Sa seconde pièce, écrite avec Marcel Oger, qu'il a rencontré à l'Atelier, Diable au cœur, sera créée
le 18 juin 1942 au théâtre des Noctambules. Les auteurs reconnaissent qu'ils ne manifestent
aucune prétention démesurée et qu'il ne s'agit que d'une fantaisie, d'un délassement. Il s'agit en fait,
d'un exercice d'élèves, tant pour les auteurs que pour les comédiens. En 1945, Oger devient directeur
du théâtre de Poche et crée L'Absent, de son ami Bréal, pièce dramatique inspirée par les évènements que le pays vient de vivre. La pièce lui aura permis de rencontrer le comédien Louis Arbessier
qui prendra connaissance quelques années plus tard d'Edmée, farce paysanne, remettra la pièce à Georges Vitaly, jeune metteur en scène à l'avant-garde de la création, et qui monte la pièce au théâtre de
la Huchette , le 23 mars 1951. C'est un succès, et l'auteur remporte le prix Lugné-Poë.
Mais, fait
plus notable, la rencontre entre l'auteur et Jacques Fabbri. Rencontre aussi importante pour les
deux hommes que celles de Anouilh-Barsacq, Giraudoux-Jouvet, Salacrou-Dullin
ou Audiberti-Vitaly. Et cette entente marquera d'abord chez Bréal un changement de ton.
On peut penser que la personnalité énorme et généreuse de Fabbri a influencé Bréal pour l'écriture
des Hussards. « Pendant l'Occupation, dans mon village natal, deux soldats allemands ivres – morts , avaient failli créer un drame par leurs provocations. Une bagarre avait commencé entre eux
et la population. Nous avions été en somme à la merci de la bêtise ».
La truculence de Fabbri, qui vient de créer sa compagnie, sa généreuse drôlerie, se sont trouvées
tout naturellement à l'aise dans cette histoire de deux hussards français des armées du
général Bonaparte, en occupation dans une petite ville lombarde. Fabbri a donné à la farce
un mouvement irrésistible. Les Hussards, créée le 15 décembre 1953 au théâtre des Noctambules, connaît un très légitime succès et une presse unanimement élogieuse. La distribution comprenait,
outre Fabbri, Rosy Varte, Jacques Grello et un jeune comédien inconnu, Raymond Devos.

Les Hussards
Maquette reconstituée
Collection A.R.T.
Les succès de Edmée et des Hussards à l'époque ne monteront pas à la tête de leur à l'auteur et ne
lui donneront pas l'idée d'abandonner son cabinet dentaire. P.A. Bréal poursuivra toujours son
existence double. « J'ai réussi à maintenir dans ma vie une balance dont les deux plateaux sont
en équilibre ». Ce Docteur Jekill et Mister Hyde résume fort bien sa situation. « Je sais que j'ai un
deuxième métier pour vivre. Cela me donne une tranquillité d'esprit. Je n'aurai jamais besoin de faire
ce genre de travaux alimentaires qui dégradent les auteurs dramatiques. Par ailleurs, l'étude
de la médecine, fut elle dentaire, m'a donné une grande connaissance du corps humain. C'est tout
de même important de savoir où est son cœur, son foie ? C'est merveilleux d'empêcher les gens de
souffrir. C'est la plus belle chose du monde. Mais c'est exaltant de faire œuvre littéraire, de créer ».

