1
La Jeunesse
Enfance dorée sous le Tsar Nicolas II
« Je suis né à Kislovodosk (Caucase) le 23 août 1908. Mes parents possédaient une bonne partie des pétroles de la Caspienne. Cela ne m’empêcha pas, à quatre ans déjà, de trembler à la seule idée de la pauvreté ». Ainsi débute L’Homme et l’Enfant, livre souvenir d’ Arthur Adamov.
En 1908, la ville de Bakou, où réside la riche famille des Adamianian est le théâtre de graves troubles entre les nationalistes arméniens, la communauté kurde, et les pré-révolutionnaires russes. Les sujets du tsar de classe fortunée s’efforcent d’ignorer les conflits qui se multiplient autour d’eux et poursuivent leur existence de bals et de réceptions.
Depuis des générations, la famille Adamian fait partie de ce monde privilégié. Une domesticité innombrable est aux ordres. Les enfants ont à leur service une nounou russe, une gouvernante arménienne et une « demoiselle » française qui leur apprend sa propre langue.
Le petit Arthur, que fascinent les histoires fantastiques, passe ses journées à écouter sa nourrice et sa grande soeur lui raconter des contes plus effrayants les uns que les autres. Ravi et terrifié à la fois, il vit dans une angoisse permanente, craignant l’apparition d’un être maléfique qui l’enlèverait et l’emporterait dans un monde de cauchemar où lui-même serait transformé en monstre abominable.

Arthur Adamov et sa grande soeur
(photo DR)
Coll. part.
Les années passent, le climat social ne cesse de se dégrader en région du Caucase. Au printemps 1914, la vie à Bakou est devenue intenable pour la classe dirigeante. Les grèves successives, la montée des périls face à l’impérialisme allemand obligent les patrons et les industriels à abandonner leurs postes et à quitter la Russie, espérant toutefois revenir, récupérer leurs bien et reprendre leurs occupations et leur rang lorsque les évènements se seront calmés.
Août 1914, les Adamian, dont le nom se sera russisé en Adamov, traversent la Forêt Noire et s’installent en Suisse sur les rives du lac de Constance. Désœuvré, le père passe ses journées au Casino, à la table des joueurs du trente-et-quarante. Arthur entre dans un collège privé. Premier en histoire, il sera dernier en mathématique - il ne saura jamais compter - et s’absente de l’école un jour sur deux. Il se découvre une passion pour la mythologie et s’invente un camarade imaginaire qui ne le quitte ni de jour ni de nuit.
En 1918, l’Armée Rouge envahit le Caucase et les puits sont nationalisés. C’est à Genève que les Adamov apprenent leur ruine. Désormais émigrés, sans ressources nouvelles, ils tiennent un moment grâce à la vente successive des bijoux. Ainsi peut-on vivre un mois, puis un autre mois, ainsi de suite. Pendant cette période de sursis, on se fait des amis, on va au cinéma. Un film, tout particulièrement bouleverse Arthur, il s’agit de l’adaptation anglaise du roman de Stevenson, Dr Jekill et Mr Hyde. La séquence où le Dr Jekill change son visage pour devenir l’autre perturbe l’enfant au point qu’il y pensera pendant des semaines. Au cours d’une représentation au théâtre de Plainpalais, Arthur y fait la connaissance de Georges et Ludmilla Pitoeff. La vie semble lui sourire
Mais en 1922, la réserve des bijoux est épuisée. Les Adamov alors doivent se replier sur l’Allemagne « paradis des miséreux ».
Arthur a 14 ans, ses parents l’inscrivent au lycée français de Mayence. Il porte encore des culottes courtes. Il est joli garçon, mince, d’allure élégante, ils séduit certains désoeuvrés, homosexuels, qui traînent leur vie « à faire » la Willhelm Strasse. L’adolescent méprise ce genre d’hommage. Le désir qu’il inspire chez les autres ne le trouble pas. Il n’est fasciné que par lui-même. La découverte de son corps lui procure des plaisirs inespérés.
La vie à la maison n’est pas drôle. Quand il rentre chez lui, il trouve une mère exaspérée, elle l’oblige à aller au casino rechercher son père. Chaque soir c’est la même comédie, le même mensonge. Arthur s’entend répondre : « Va dire à Maman que dès que je gagne, j’arrive aussitôt ! »
Le temps de Mayence est bientôt devenu insupportable. En 1924, un vent de révolte, attisé par les futurs hitlériens, souffle sur l’Allemagne. Les élèves du lycée français, tous russes, juifs, arméniens, finlandais, sont mis sous la protection de soldats français et ces soldats français sont des Sénégalais...
Haut de page