Trente ans, d’apparence joviale, passionné de golf, nageur intrépide, gros travailleur, Bill Beckett donne une impression de force et de joie de vivre. Il a acquis une jolie fortune et s’est fait construire une belle demeure dans la banlieue élégante de Foxrock. Il épouse alors l'infirmière May Jones Roe, fille d’une famille protestante fort respectée. Pour son plus grand bonheur, sa femme lui donne deux fils: Franck Edward, né en juillet 1902 et Samuel.quatre ans plus tard au soir du Vendredi Saint le 13 avril 1906.
Si, néanmoins, on se réfère à l’ acte de naissance, on est surpris de constater que l’enfant est venu au monde, non pas le 13 avril, mais le 13 mai. Qui croire alors de la légende ou de l’administration ? Interrogé tout au long de son existence, Beckett s’en tiendra sans explication aucune au mois d’avril.
Une Education spartiate
En dépit de leur différence d’âge, les deux frères s’entendent comme larrons en foire, courant la campagne et les bois, dénichant les petits oiseaux, jouant à cache-cache. Bill n’a d’autre ambition pour ses fils que d’en faire des sportifs de haut niveau. La nage tout particulièrement lui tient à cœur. Avant même que les enfants ne sachent exécuter la moindre brasse, le père les jette du haut d’un plongeoir. Il faut leur donner le goût du risque, disait-il et, lorsqu’ils sontplus expérimentés, il leur impose des performances outrepassant leur force et leur endurance. Aguéris par la méthode paternelle, Franck et Sam, se refusent à la douleur et à ses manifestations.
Le dimanche matin, Bill se rend au golf, May emmène ses deux fils assister à l’office du temple. Franck aime beaucoup cette ambiance religieuse qui le rassure et lui apporte une sorte bonheur béat. Sam, quoique plus jeune se pose des questions,les notions d’enfer, de paradis, de pêché, de mort encombrent quelque part son âme d’enfant. Ses dernières expériences religieuses seront sa Première Communion et sa Confirmation qu’il considéra comme « tout bonnement assommantes… J’ai laissé tomber. À ma mère et à mon frère, quand ils sont morts, la religion n’a servi de rien. Dans les moments de crise elle n’a pas plus d’importance qu’un vieux livre de classe ». Dès son plus jeune âge la Grâce divine lui a été refusée.

(photo DR)
Coll. part.
Après le jardin d’enfants, les fils Beckett sont inscrits dans une école préparatoire au lycée de Dublin. - discipline stricte, règlement impitoyable. Un professeur, venu tout spécialement de Paris, enseigne le Français. À treize ans, Sam est pensionnaire de la Portora Royal School à Enniskellen, le lycée même où Oscar Wilde avait fait ses humanités. Le lycéen poursuit des études brillantes en latin et en mathématiques. mais très moyennes en langue française. Par contre ses performances sportives sont remarquables. Il devient à la fois capitaine de l’équipe de natation et membre des équipes universitaires de cricket et de rugby.

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Coll. part.
Trois ans plus tard, Sam tente l’admission au Trinity Collège, l’équivalent d’une faculté française. Ses notes de fin d’année étant moyennes, il lui faut passer un examen d’entrée, il le réussit ric et rac. Au cours d’un entretien particulier avec le directeur des études, le Dr Luce, celui-ci lui demande: « Quelle situation souhaitez-vous embrasser plus tard ? » Samuel embarrassé, répond au hasard « Expert-comptable ».
Le Dr. Luce tient des fiches concernant des étudiants; sur celle de Beckett, il a noté: « Ses deux premières années furent en réalité fort mauvaises. Il ne s’épanouit qu’à vingt ans au cours de la troisième année… ».
En fait, l’adolescent Beckett était un grand garçon, timide, replié sur lui-même, se tenant à l’écart des autres élèves et ne présentant aucun signe avant coureur d’un brillant avenir.

Découverte de la littérature française
Sous l'influence d’un professeur Thomas B. Rudmose-Brown, l’étudiant Beckett s'interresse à la littérature française. Il découvre les tragédies de Corneille et de Racine, ainsi que les ouvrages d’auteurs contemporains, Valérie Larbaud, Léon-Paul Fargue et Françis Jammes.
Les mois passant,. Beckett délaisse les matchs de rugby et de cricket au bénéfice des discussions dans les pubs. Il découvre à la fois le plaisir que donne l’ivresse de l'alcool et les joies que procure le théâtre.
Un jeune et chaleureux public s’est rassemblé autour de nouveaux auteurs, Sean O’Casey, Lenny Robinson et Denis Johnson. Samuel se joint à lui. Les respectables abonnés de l’Abbey Theatre sont à la fois choqués et enthousiasmés par cette vague de jeunesse qui bouleverse leur conception de l’art dramatique.
Tom Driver : Beckett by the Madeleine Columbia Forum , vol 4, n°3 1961. Citation reprise par Deirdre Bair : Samuel Beckett ed. Fayard 1979
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