candeur naïve ».
Le Journal du dimanche

« … le solide métier, la fantaisie dirigée et le dialogue dont la mousse pétille encore sous le fouet à champagne de l’auteur ».
Gustave Joly – L’Aurore

« C’est une pièce charmante, un gâteau feuilleté ; cela ne se cuisine plus guère ; et Monsieur Jacques Deval en garde seul la recette exacte et seul, il a le « tour de main ».
Robert Kemp – Le Monde

SPÉCIALE DERNIERE…
Pièce créée le 16 octobre 1961 au Théâtre de la Renaissance.

Analyse
Une satire étincelante de l’Amérique 1925, celle d’Al Capone, des bootleggers, de la presse soudoyée, des politiciens véreux, de la police politisée.

Critiques

« L’excellente soirée !… Une remarquable comédie où il y a tout : le portrait satirique, la drôlerie, le mouvement, le rebondissement, la surprise, le halètement… Du drame, du policier, du comique. L’unité de temps, de lieu et d’action. Des péripéties. De la verve dans les répliques. Des dialogues à tiroirs. Des scènes pittoresques sur un scénario plein d’invention. Des personnages cocasses qui surviennent en cascade. De l’imprévu qu’on attend. De l’attendu… et il arrive… autre chose ! Des mots qui font rire et d’autres qui font tordre. Certains qui font pouffer et quelques uns qu’on applaudit. Des répliques qui font pschitt… ».
Jean-Jacques Gautier – Le Figaro

« L’habileté confondante des suspens et l’entrain exemplaire de la troupe rendent la soirée aussi heureuse et vivifiante que la lecture d’un Tintin ou la vision d’un Hitchcock… Modèle d’ingéniosité dans la composition, de raccourci dans la psychologie, de précision et d’économie dans le dialogue… De la minutie, de la santé, de l’humour ; moitié tranche de vie, moitié… tranche de rigolade ».
B. Poirot-Delpech – Le Monde

« Jacques Deval s’est diverti à écrire une sorte de” à la manière de “spirituelle et ironique des films dits de la “série noire”. Et il convient de reconnaître que cette “mise en boîte” est des mieux réussies. Jacques Deval n’a oublié ni le côté mélo “boulevard du crime”, ni le côté sentimental, ni le suspense obligatoire, ni les sketches comiques, ni les coups de revolver et de mitraillette, ni les gags branquignolesques ».
André Sauger – Le Canard Enchaîné

CHARMANTE SOIRÉE
Analyse
Un amant et une maîtresse jurent, dans leur exaltation amoureuse, de ne pas survivre l’un à l’autre s’il arrivait malheur à l’un d’eux. Un danger de mort se présente soudain et aussitôt, chacun des deux êtres cherche férocement à sauver sa peau, dut-il, pour cela sacrifier la vie de l’autre.

Critiques

« Voilà, à n’en pas douter le thème d’un drame effroyable. Mais Mr Jacques Deval n’a point d’autre but que celui de divertir et sa couleur préférée serait plutôt le rose. Il s’est donc évertué, avec un rare bonheur, à émonder cette douloureuse histoire de tout ce qui pourrait lui conférer un peu de poids et de vérité. Et, n’oubliant jamais que les Variétés se trouvent sur les terres du boulevard, remplaça soigneusement tous les cris de la sincérité par des mots d’auteur ».
Max Favalelli – Paris-Presse

« On a ri sans discontinuer durant les deux derniers actes et les critiques riront peut être encore plus fort le soir de la générale, lundi prochain ».
Steve Passeur – L’Aurore

« Ayant choisi pour sa comédie un cadre préfabriqué, Jacques Deval a mis en œuvre ses qualités d’homme de métier ; habileté dans la construction, vivacité du dialogue, drôlerie dans le détail des situations… Telle qu’elle est, cette comédie n’est pas sans agrément. On y trouve de fort réjouissantes répliques, et si certaines scènes traînent un peu, l’ensemble est mené à bonne allure ».
Jean Guignebert – Libération

