De sept ans l’aînée de Beckett, Suzanne entre définitivement dans sa vie. Assez grande, d’ allure élégante palliant un visage banal, sûre d’elle-même, sereine, au besoin apaisante, elle sera pour l’écrivain la compagne idéale qui lui sacrifiera sa carrière de concertiste. Tour à tour, inspiratrice, ménagère, agent littéraire, elle s’efforcera de décharger son poète de mari de toutes les contraintes et les corvées de l’existence, La réussite de Beckett, il la doit en partie à cette mère de substitution. « Elle faisait des rideaux quand je faisais des scènes » racontera plus tard Peggy Guggenheim.
Grâce aux recherches de Suzanne, Beckett s'installe dans l’appartement de ses rêves au 6 rue des Favorites, deux pièces, cuisine, salle de bains, au septième étage, sans ascenseur, non loin du boulevard Montparnasse. L'écrivain semble avoir acquis un calme, une maturité, imprévisibles. Il décide de se mettre sérieusement au travail et jure ne plus écrire ses ouvrages qu’en français.
La Guerre
La guerre imminente que tout le monde redoute, semble laisser Beckett indifférent. Sa nationalité étrangère le protége de toute mobilisation en France, alors il attend les événements avec une certaine désinvolture: « Hier soir, à la T.S.F, j’ai entendu Adolf, le pacifiste (sic); on aurait dit l’air qui s’échappe lentement d’un pneu crevé. Mais je resterai ici quoi qu’il arrive au septième étage... ».
Et pourtant, lors de l’invasion allemande de juin 1940, Sam et Suzanne s’enfuient de la capitale et tentent de rejoindre le Sud comme 95% des Parisiens
À la suite de l’occupation allemande, par une volte face politique, le gouvernement de Vichy rompt toute alliance avec la Grande Bretagne devenue une nation maudite et ses ressortissants des ennemis potentiels. Il ne fait pas bon de se présenter comme un citoyen de son aimable majesté. Or Beckett a un passeport britannique.
Néanmoins, l'armistice signée, Beckett et Suzanne s’en reviennent à Paris. Sam se propose de mener une vie très discrète rue des Favorites. Si apolitique de conviction et de comportement soit-on, comment ne pas être bouleversé en apprenant chaque jour l’arrestation d’un ami étranger ou Juif. Beckett, le pacifiste, s’engage dans la Résistance: « Les nazis et surtout le traitement qu’ils affligeaient aux Juifs m’indignaient tellement que je ne pouvais pas rester les bras croisés... Je combattais contre les Allemands qui faisaient de la vie un enfer pour mes amis ; je ne me battais pas pour la nation française ».
Au début « Sam » ou « l’Irlandais » - noms de guerre de Beckett - sert de boîte à lettres pour les réseaux l’Étoile et Gloria. Mais, bientôt, se sentant épié par ses voisins, curieux des multiples va-et-vient dans son escalier, Beckett se propose d’enregistrer et de reproduire au moyen de microfilms. les renseignements recueillis.
Suzanne, aux côtés de Sam, l’aide dans son action clandestine et participe aux diverses initiatives commandée par la Résistance, jusqu’au jour où, livrée par la traîtrise d'un camarade travesti en abbé, la plupart des membres de leurs réseaux sont arrêtés.

Au Maquis
(photo DR)
Coll. part.
Par une chance inouïe, Beckett et sa compagne passent à travers les mailles du filet et se réfugient à Roussillon en Vaucluse. Dans ce petit village provençal, l’ouvrier agricole Beckett poursuit épisodiquement son travail de sape destructive tout en écrivant en cachette son troisième roman autobiographique: Watt, ouvrage composé en langue anglaise.
Pour ses services rendus à la Résistance, le 30 mars 1945, Beckett reçoit la Croix de Guerre avec Étoile d’Or, ainsi que la Médaille de la Résistance. Mis à part Suzanne et deux ou trois intimes, personne n’est au courant de ces récompenses. Beckett n’exhibe aucune décoration à sa boutonnière, mais porte désormais l’alliance que Suzanne lui a passée au doigt devant M. le maire du XVème arrondissement.
Peggy Guggenheim : Out of This Century : The Informal Memoirs of Peggy Guggenheim (N.Y Dial Press 1946)
Lettre à Georges Reavy, le 27 septembre 1938
. Cf Watt
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