Désormais, les deux complices peu vent se considérer comme de vrais auteurs dramatiques et envisager l’écriture d’une nouvelle comédie policière Folie douce. Une fois terminé, le manuscrit est soumis à plusieurs comédiennes. Certaines aiment le rôle, puis ne l’aiment plus ou sont engagées par ailleurs. Puis le miracle survient. Danielle Darrieux, absente des scènes parisiennes depuis quelque temps, souhaite faire son retour sur les planches. Après avoir lu le manuscrit elle s’enthousiasme et rêve de jouer le rôle de Françoise, cette jeune femme fidèle qui après un dîner chez des amis, auquel Jérôme son mari important fonctionnaire n’a pu assister, se laisse ramener chez elle par un séduisant médecin Au cours du retour, dans une allée sombre du bois de Boulogne, elle voit, à la lueur des phares, un homme à demi-nu , éjecté d’une voiture et cette voiture lui paraît être celle de Jérôme… Au bout de trois actes, l’affaire sera élucidée et Françoise se retrouvera dans les bras de son époux.
Mise au courant de l’accord de Danielle Darrieux, Elvire Popesco refuse de voir le spectacle monté ailleurs que dans son théâtre. Le 15 mars 1972, voici affiché au fronton du Théâtre Marigny Folie douce de Jean-Jacques Bricaire et Maurice Lasaygues. Les deux auteurs n’en croient pas leurs yeux. Néanmoins, ils craignent le qu’en dira-t-on. Une pièce de l’administrateur jouée dans son théâtre, c’est suspect : « Un ami me téléphone pour me signaler qu’il a entendu la veille dans un cocktail le critique Gilles Sandier dire à un de ses confrères : « Mardi, c’est Bricaire, cette fois il ne faut pas le louper… ».
En fait la pièce connut un beau succès, tant auprès du public que des journalistes, les titres des articles en sont les témoins: « Folie douce mérite des éloges » « Folie douce comédie policière aux 1.000 rebondissements » « C’est le théâtre comique qui fait de bonnes recettes à Paris » , « Folie Douce , à la manière de Feydeau » . Les recettes sont excellentes. C’est à regret que la pièce dut s’arrêter après la cent vingtième représentation, un contrat antérieur ayant été signé par Elvire Popesco pour laisser la scène du théâtre à une comédie musicale, Othello Story, qui n’eut aucun succès.

Folie douce
Danielle Darrieux, Michel Roux et Jean-Pierre Darras
Dessin de Jan Mara
Coll. Ève Bricaire
C’est alors que, séduit par les excellentes critiques obtenues lors de l’émission de Au Théâtre ce Soir, le directeur du Théâtre des Capucines proposa une reprise de Rappelez-moi votre nom. Nos deux auteurs ne se firent pas prier. La critique et le public leur donnèrent raison en applaudissant : « un spectacle récréatif qui aère l’esprit et engendre la gaîté ».
La saison théâtrale 1973-1974 s’ouvrit sur une nouvelle pièce signée Jean-Jacques Bricaire et Maurice Lasaygues : L’Honneur des Cipolino . Cette comédie, écrite quatre ans auparavant, en juin 1969, avait eu l’honneur de recevoir à l’unanimité le XXIème Grand Prix d’art dramatique du Casino d’Enghien. Le travail du jury comprenant les auteurs : Armand Salacrou, Françoise Dorin, Henri Jeanson, Serge Veber, André Frank, un critique dramatique Max Favalelli, les comédiens : Fernand Ledoux, François Périer, Pierre Dux, avait été long et fastidieux, plus de deux cents candidats anonymes avaient tenté leur chance. Bricaire et Lasaygues, les heureux lauréats, espéraient que les responsables des théâtres parisiens allaient s’arracher la pièce, que de célèbres comédiens tel Michel Simon ou Pierre Brasseur souhaiteraient jouer le rôle du patriarche sicilien. Malheureusement le premier était en procès avec son ancien directeur de théâtre, - première instance, appel, cassation - Michel Simon en perdait la tête et ce n’était pas le moment de l’engager. Le second, jouant encore au Théâtre Saint-Georges Tchao de Marc-Gilbert Sauvageon, lut le manuscrit, s’enthousiasma et proposa à la directrice du théâtre, Mme Mary Morgan , de monter la pièce, en novembre 1970, après la dernière représentation de Tchao. Le temps passe, on patiente, quand Pierre Brasseur tombe malade. Une fois encore, il faut attendre.
