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Premières esquisses théâtrales
Le temps de la rédemption
Arthur se raccroche à Marthe Robert, femme très active, au cœur généreux, toujours à l’écoute des autres. Elle le prend en charge et l’entraîne lors d’une de ses visites à Antonin Artaud croupissant dans un asile psychiatrique de Rodez. Ayant trouvé quelqu’un de plus démuni que lui, Adamov se fait fort de l’aider. Malheureusement le vieux poète est trop malade physiquement et psychiquement pour s’en sortir. Il se suicidera au chloral le 4 mars 1948.
Adamov va mieux. Grâce à Claude Bourdet, il signe des articles pour Combat et tente de se remettre à l’écriture. Il rêve de Théâtre. Un soir, en sortant du métro Maubert-Mutualité, il le trouve son sujet de pièce : Deux midinettes passent devant un aveugle en fredonnant un air très à la mode :
J’ai fermé les yeux
C’était merveilleux
Elles ne voient pas l’aveugle, le bouscule, il trébuche.
Adamov écrit en tête de sa page blanche : « Nous sommes dans un désert, personne n’entend personne ». La pièce s’intitulera La Parodie.
Un jour de chance, Adamov rencontre Jean Vilar. VILAR, un nom que le monde du théâtre commence à retenir. Le 1er Festival à Avignon a été un succès et le jeune metteur en scène travaille à l’élaboration du deuxième. Vilar connaît Adamov de réputation et lui confie l’adaptation de la grande fresque historique La Mort de Danton, du poète allemand Georg Bruckner.

La Mort de Danton
Jean Topart, Jean Vilar et Jean Négroni
(photo DR)
Coll. part.
Le souvenir de ces représentations sous la voûte étoilée du ciel avignonnais, le mistral dans les oriflammes, la partition des tambours d’ un musiciens de 24 ans, Maurice Jarre, l’enthousiasme de la foule, ne s’effacera jamais du cœur d’Adamov. Pour la première fois il entendait SES répliques prononcées par des comédiens, il en pleurait de bonheur.

Coll. part.
Décidemment, l’horizon d’Arthur s’est éclairci, il se croit heureux. Enfin pas tout à fait heureux, pour que son bonheur soit complet il faudrait qu’il puisse le partager avec une femme, LA femme, celle qu’inconsciemment il attend depuis toujours. Marthe Robert, une fois encore sera sa bonne fée. Elle lui présente Jacqueline Autreseau, une jeunesse de 18 ans, fille d’officier supérieur, qui vient de faire un beau mariage avec cortège et grandes orgues. Foin du jeune mari - beau comme un dieu de l’Olympe - Jacqueline tombe dans les bras d’Arthur et n’en sortira plus jamais.
Désormais, boulevard Saint-Germain entre le Flore et la station de métro Danton, on ne les rencontrera jamais l’un sans l’autre. Elle, mince, petite, la peau laiteuse, le corps souple, la longue chevelure auburn tombant en vague sur les épaules, les yeux brillants d’intelligence, lui maigre, efflanqué, les pieds nus dans des sandales, la chevelure noire frisée qui ne connait pas le peigne, vêtu d’un long manteau de tissu anglais, élimé au bord des manches et beaucoup trop large, la chemise veuve de ses boutons, le regard rond d’un hibou affolé, et l’éternel mégot planté entre les seules dents ayant résisté aux épreuves du camp d’Argelès, c’est le ménage Adamov. Après un câlin un peu plus torride que les autres, Jacqueline est devenue pour toujours « le Bison », celle qui « bise » en dépit de la misère, de la maladie et des épreuves.
Après avoir peiné sur une nouvelle pièce L’Invasion, Arthur décide d’offrir des vacances au Bison. Sans le moindre argent, comment descendre dans le Midi. Alors commence une longue période de mendicité. Adamov empreinte de l’argent à tout le monde. De petites sommes ajoutées les unes aux autres lui permettront de voyager, de monter ses pièces tant bien que mal. Faire la quête ne semble lui poser aucun problème. Il a le don de se faire prendre en charge. Sur la Côte, il trouve à se loger un jour chez la comtesse Tolstoï, un autre jour chez Jacques Prévert, un troisième chez les Bourdet. Il ne lui vient pas à l’esprit qu’il pourrait rechercher du travail en dehors de l’écriture. Pourquoi faire ? N’est-il pas un descendant de la grande bourgeoisie arménienne, un poète de surcroît et ses relations doivent le nourrir, c’est dans l’ordre des choses. Il n’en éprouve aucun remord, aucune honte.
L’onirisme et la solitude sont sources d’inspiration
De retour à Paris, il décide de faire publier, à compte d’amis, deux autres pièces La Parodie et L’Invasion, précédées de témoignages élogieux d’artistes et d’écrivains célèbres. André Gide, Jacques Lemarchand, Jean Vilar, René Char, Roger Blin se prêtent à l’opération.
En 1950, René Char se fait l’intermédiaire auprès de dames fortunées, Mme Tesnasse et Florence Gould. Grâce au mécénat féminin, Adamov verra enfin ses pièces jouées. Certes elles ne seront pas accueillies, à 21h dans le Grand Théâtre des Champs-Élysée ou dans le quartier de l’Opéra: c’est au Théâtre Lancry dans le Xème, à 18h. 30 qu'est créée La Parodie, sur le thème de la solitude. L’ambiance est donnée par la toile de fond sur laquelle une amie de Roger Blin, Helena Vieira da Silva, peintre de grand talent, a réalisé le décor d’une ville entière, énorme cité hostile à l’Homme. Ce même jour, à la même heure, au Studio des Champs-Élysée est jouée pour la première fois L’Invasion.
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