Association de lalogoRégie Théâtrale  

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Extrait

Histoire de rire

...

Gérard, ahuri : Que fais-tu ici, toi ?

Adé, pathétique : Gérard !

Gérard, furieux : Qui t'a permis de venir ici ?

Adé : Gérard ! Je me souviens encore du jour où tu m'as embrassée pour la première fois, en me disant : « C'est très sérieux, c'est en vue d'un mariage. ». Et tes yeux étaient pleins de larmes.

Gérard : Adé, ma petite Adé, tu m'ennuies.

Adé : Gérard, c'est grave, très grave. J'attends une réponse, une réponse très urgente : m'aimes-tu plus que tout au monde ? Si je mourais...

Gérard : Ma petite Adé, tu es en excellente santé et tu vas aller dans le jardin faire une sieste jusqu'à ce soir, ce qui te donnera de l'appétit pour le dîner.

Adé :Dans le jardin ? Dans le jardin ! Non, ce n'est même pas drôle. À moins que ce ne soit le destin qui parie. Mais ce n'est pas le destin que j'interroge, c'est toi, Gérard, si je disparaissais du monde, ou de ta vie..

Gérard : Je ne te demande pas de disparaître de ma vie, je te prie simplement d'aller prendre l'air et de me laisser tranquille ici, jusqu'à sept heures du soir, avec Jean-Louis. Est-ce au-dessus de tes forces ?

Adé : Et toi, es-tu un homme fort ?

Gérard : Pourquoi ? Je vais être obligé dé te pousser dehors ?

Adé : Voilà qui simplifie bien les choses. Car, si je te comprends bien, tu ne m'aimes plus ?

Gérard : Adé, ma petite Adé, tu le sais : je suis épuisé de travail. Par un travail qui ne m'amuse plus. Une de mes joies, c'est de me retrouver avec Jean-Louis, chaque jour ici, tranquillement, mais tranquillement, une heure.

Adé : Et de quoi ? De qui parlez-vous ?

Gérard : De qui, de quoi ? Justement, de rien, ma petite Adé.

Adé : Adé, ta petite Adé. Toujours Adé. Je ne suis pas, je ne veux plus être la petite Adé. N'oublie pas que mon nom c'est Adélaïde. J'ai du sang de 1830 dans les veines, moi. Tu entends ? J'ai des ancêtres qui ont vécu en 1830, moi !

Gérard : Moi aussi.

Adé : Toi ? Toi ? Ah ! ça, c'est drôle ! Toi !

Gérard : Ma petite Adé, tous les vivants d'aujourd'hui ont eu des parents qui vivaient en 1830, toi et moi comme les autres...

Adé : Mais ce n'est pas vrai. Tu cherches à m'humilier une fois de plus.

Gérard : Veux-tu réfléchir une seconde, et nous dirons que tu n'auras pas entièrement perdu ta journée. Tous les vivants d'aujourd'hui ont tous des ancêtres qui vécurent à tous les siècles, depuis que le monde est monde.

Adé : Tu es fou. Tu crois ? Mais oui. Comme c'est curieux lorsqu'on y pense. Néanmoins, mon arrière-grand-mère s'appelait Adélaïde. On ne l'appelait pas la petite Adé !

Gérard : C'est vrai. Et elle eut beaucoup d'amants. C'est encore vrai. Et elle eut tort.

Adé : C'était une amoureuse !

Gérard : Adé, beaucoup de femmes confondent une vie de grande amoureuse avec une simple suite de petites crises de nerfs..

Adé : Car tu sais ce que c'est que l'amour ?

Gérard : Un grand amour, pour une femme, c'est un homme qu'elle aime du commencement à la fin de sa vie, avec tous les âges de sa vie. (Il voit la photo et demande) Qu'est-ce que c'est que ça ?

Adé : Ne la déchire pas, ne la déchire pas déjà !

Gérard : Reprends cette photo et reporte-la dans ma chambre.

Adé : Non ! Je veux qu'elle demeure ici !

Gérard : Tu m'agaces.

Adé : Dans ce cher grenier, tu ne cherches donc qu'à m'oublier ?

Gérard : Oui.

Adé : Mais tu ne cherches pas à oublier toutes les femmes que tu as connues ? Car voici un fauteuil que tu as ramené de ta vie de garçon et où devaient s'asseoir tes folles maîtresses.

Gérard : Veux-tu te taire !

Adé : Et le fusil de chasse de ton oncle - qui avait une fille charmante ! Une « cousine » !

Gérard : Adé !

Adé, bousculant les objets : Et cette édition rare des Oraisons funèbres de Bossuet, que tu avais vendue pour offrir une robe de satin rose à une fille du Quartier Latin, et que Jean-Louis a retrouvée sur les quais et a rachetée pour votre grenier ?

Gérard : Je vais te faire taire !

Adé : Si j'étais sûre que tu m'étrangles par je ne me tairais pas. Non. Mais à quoi bon parier ?

Gérard : Je ne t'étranglerai certainement pas, Adé, car tu ne mérites qu'une paire de gifles comme une petite fille de dix ans et qui serait mal élevée.

Adé : Mufle ! Sale type ! Mari ! Mari ! Et voici l'homme auquel j'ai sacrifié mes rêves depuis six ans. Oh ! ma jeunesse perdue pour cette brute. Oh ! comme ma grand-mère doit rire et se moquer de moi, là-haut.

Gérard : « Là-haut » ! « Là-haut » ! ou en bas, hein ? Pourquoi pas « en bas » ?

Adé : Monstre ! Tu jettes ma grand-mère en enfer ! En enfer ! Criminel !

Gérard : Fiche-moi le camp !

Adé : Tu ne crois pas si bien dire.

Gérard : Et ne m'oblige pas à te pousser dehors.

Adé : Non. Mais comme je suis une raffinée, moi, je te prie de me répéter encore une fois d'aller dans le jardin.

Gérard : Au Jardin ou ailleurs, mais ailleurs.

Adé : J'irai donc au jardin, puis ailleurs. ( Elle rit. )

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