C’est en définitive au Théâtre Fontaine que fut affiché L’Honneur des Cipolino, le vendredi 7 septembre 1973. Le rôle du pépé fut tenu par un très bon comédien Harry Max mais il n’avait pas la célébrité des deux autres vedettes… La publicité se fit sur le nom de Ginette Leclerc, la « vamp » française des années d’avant-guerre. On ne l’avait plus vue sur une scène parisienne depuis 1960. Elle fut très heureuse de quitter son ancien emploi pour devenir la mamma sicilienne, celle qui n’accepte pas que se marie sa seconde fille, très jolie, très gracieuse avant son laideron d’aînée, désagréable et ronchon.

L'Honneur des Cipolino
Ginette Leclerc, Jean Barney, Mireille Delacroix, Anne Marbreau et Harry Max
Dessin de Lebon
Coll. Ève Bricaire
Les applaudissements de la répétition générale ne s’étaient pas calmés que déjà nos deux complices concoctaient dans leurs têtes le plan d’une nouvelle comédie. Parmi plusieurs projets qui leur vinrent à l’esprit ils choisirent celui qui leur parut du plus grand intérêt pour le spectateur : l’Astrologie.
« Quel est votre signe ? C’est la première question qui vous est posée par des personnes que vous rencontrez pour la première fois. Avant même de s’informer de votre profession, votre âge, votre situation de famille, on cherchera à savoir si vous êtes taureau ou scorpion … Presque tous les journaux publient un horoscope et ce phénomène qui semble répondre à l’angoisse des gens devant leur avenir nous a semblé constituer un excellent ressort dramatique. » .
Devant l’importance du sujet, les auteurs n’ont pas travaillé à la légère, ils ont pris leur temps, ils ont été jusqu’à consulter l’illustre astrologue, Mme Marie-Louise Sondaz, lui ont soumis leur manuscrit qu’elle approuva : « Jean-Jacques Bricaire et M. Lasaygues, auteurs bien parisiens et qui savent découvrir les travers et les faiblesses de leurs contemporains, nous montrent quelles situations bizarres, incohérentes et finalement comiques peut déclencher l’amour de l’astrologie, lorsque des croyances superstitieuses – dont j’ai fait table rase mais qui sont soigneusement entretenues par des faiseurs d’horoscopes – sont confondues avec les grandes vérités que cette science m’a permis de découvrir et de préciser. » Si donc le public, abusé sans doute par le libellé de l’affiche espérait assister à une comédie libertine, il en était pour ses frais. Il n’empêche que le spectacle des Deux Vierges, version Bricaire-Lasaygues, déchaina bien des fous-rires et remporta un grand succès. Imaginez un promoteur immobilier, maniaque de l’astrologie, qui n’engage aucune démarche sans consulter son horoscope. Son fils, amoureux de la fille du contremaître découvre que ce dernier est né à la même heure, le même jour du même mois de la même année que son père. Il échafaude une théorie digne d’un élève de Nostradamus surenchérie par un élève de Freud et oblige papa à adorer son futur beau-père, puisque leur destin est identique. Le bonheur de l’un est le bonheur de l’autre et , « …comme dans Molière ou dans Marivaux les amants parviendront à leurs fins, fût-ce au prix d’un délire…zodiacal » . Le compliment ne fut pas mince…

Depuis quelques années déjà les comédies signées Bricaire-Lasaygues commencent à être traduites et jouées en pays étrangers. Les succès seront déterminants et les pièces connaîtront des carrières lointaines, longues et triomphales.
1979 … Les mois passent, il serait temps de se remettre au travail. « Il y avait longtemps, dit Bricaire, que l’idée d’écrire une pièce policière nous tenaillait mais il nous manquait le détonateur… » et Euréka ! un matin nos deux amis pensent l’avoir trouvé, ce détonateur. Pourquoi ne pas situer l’action dans le milieu qu’ils connaissent le mieux, celui du Théâtre. Cela deviendrait Comédie pour un meurtre. Un critique dramatique plus ou moins détestable, n’apparaissant jamais en scène, mais peu épargné en paroles par les protagonistes de la pièce est assassiné dans un théâtre. Obligatoirement le coupable faisait partie du personnel. Facile de distribuer les rôles d’une directrice, d’un auteur dramatique, d’un metteur en scène, d’un jeune premier, d’une amoureuse, etc... Le plus délicat est de dénicher le comédien capable d’incarner un commissaire convaincant. Au cours d’un dîner chez des amis Jean-Jacques Bricaire rencontre le journaliste Georges de Caunes, il lui semble être le personnage adéquat pour mener l’enquête. Dominique Nohain, directeur du Théâtre Tristan Bernard, passionné par le sujet, se propose de mettre en scène la comédie dans son théâtre. Elle sera créée le 27 octobre 1979.