7. Oeuvres dramatiques

1920 Une Faible femme 13 mai Théâtre Femina
1921 Le Soleil de minuit 3 juin Nouveau Théâtre
1923 Beauté 11 octobre Théâtre Marigny
1924 Le Bien aimé 2 février Théâtre de la Renaissance
1924 La beauté du Diable 23 décembre Théâtre de Monte Carlo
1926 Dans sa candeur naïve 14 janvier Comédie Caumartin
1926 L’Amant rêvé 29 janvier Comédie Caumartin
1926 La Rose de septembre 2 mars Théâtre de l’Athénée
1926 Viens avec nous petit
(d’après Fata Morgana et Ernest Vaida) Théâtre de la Renaissance
1927 Le Vin nouveau 21 janvier Théâtre de la Renaissance
1927 Ventose 25 novembre Comédie Caumartin
1928 Une tant belle fille 28 novembre Théâtre Antoine
1929 Débauche 7 mars Comédie Caumartin
193O Barricou 26 Mars Théâtre de l’Athénée
1930 Étienne 1 avril Théâtre Saint-Georges
1931 La route des Indes 21 octobre Théâtre du Gymnase
1932 Mademoiselle 6 janvier Théâtre Saint-Georges
1932 Signor Bracoli (D’après Agatha Christie) 7 septembre
Théâtre des Nouveautés
1932 Le Onzième commandement 27 octobre Théâtre des Variétés
1933 Lundi huit heures (d’après G. S. Kaufman et Edna Ferber)
21 avril Théâtre des Ambassadeurs
1933 Prière pour les vivants 27 septembre Théâtre de l’Athénée
1933 Tovaritch 13 octobre Théâtre de Paris
1934 L’Age de Juliette 7 décembre Théâtre Saint-Georges
1934 Marie Galante 22 décembre Théâtre de Paris
1938 Femmes 4 novembre Théâtre Pigalle
1947 La Femme de ta jeunesse 23 octobre Théâtre Antoine
1948 K M X Labrador (d’après H W Reed) 29 Janvier
Théâtre de la Michodière
1948 Figaro Ci Beaumarchais Là 3 octobre Comédie Française
1950 Ce soir à Samarcande 29 septembre
Théâtre de la Renaissance
1951 Le Rayon des jouets 24 avril Madeleine
1951 Ô Ma Maîtresse (d’après T. M. Rattigan) 22 mai
Théâtre des Ambassadeurs
1951 Ombre chère 29 décembre Théâtre Édouard VII
1952 Le Bonheur des méchants 1O décembre
Théâtre des Bouffes Parisiens
1953 Il était une gare 28 février Théâtre de la Renaissance
1953 Le Chevalier Nylon Palais de Chaillot
1953 Demeure Chaste et Pure (d’après Axelrod) 12 juin
Théâtre Édouard VII
1954 La Manière forte 9 février Théâtre de l’Athénée
1954 Namouna 1 octobre Théâtre de Paris
1955 Il y a longtemps que je t’aime 15 janvier
Théâtre Édouard VII
1955 Charmante soirée 10 novembre Théâtre des Variétés
1957 La Prétentaine 20 septembre Théâtre des Ambassadeurs
1958 Romancero 15 février Comédie des Champs-Élysées
1959 Le dilemme du docteur (d’après Bernard Shaw)
18 septembre Théâtre des Bouffes Parisiens
1959 Une histoire de brigands 4 décembre
Théâtre des Ambassadeurs
1961 Spéciale Dernière (d’après Ben Hecht et Mac Arthur)
16 décembre Théâtre de la Renaissance
1962 La Vénus de Milo 20 septembre Théâtre du Gymnase
1963 Le courage de minuit 6 février Bruxelles
1963 Et l’enfer Isabelle ? 21 septembre Comédie des Champs-Élysées
1964 Un homme comblé 22 février Théâtre des Variétés
1967 Xavier 14 février Théâtre Édouard VII
1980 Miam miam 13 janvier Théâtre Marigny

Œuvres

Sabres de bois
Afin de vivre bel et bien
Rives Pacifiques
Tigrane (roman)
Le vieux carnet rouge
Marie Galante (roman)
Le sage d ‘Hispahan
Les Voyageurs (roman)

8. Extrait de : « CE SOIR A SAMARCANDE »

Sourab, fakir dans un petit cirque, est sous surveillance de la police. Le commissaire Massoudre lui rend visite dans sa caravane et tombe en arrêt devant la boule de cristal.

Massoubre : Alors, c’est ça le miroir aux alouettes ? Le cueille-poires ?

Sourab : Vous ne croyez à rien, Monsieur le Commissaire ?

Massoubre : Je crois surtout que si vous pouviez voir l’avenir dans votre boule, vous auriez depuis longtemps votre palais à Venise, votre villa à Deauville et un yacht pour aller de l’un à l’autre !

Sourab : Ça, monsieur le Commissaire, c’est la vieille objection à nos petits talents ! Si nous voyons l’avenir, pourquoi ne connaissons-nous pas le nôtre ?… Comme s’il vous était possible à vous, de vous arrêter vous-même, ou de vous mordre le nez !… Cette boule est une fenêtre sur l’avenir. Mettez-vous à une fenêtre, vous pourrez y voir passer le monde, sauf vous !

Massoubre : Et quand vous vous y mettez, vous, à votre fenêtre, vous commencez par quoi pour impressionner le client ?

Sourab : Par rien !… Je lui demande de s’asseoir en face de moi, cette boule entre nous deux. J’éteins tout !

Massoubreironique : Et c’est le client qui éclaire ?

Sourab : Non ! Il a éclairé d’abord; je n’éteins qu’ensuite… Et je lui demande uniquement de se concentrer sur cette petite boule de cristal.

Massoubre : Et pendant ce temps-là, vous pensez à vos petites affaires ?

Sourabtrès posément : C’est ce qui vous trompe, monsieur le Commissaire… Pendant que je fais mon boulot, là, celui qui épate les foules (Il montre le chapiteau) là, oui, je pense à mes petites affaires; parce que tout marche par ordre des mots, inflexions des voix; et pour tout vous dire, c’est la petite, ma nièce, qui fait tout le travail. Mais avec la clientèle privée, c’est une autre histoire ! Je suis seul avec elle, et elle en veut pour son argent, la clientèle privée !