Collection A.R.T.
En ce qui concerne sa pièce suivante, le succès ne sera pas au rendez-vous. Une fois de plus on aura
fait mentir le proverbe « jamais deux sans trois », comme viennent de le constater ses confrères
Marcel Aymé et Barillet et Grédy avec leur troisième pièce. Il s'agit de Jules, comédie farce
créée le 20 février 1956 au Théâtre Antoine, qui conte l'aventure d'un mauvais garçon devenu
honnête magistrat. C'est un tollé général de la part de la critique, mais si tous les articles reconnaissent unanimement l'échec, ils le font sans méchanceté, insistant surtout sur leur déception. « On peut se
tromper, ça n'empêche pas les sentiments ». (Guy Verdot). « Fabbri nous doit, et Bréal avec lui,
une revanche ». (Georges Lerminier). Bréal reconnaîtra : « Cet échec a été très dur dans la
mesure surtout où il a suscité une gêne entre Fabbri et moi, parce que nous ne devions plus être sûrs
l'un de l'autre. J'ai été amené à récrire trois fois La Grande oreille et Fabbri, qui l'avait dans
ses cartons depuis 1959 ne s'est décidé à la jouer qu'en 1962 ».
En effet, La Grande oreille, créée
le 3 décembre 1962 au théâtre de Paris va marquer le retour au succès pour le tandem Bréal-Fabbri.
Et même un très grand et légitime succès. C'est une pièce comique sur un thème dramatique : l'intolérance. L'auteur, qui fait évoluer ses personnages à l'époque du Roi Soleil, reconnaît qu'il suffirait de bien peu
pour que l'action se passât de nos jours : l'essentiel est là, c'est-à-dire la haine que nous portons consciemment ou inconsciemment à ceux qui n'adorent pas les mêmes dieux que nous. La plupart
des critiques font référence à Molière. La pièce se jouera une saison entière au grand théâtre de Paris.
Le tandem auteur - metteur en scène acteur se reformera en 1968 avec Les Suisses, pièce créée en
1968 au théâtre du Vaudeville (actuellement l'Européen) au sujet de laquelle Fabbri évoque Bréal
dans le programme : « Personne n'écrit comme Bréal. Personne n'ose écrire comme Bréal.
Personne n'ose faire des pièces avec de bons sentiments, c'est trop dangereux. Personne n'est cruel
comme lui, personne n'est tendre comme lui, scandaleux comme lui, alors qu'il ne met en scène
ni pédéraste, ni sadique, ni drogué. Personne n'est aussi naïf. Personne ne s'intéresse vraiment aux
vrais héros de notre temps que sont les gens ordinaires comme vous et moi. Personne n'est aussi simple
que lui et j'essaie de me glisser dans cette tendre intimité. C'est dire que Bréal et moi sommes un
vieux couple. Parce que nous nous aimons ». C'est un très grand succès.

Collection A.R.T.
Il faudra attendre 1977 pour voir afficher une nouvelle pièce de Bréal, toujours montée par la
Compagnie Fabbri : La Magouille ou la Cuisine française créée le 12 septembre 1977
au théâtre de l'Œuvre. C'est, là encore, une fable historique : un policier, apprenant le débarquement
de Napoléon au Golf Juan, ne sait à quel saint se vouer. Le malheureux, chargé du maintien de l'ordre
ignore où se trouve cet ordre car, en un rien de temps, la France change quatre fois de régime :
l'empereur, le roi, de nouveau l'empereur, derechef le roi. L'action se complique du fait qu'elle
se déroule dans le logis de son frère, maître de postes à Sisteron, un anarchiste.

Collection A.R.T.
La pièce est mollement accueillie par la critique qui se réfère avec indulgence et nostalgie aux précédents spectacles du duo Bréal-Fabbri. « Une fantaisie apparemment décousue » (Georges Lerminier) « De la bonne humeur un peu forcée, hélas » (Pierre Marcebru). « La pièce appelle les épithètes
de creux et de balourd » (Dominique Jamet). La Magouille marquera la fin de la collaboration
Bréal-Fabbri.

La Magouille
Jacques Fabbri
Collection A.R.T.
(photo DR)
C’en sera fini de l’auteur dramatique. Le dentiste aura le dernier mot pendant les treize années suivantes.
Pierre Aristide Bréal s'éteindra le 30 juillet 1990, à Sartrouville, près de Paris.
Paul-Louis Mignon – Le Théâtre de A à Z – Éditions de l'Avant-Scène.