Collection A.R.T.
La pièce connut un beau succès auprès du public parisien. Mais aucun article de presse, aucun papier de critiques dramatiques ne lui rendit hommage. Il faut dire que nos deux auteurs avaient soigneusement évité d’inviter la presse, de crainte que les journalistes ne crient à la provocation.
Jamais auparavant Jean-Jacques Bricaire et Maurice Lasaygues n’avaient écrit une pièce pour un acteur en particulier.
Quand leur vint le désir de mettre en scène des jumeaux, - l’idée n’était pas neuve, mais elle offrait mille possibilités de situations – il leur fallait trouver un bon comédien susceptible de se déplacer d’un personnage à l’autre. Ils pensèrent au comédien Jean-Jacques Guillaume, dit Jean-Jacques, interprète de la plupart des vaudevilles de Jean de Létraz au théâtre du Palais Royal et qui venait de reprendre le rôle de Zaza dans la La Cage aux folles avec beaucoup de brio . Ils écrivirent leur vaudeville essentiellement à son intention.
Le 24 janvier 1981, le rideau du Théâtre Daunou se lève sur les aventures d’un drôle de duo : Martine dirige une usine lyonnaise. Forte femme autoritaire, super-active, elle mène la vie dure à son entourage y compris à son mari. Son jumeau, Martin, est directeur d’une galerie d’art, financée par sa soeur qui pourtant le déteste et le méprise. Il est délicat, léger, insouciant, il trompe sa femme sans remords. Si la nature semble s’être trompée quant à leurs tendances caractérielles, leur physique est étrangement ressemblant à tel point qu’un jour Martine, afin de connaître les sentiments de son entourage, a l’idée de se transformer en Martin. Et pourquoi alors Martin ne se ferait-il pas passer pour Martine ? À partir de ce moment-là , Jean-Jacques ne joue plus un rôle, mais quatre… C’est moi ! C’est toi ! C’est Lui ! Non c’est Elle… Malentendus, quiproquos, portes qui claquent. On ne s’y retrouve plus. Parfois même, à l’instar de Guignol, Jean-Jacques est obligé de s’adresser au public pour lui expliquer qui il est en réalité. : « Ne vous trompez pas, cette fois je suis Martin qui a emprunté les vêtements de sa sœur… ».
La salle est en délire… et les applaudissements interminables. La presse se voudrait un peu plus mijaurée : « L‘œuvre n’est lourde d’aucun message et ne vise aucune métaphysique. Elle n’est qu’une mécanique à provoquer le rire » « Ce n’est pas du Marguerite Duras ! ». Malgré tout, elle ne peut contester la joie du public : « On défie de ne pas rire le spectateur le plus mélancolique. Jean-Jacques mériterait d’être remboursé par la sécurité sociale ».
Foin des petites histoires de l’éternel trio, le mari, la femme et l’amant, nos deux auteurs, toujours à l’affût d’une idée inédite, furent alertés au printemps 1983 par une proposition de loi du sénateur Caillavet autorisant les opérations chirurgicales de transsexuels. Le sujet était tout trouvé. Il ne restait plus qu’à écrire le manuscrit d’une oeuvre originale qui s’intitulerait La Berlue ou Le Masculin singulier et dans laquelle un colonel américain avait donné le jour, vingt ans auparavant, à un charmant bambin et réapparaissait dans la vie du jeune homme. Avant de mettre la pièce en répétition, les auteurs firent lire leur texte au professeur Jean Vague, spécialiste du transsexualisme. Ce dernier « a analysé notre comédie en passant au crible chaque détail et en rendant hommage à un sujet que d’après lui nous connaissions à fond … Qu’il nous pardonne, mais sur les plans privés et professionnels notre ignorance est totale dans ce domaine ». La pièce créée au Théâtre du Petit Marigny le 8 novembre 1984 remporta un énorme succès. Le public riait tant et tant qu’un soir une spectatrice s’est étouffée de rire, on dut suspendre le spectacle, appeler les pompiers qui ne purent réanimer la femme. Faire mourir de rire au théâtre, peu d’auteurs peuvent s’en vanter.