Massoubre : Et vous lui donnez quoipour son argent ?

Sourabavec force : Je me concentre sur elle, monsieur le Commissaire. Je me concentre honnêtement, sans chiqué !

Massoubreironique : Parce que vous vous concentrez comme ça, au doigt et à l’oeil, à volonté ?

Sourab : Mon Dieu, oui… Je fais le vide dans mes pensées… Un vide que vient remplir la pensée de celui qui me fait face. Sa vraie pensée, et aussi sa vraie mémoire. Parce que nous avons tous deux mémoires, monsieur le Commissaire. Une claire, qui se rappelle le passé ; l’autre obscure, qui se souvient de l’avenir !

Massoubresarcastique : Obscure à tous, mais pas à vous ?

Sourab : Ça dépend du client ! Surtout de la cliente… Il y a des femmes qui voient l’avenir dans cette boule comme une chatte y voit la nuit. Un vrai cinéma parlant et en couleurs… Mais même avec un client banal, pour peu qu’il se concentre vraiment, ça éveille sa mémoire obscure… Des images finissent par apparaître dans cette boule… C’est flou, ça accroche, mais il y a tout de même quelque chose. En le faisant se concentrer, je ne fais que lui tirer le cordon de la porte sur l’avenir. C’est à lui de l’ouvrir et de regarder.

Massoubre : À mille balles le coup de cordon !

Sourab : À cent sous, ils ne viendraient pas !

Massoubresarcastique : Bref, vous êtes un type inouï !

Sourabsouriant : Mais oui, monsieur le Commissaire… Il y a aussi d’autres types inouïs qu’une rose fait éternuer à cent mètres; d’autres plus inouïs encore qui longent dans leur sommeil le bord d’un toit sans se casser la figure.

(Massoubre regarde Sourab avec la perplexité du bon sens mis en échec, et pourtant sûr de lui. Puis il se ressaisit et hausse les épaules.)

Massoubrese levant, un peu bougon : En attendant, mon ami, ne longez plus le bord de la loi : vous pourriez bien vous réveiller ailleurs qu’où vous vous êtes endormi. (Il fait quelques pas, puis brusquement, avec l’expression de celui qui a trouvé l’argument­massue 🙂 N’empêche que j’ai bien failli marcher, avec vos petites histoires. Il ne resterait plus qu’une toute petite chose à m’expliquer.

Sourab : Avec plaisir, si c’est une petite chose.

Massoubreassuré de son triomphe : Un rien. La cliente qui voit avec vous qu’elle se cassera la jambe en allant à la messe, dimanche prochain, elle ira tout de même pour ne pas rater ça, et si elle n’y va pas, qu’est-ce qui reste de vos bobards ?

Sourab : Ce n’est pas une petite chose que vous me demandez là, monsieur le Commissaire… Mais je connais une histoire qui vous répondra peut-être.

Massoubre : Je ne les aime pas longues.

Sourab : Elle va loin, mais vite !… « Il y avait une fois, dans Bagdad, un Calife et son Vizir… Un jour, le Vizir arriva devant le Calife, pâle et tremblant : Pardonne mon épouvante, Lumière des Croyants, mais devant le palais, une femme m’a heurté dans la foule. Je me suis retourné : et cette femme au teint pâle, aux cheveux sombres, à la gorge voilée par une écharpe rouge était la Mort. Et en me voyant, elle a fait un geste vers moi. ».

Massoubre : Elle n’est pas gaie, votre histoire !

Sourab : Elle voit la Mort en beau, c’est déjà quelque chose !… Bref, le Vizir s’écria : « Puisque la Mort me cherche ici, Seigneur, permets-moi de fuir me cacher loin d’ici, à Samarcande. En me hâtant, j’y serai avant ce soir ».Sur quoi, il s’éloigna au grand galop de son cheval, et disparut dans un nuage de poussière vers Samarcande. Le Calife sortit alors de son palais, et lui aussi rencontra la Mort : « Pourquoi avoir effrayé mon Vizir qui est jeune et bien portant ? » demanda-t-il. Et la Mort répondit : « Je n’ai pas voulu l’effrayer, mais en le voyant dans Bagdad, j’ai eu un geste de surprise, car je l’attends ce soir, à Samarcande… ».

Un temps. Massoubre est troublé. Puis :

Massoubre : Mais, la conclusion de votre histoire ?

Sourab : Celle de toutes les histoires… Qui croit fuir son destin est seulement attaché à une corde plus longue.

Massoubre : Mais au bout de la corde, pas de choix ?

Sourab : Mais si ! Le choix du Vizir : nous faisons tous librement ce qu’il était fatal que nous fassions !

Massoubre : (troublé) Ouais…(se reprenant) Je ne connais pas d’histoires
orientales, moi, mais je connais un très joli proverbe arabe : « Pardonne
une fois et tu es généreux; pardonne deux fois et tu es un imbécile ».
 (D’une tape il enfonce son chapeau sur sa tête) À bon entendeur, bonne nuit ! (Il sort)