Association de lalogoRégie Théâtrale  
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La Grande Guerre

À la lecture de ce courrier, Édouard claqua la porte et s'en alla retrouver des amis dont il avait fait connaissance lors des dernières vacances, à Saint-Jean de Luz, une famille insouciante, sans complexe, au sens moral très élastique, composée d'artistes et de banquiers : les Samazeuilh, qui depuis plusieurs générations connaissaient alternativement des périodes de richesses les plus flamboyantes suivies de faillites les plus désastreuses sans quitter, pour autant le club de la haute bourgeoisie bordelaise du Quai des Chartrons. Dans leur propriété de Pingaland ce n'était que luxe et volupté. Le caviar, les vins fins, les divans profonds, tout était en place pour les débats amoureux. Aucun plaisir n'était refusé à cette jeunesse dorée qui n'avait qu'une obligation : celle de suivre ses désirs.

Édouard, l'inquiet, le taciturne, découvrit un monde qui le fascina. Il ne savait plus où donner ses regards et papillonnait de la brune à la blonde. Par l'intermédiaire d'une jeune fille de la bande, l'hiver suivant, au cours d'un dîner parisien, il fit la connaissance de Denise Rémon. Elle venait de convoler en justes noces avec le comte de Saint-Léger de la Saussaye. Édouard trouva beaucoup de plaisir en sa compagnie. Néanmoins il avait encore une maîtresse officielle, Antoinette. Il ne s'en était jamais caché et lui téléphonait même en présence de Catherine. Antoinette n'était pas sectaire : amie d'Édouard, elle l'était également de la célèbre Nathalie Barney que le Tout-Paris appelait L'Amazone qui lui murmurait tendrement «  Nous les femmes, nous aimons la grâce et la délicatesse et ma possession ne meurtrit tes seins ».

Août 1914, Adieu les jeux de Pingaland. Adieu la tribu de jeunes inconscients. Adieu le partage des amours perverses.

Dès la mobilisation, Édouard fut affecté à l'État-Major anglais comme interprète. Mais en 1915, il demanda à partir au front. Dans une longue lettre, il s'expliqua auprès de... Catherine. Il s'ennuyait dans son QG et se faisait honte de partager l'existence des planqués de l'arrière. Depuis la guerre, il avait eu le loisir de faire un retour sur lui-même et de déplorer l'inutilité de sa vie passée. Si, à présent, il mourait au combat qui le pleurerait ? À qui à quoi servait-il ? Autant se sacrifier pour la Patrie que de n'être rien. Et peut-être qu'à l'épreuve du danger, sous l'avalanche des obus, se sentirait-il moins nul qu'il le croyait, ainsi pourrait-il juger de son mérite d'exister ? Un nouvel Édouard était né. Dans un autre courrier, il écrivait à Catherine qui continuait à être son épouse : «  Tu ne souhaites guère ma présence, je ne t'apporte pas grand-chose et tu peux très bien te passer de moi ; mon corps ne t'intéresse plus et mon âme ne te plais guère ». Il était bien temps de faire le délaissé ! Dans un dernier moment de révolte, Catherine nota rageusement en marge de la lettre « C'est révoltant, je l'adorais, il avait une maîtresse... Il n'avait qu'à m'aimer sans littérature et à lâcher sa grue ! » Le temps passa et à la fin de 1917, Catherine annonça à Édouard qu'elle ne reprendrait plus la vie commune.

Affecté au 48ème bataillon de Chasseurs à pied avec le grade de sous-lieutenant, Édouard fut blessé deux fois. Pour ses faits de guerre, il sera décoré de la Distinguished Conduct Medal, de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre avec palmes.

De retour à la vie civile, seul à Paris, il loua un petit appartement villa Niel. Il eut pour voisin François Mauriac et sa famille, le directeur de théâtre Jacques Porel et un violoncelliste international, Pierre Samazeuilh, époux de la sœur de Denise Rémon, divorcée depuis peu de son comte de mari.

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