Max : Ils n’en avaient plus, place de l’Alma. Je suis remonté jusqu’au Lido.
Jean : Merci.
Max : J’avais oublié de te demander. Je les ai pris « claro », à tout hasard.
Jean : Tu as bien fait.
Max : Ça m’ennuie de te voir fumer des cigares de ce calibre. Très mauvais pour tes artères.
Jean : Tu es gentil.
Max : Il paraît. Sans faux orgueil, ça n’est qu’un cri.
Jean : Qu’est-ce que tu fumes, toi ?
Max : Tu le sais, des bastos… J’ai essayé des cigarettes italiennes. Il ne faut pas. Ils ont tout, sauf ça. (cachant son anxiété) Je t’ai vraiment laissé le temps de la réflexion.
Jean : Ça n’a pas été du temps perdu.
Max (la bouche un peu sèche) : Alors ? On y va, chez Bernois ?
Jean : Ça te tient, hein ?
Max: À la gorge… Et alors, Raymonde !... Où qu’elle aille depuis que nous sommes revenus, elle fait faire un crochet au taxi pour passer devant l’Institut.
Jean : Et la nuit, vous retournez le voir ensemble au clair de lune ?... Qu’est-ce qui te plaît le plus ? L’épée ?
Max : Elle a une chose pour elle. On vous l’offre. (rêveur) Que j’en arrive là et tu verras une campagne de cotisations comme tu n’en as jamais vu. Raymonde veut mettre Publicis dans le coup. On fera cracher jusqu’aux machinistes !
Jean : Tu sauras t’en servir ? Je t’ai toujours vu travailler avec une lame plus courte.
Max (s’énervant) : Ecoute ! Tu m’emmènes chez Bernois, oui ou non ?
Jean : Je n’ai pas dit non. (Lentement) Si j’ai hésité, c’est que tu ne t’es pas gouré. Bernois n’a rien à me refuser. Et, lui dans le coup, c’est dans la poche. Même à ton âge. De temps en temps, ils ont la coquetterie d’embarquer un mousse.
Max (chauffé à blanc) : Alors ? On y va ?
Jean : Plus qu’une question… Je fume des panatellas, tu fumes des bastos. Qu’est-ce que fumait Krâh ?
Max (saisi) : Krâh ?
Jean : Oui. Dans sa caverne – enfin, dans notre caverne ?
Max (d’une voix blanche) : Ah, tu es au courant ?
Jean : Oui. Je sais.
Max (avalant sa salive) : Tu sais, j’ai beaucoup hésité… Et finalement, je me suis dit que c’était une époque comme une autre…
Jean : Ben, voyons… Et aussi, qu’après tout tu me faisais beaucoup d’honneur ?... Très costaud le truc du télégramme. Me faire revenir à temps pour Bernois, trop tard pour que je puisse caser ma pièce…
Max (la main sur le cœur) : Écoute, Jean ! Il y a une chose que je peux te jurer ! Mon sujet n’a aucun rapport avec le tien !
Jean : Ça aurait été un peu voyant, non ?
Max : C’est surtout que je suis resté sur un ton entièrement différent. Quand tu m’as raconté ton idée, j’ai tout de suite vu la pièce que tu allais écrire. Je lui ai tourné le dos, carrément. J’ai laissé de côté, exprès, des situations davantage dans ta manière.
Jean : Un mot de plus et je ne vais plus savoir comment te remercier.
Max (le tout pour le tout, donc presque agressif) : Et puis, il y a autre chose ! L’idée de l’âge de pierre, de l’époque des cavernes, tu l’as eue, c’est entendu. Tu en as parlé devant moi comme tu aurais parlé d’autre chose. J’avais autre chose en tête, j’ai laissé tomber… Mais je peux te prouver – tu entends ? – te PROUVER que j’y avais pensé avant toi ! Bien avant !
Jean : Tu peux me prouver ça ?
Max : Parfaitement !... Laisse-moi faire venir Marcousis ! Je suis prêt à lui poser la question devant toi ! Il te jurera que je lui en avais parlé, en long et en large, il y a plus de six mois ! (Avec le goût des imposteurs pour la précision) En prenant un pot, à l’Élysée-Club, si je ne me trompe.
Jean (sarcastique) : Il fallait me dire ça tout de suite !… La parole de Marcousis ! Tu ne te mouches pas du pied ! Qu’est-ce que tu le payes à l’abonnement ?
Max : Toi, comme buté !
Jean (un mince sourire) : Et toi, comme buteur !
(À peine un silence, puis)
Max (désespéré mais portant beau) : Si je comprends bien, l’idée de m’emmener à Bernois est loin de te sourire.
