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Les dernières créations
Poof
La secrétaire retrouve le manuscrit et le réexpédie à son auteur. Salacrou relit sa pièce et lui trouve certaines qualités. Il l’actualise, la transforme en comédie-ballet, et la confie à Yves Robert, jeune metteur en scène qui faisait les beaux soirs du cabaret littéraire de la Rose Rouge. C’est l’histoire, parfaitement véridique d’un homme qui découvre un beau jour que pour vendre un objet, pour obtenir un succès commercial. « Il fallait oser croire que les hommes étaient bêtes. À ce point-là, la marchandise n’y est pour rien. Ce qui compte, c’est la clientèle. Pour vendre du chocolat, il faut fabriquer des clients pour le chocolat. Le public n’aime pas penser, cultivons sa paresse cérébrale… C’est aussi l’histoire de la publicité qui, sous le nom d’information, devient propagande et nous enferme dans un cercle dont il nous est impossible de sortir, comme nous ne pouvons pas sortir des contradictions de la condition humaine ».

Poof
(photo DR)
Coll. part.
Le spectacle débutait avec un acte de Salacrou Pourquoi pas moi ?, pochade écrite au départ pour la radio, et que la critique n’a pas appréciée. En revanche, malgré une presse favorable, Poof n’eut pas grand succès et ne connut que trente représentations. Est-ce peut-être parce que toute vérité n’est pas bonne à dire et que le héros de Salacrou ne mâchait pas ses mots ?
Toujours en 1950, à Poof succède le 2 décembre Dieu le savait au Théâtre Saint-Georges. Pièce qui traite du libre arbitre, de la responsabilité de l’homme et, corollairement, de la responsabilité de Dieu dans les actes des hommes.

Dieu le savait
Décor de Wakhevitch
fonds Jean Mercure
Collections A.R.T.
Le 9 janvier 1953, Michel de Ré monte, dans le petit théâtre du Quartier Latin, un acte de Salacrou, Sens Interdit, qui partage l’affiche avec Sisyphe et la mort de Robert Merle et Les Liaisons dangereuses de Maurice Tillier d’après Cecil Saint-Laurent ( voir résumé plus loin ) La pièce est très bien accueillie et constituera l’un des derniers succès de l’auteur.
Le Miroir, créé aux Ambassadeurs en septembre 1956 n’est pas un succès. La critique a rejeté ce jeu de miroirs, dans lequel l’auteur fait preuve de trop de complaisances envers soi-même, ni accepté l’arbitraire de la situation.

Le Miroir
Lucienne Bogaert et André Luguet
in Femina-Théâtre - novembre 1956
Collections A.R.T.
L’avant-dernière pièce jouée de Salacrou fut Boulevard Durand, écrite de novembre 1958 à janvier 1959, et publiée en 60. Elle fut proposée à Jean-Louis Barrault et à Jean Vilar qui la refusèrent. C’est André Reybaz qui la monte à Arras, au Centre Dramatique du Nord, et la créée au Havre en 61 dans le lieu même où Jules Durand avait lutté et vécu : la salle Franklin, salle des syndicats. Pour écrire la pièce, Salacrou avait rassemblé ses souvenirs concernant le procès de l’ouvrier communiste, condamné injustement pour un crime qu’il n’a pas commis et qui deviendra fou dans sa cellule. La pièce est reprise à Paris en novembre 61 au Théâtre Sarah Bernhardt.

Collections A.R.T.
Salacrou a précisé : « J’ai écrit Boulevard Durand pour apaiser la colère du petit garçon que j’étais ».

Tract distribué au Havre avant le procès de Jules Durand
Coll. part.
Il a du même coup bouclé la boucle en livrant comme un testament cette pièce tirée de ses souvenirs de jeunesse.
Salacrou retrouve la Comédie Française le 26 octobre 1964 pour la création de Comme des chardons, et ses adieux à la grande scène se solderont par un échec. La pièce et l’auteur sont éreintés par la critique qui trouve l’écriture vieillie, ce théâtre poussiéreux, sans vérité, ni profondeur, ni mouvement. C’est l’histoire de deux femmes de cinquante ans qui, en évoquant le passé, découvrent qu’à vingt ans elles ont aimé le même homme, qui est mort aujourd’hui.
Ceux qui ont connu Salacrou se souviendront d’un homme grand, à la voix haute, au verbe vif et impératif. Doté d’un nez long et délicat, d’une calvitie distinguée et d’un regard d’émeraude, il en imposait. De caractère ombrageux, il n'avait guère apprécié la critique que fit un jour d'une de ses pièces le paisible Robert Kemp, et lui envoya ses témoins. Pierre Brisson, premier témoin de Robert Kemp, réussit à éviter à temps toute effusion de sang. « Dommage » dit Salacrou, « j'aurais bien aimé avoir la mort d'un critique sur la conscience ».
Bien qu’éternel révolté, il ne dédaignait pas les honneurs. Il a été Président de l’Institut International du Théâtre en 1948, Commissaire à l’Unesco, Président du Syndicat National des Auteurs, membre du Comité directeur de l’Union Nationale des Intellectuels, du Conseil Supérieur du Conservatoire et du Conseil Supérieur de la Radio, Président du Jury au Festival de Cannes en 1963 et Président de la Société des Auteurs Dramatiques à partir de …
Élu membre de l’Académie Goncourt en 1946, qu’il quittera avec Raymond Queneau et Philippe Heriat lors de l’élection de Bernard Clavel, auquel ils préféraient François Nourissier. Il réintégrera l’Académie en 1973 et en deviendra le doyen.
Il s’éteindra au Havre le 25 novembre 1989.
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