« Sans le mensonge, l’humanité périrait de désespoir et d’ennui ». Cette fois ce fut la phrase d’Anatole France qui déclencha chez nos amis l’envie d’écrire une nouvelle comédie. Avec eux, Le théâtre de boulevard s’est modernisé, il n’est plus question de cocufiage, mais de père compréhensif qui passe pour le mari, de mère porteuse, de femme libérée, entraînant toute une panoplie d’aventures rocambolesques sorties de l’imagination fertile d’une adorable mythomane. Pour jour ce rôle avait été engagée la jeune chanteuse, l’espiègle et pétillante Sabine Paturel. Aucune comédienne mieux qu’elle n’aurait pu donner toute sa saveur à la comédie qui tout naturellement s’intitula La Menteuse. Cette fois la critique fut unanimement enthousiaste. Aucune réserve, si mince fût-elle. Nos deux auteurs se sentaient devenir les rois rénovateurs du Théâtre de Boulevard. Ils étaient fiers et heureux. Quelque temps auparavant Jean-Jacques Bricaire avait déclaré : « J’espère que nous en écrirons encore beaucoup car ce travail commun dans la joie et les engueulades fait maintenant tout naturellement partie de notre vie et de notre fraternelle amitié ».

La Menteuse
Sabine Patirel
Coll. Ève Bricaire
(photo DR)
Hélas, hélas ! Bientôt Maurice Lasaygues tomba malade, ses souffrances durèrent plusieurs mois et il finit par s’éteindre en janvier 1991, emporté par ce qu’on appelait avec pudeur : une longue et douloureuse maladie.
Le chagrin de Jean-Jacques fut digne, presque muet. Mais un ressort s’était cassé. Il essaya de se remettre au travail : « Maurice Lasaygues nous a quittés, je suis bien obligé depuis d’écrire seul, de mon côté, mais en invoquant quotidiennement celui qui a partagé pendant de si longues années tant de joies et d’efforts. Je veux croire que son départ ne constitue qu’une prise de distance ».
Abandonné à lui-même l’auteur ne chercha pas loin sa source d’inspiration. Il s’attaqua au fléau que représente pour le citoyen le fisc, d’où le titre : Cher Trésor, affichée en mars 1993, au théâtre Fontaine. En remplissant sa feuille d’impôts, Paul, un célibataire endurci, déclare avoir à sa charge une épouse, une vieille mère paralysée et six enfants… Un contrôle fiscal s’annonce. Comment y échapper ? Affolement du tricheur, il lui faut trouver des comparses pour jouer les rôles d’une chère famille imaginaire. Complications, mensonges, situations ambigües. La critique est assez bonne dans l’ensemble. Le public, toujours prêt à en découdre avec les impôts, s’amuse beaucoup. Mais Jean-Jacques Bricaire, lui, ne s’amuse plus. Sans son complice, c’en est fini de son métier d’auteur dramatique.
Une autre bataille l’attend.
L’Autre Coté du Décor Jean-Jacques Bricaire éditions des Quatre-Vents 2001
Minute
Le Parisien Libéré
France Soir
Centre Presse
L’Aurore André Ranson 25 avril 1973
Cf Quelques pièces
L’Avant-scene Jean-Jacques Bricaire et Maurice Lasaygues, 15 janvier 1976
L’Avant-Scène Marie-Louise Sondaz 15 janvier 1976
La Croix F.W. 7 novembre 1976
Cf. Œuvres dramatiques
L’Aurore Jean-Jacques Bricaire , 23 octobre 1979
Pariscope Guillaume Hanoteau 1er avril 1981
Minute Monique Violet 25 mars 1981
Valeurs actuelles Paul Chambrillon
Cf Quelques Pièces
Le Figaro J.J Bricaire et M. Lasaygues
Cf Quelques Pièces
L'Avant-scene Jean-Jacques Bricaire 15 janvier 1985
L'Avant-Scène Jean-Jacques Bricaire, 1er mars 1993