Jean (tranquillement) : Où prends-tu ça ?
Max (une vraie résurrection) : Jean, tu ferais ça (un aveu) malgré tout ?
Jean : Si j’étais sûr que tu y tenais plus qu’à n’importe quoi.
Max : Il n’y a pas de mots. (Suppliant) Ne joue pas avec moi, j’en tremble !
Jean : Tu ferais beaucoup ?
Max (sans voix) : Je ferais tout.
Jean : Il faudrait que j’en sois sûr.
Max : Demande ! Tu verras !
Jean : Je ne vois qu’une condition convaincante à te poser…
Max : Vas-y, bon sang !
Jean (lentement) : Je crois qu’elle va nous faire mal à tous les deux… Mais moi, je n’ai pas qu’une chose à décider.
Max : Qu’est-ce que tu as à décider d’autre ?
Jean : Si, en ce qui me concerne, je dois, ou non, signer ton permis d’inhumer.
Max : Qu’est-ce que ça veut dire ?
Jean : Ne bouge pas. (Il se dirige lentement vers la commode) Je te jure – et je ne suis pas Marcousis – de ne raconter à personne, pas même à Viki, ce qui va arriver dans les prochaines minutes… Je suis prêt à t’emmener chez Bernois, à ne rien épargner qui puisse le décider à t’appuyer, et je crois sincèrement y parvenir avec le succès final que cela comporte. Prix net…
(Jean prend sur la commode l’enveloppe laissée par Max. Il en retire la photo qu’elle contient et va la poser, côté face, sur le tapis, à mi-chemin entre lui et Max)
Jean (d’une voix infiniment triste, mais sans appel) Viens… Droit devant toi, et n’enjambe pas.
Max (Un cri) Jean !... Tu veux que je marche sur ma mère ?
Jean : Dieu sait que non, Max !
Max : Mais, si je ne le fais pas, nous n’allons pas chez Bernois ?
Jean : Non.
Max : Tu ne demanderais pas une chose pareille à ton pire ennemi !
Jean : Non…
Max : C’était une épreuve ? Je te dis non, et nous filons ?
Jean : Non. (Gravement, sincèrement) Je ne faiblirai pas, mais je suis avec toi, de toutes mes forces.
Max : Tu veux voir jusqu’où je peux aller.
Jean : Ça devrait t’intéresser plus que moi.
Max : C’est toi qui le dis. (Il regarde la photo à terre, comme hypnotisé) Ce serait plutôt le contraire.
Jean : Si tu veux prendre conseil, je te permets d’appeler Raymonde.
Max (un sursaut) : Sa belle-mère ? Tu rigoles !
Jean : Reste ton ange gardien.
Max : Ce n’est pas lui qui m’amènera des voix !... (Une idée) Ecoute, Jean.(La main vers la poche intérieure de son veston) J’ai là une photo de Raymonde…
Jean : Non. En prime, si tu veux.
Max : Et aussi une de mon père…
Jean : Non.(Un bref silence de Max, torturé)
Max : Est-ce qu’au moins, tu me laisserais la retourner ?
Jean (hésite, puis) : D’accord.
Max (pas satisfait) : Ça reviendrait au même, c’est ce que tu penses ?
Jean : Je n’ai pas d’opinion.
Max : Ça comptera aussi si je me déchausse ?
Jean : Oui.
Max : Bien.(Lentement, il lève un pied, retire un de ses souliers, de type mocassin) Ça ne veut rien dire. Je n’ai rien décidé – loin de là…(Encore un silence. Puis Max, d’une voix éteinte) Jean, je vais le faire. Je suis prêt à le faire. Je te demande de me tenir quitte avec l’intention.
Jean : Non.
Max (se redressant, un défi dans la voix) : Sais-tu POURQUOI je vais le faire ?
Jean : Ça ne me regarde pas
Max (la voix vibrante) : Parce que c’est elle qui me le demanderait !
Jean (doucement) : Aucun doute là-dessus.
Max (humblement) : Accorde-moi une chose…
Jean : Dis.
Max : Retourne-toi.
Jean (un calme reproche) : Max !
Max : Et si j’en tombe malade ?
Jean (d’une voix neutre) : Tiens le plus grand compte de cette possibilité…
(Max fait un pas court et mou)
Max : Comprends bien que tout n’est pas dit !... J’ai encore quatre pas.
Jean : Vouloir est une chose, pouvoir en est une autre.
Max : Comment que ça finisse – tu me l’as juré ! Jamais personne ne saura…
Jean (d’une voix triste comme un adieu) : Absolument jamais.
(Le rideau commence à descendre)
Absolument personne…
Rideau
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