Tandis que Paul Claudel commençait la traduction de l’Agamemnon d’Eschyle et s’était attaqué à deux nouvelles pièces : L’Échange et La Jeune fille Violaine, il fut nommé, en octobre, consul à par entière, affecté d’abord, à New-York, puis en Syrie en Palestine et bientôt en Chine.

(photo DR)
De prime abord, le sujet de L’Échange aurait pu, à n’en pas douter, séduire un vaudevilliste, tel que Marc Camoletti. Deux couples font connaissance. Marthe, l‘une des deux épouses, adore son mari d’un amour entier. Bientôt les hommes décident d’échanger leurs femmes, en dépit de l’immense chagrin de Marthe et de la perte de la raison de Lechy. Les dialogues lyriques et bouleversants de Paul Claudel, décrivant le désespoir, la folie, le crime, la mort, en firent un drame de la première réplique au baisser du rideau final. Toujours inquiet et une fois encore mécontent de son travail, Claudel écrivit, le 9 décembre 1913, à son ami, le metteur en scène Lugné Poe : « ... Je commence à avoir certaines idées sur cette pièce que je n’aimais pas beaucoup jusqu’ici et qui me permettront de faire une chute éclatante de ce qui autrement en ferait un four noir. » Il retravailla donc son texte. Désormais, il fit de la douce Marthe un personnage de femme forte et autoritaire.
La pièce fut montée en 1914 par Jacques Copeau, au théâtre du Vieux Colombier. Les critiques furent décevantes. La plus sévère : « L’Échange est une pièce médiocre et sur laquelle il est préférable de laisser l ‘oubli faire tranquillement son œuvre... » fut de Paul Claudel lui-même. Sous l’Occupation, Jacques Hébertot souhaita inscrire L’Échange à son programme, mais les conditions de la censure allemandes rebutèrent Claudel qui nota dans son Journal, à la date du 15 mars 1943 « Ia censure autorise L’Échange mais à la condition, 1° ) que l’on supprime les passages écrits en langue anglaise, 2°) que l’on change les noms des personnages : Lechy Elbernon et Thomas Pollock Nageoire 3°) que l’action ne se passe plus en Amérique ; on suggère le Portugal ou la Norvège !!! Bien entendu, je refuse ».

L'Échange au Vieux Colombier - 1914
Charles Dullin, Madeleine Marion, Jacques Copeau et Marie Kalff
in Encyclopédie du Théâtre contemporain 2
(photo Bert)
Coll. Vincent Parot
Toutefois, après le décès de son auteur, L’Échange fut affichée, en 1962 au théâtre Hébertot, puis, en 1964, au théâtre de Lutèce et... comble d’honneur, à la Comédie Française, en 1995.

Collections A.R.T.
Quant à La Jeune fille Violaine, fiancée à Jacques Hury, de par la volonté de son père, elle était follement amoureuse du lépreux Pierre de Craon. Elle embrassa ce dernier pour lui dire adieu. Elle attrapa sa maladie. Persuadé que sa fiancée l’avait trompé, par vengeance, Jacques épousa Mara, la sœur cadette. Violaine, malade, s’exila dans une forêt, en attendant la mort. C’est alors que Mara, après avoir cherché à tuer sa sœur vint la trouver avec dans ses bras, le fils aveugle qu’elle a eu avec Jacques. En odeur de sainteté Violaine rendit la vue à l’enfant.
Alors qu’il avait reçu quelques propositions pour monter sa pièce, Claudel refusa, de crainte de nuire à sa carrière diplomatique. Dans une lettre à André Gide, il écrivit : « Je ne suis nullement sûr que cette représentation plairait au Ministère où je suis déjà mal vu en raison de mes opinions religieuses. Je ne puis ainsi compromettre ma position pour un peu de gloriole. Consul, poète et dévot, c’est trop à la fois ! »
Le thème de La Jeune fille Violaine sera repris, quelques années plus tard dans un grand succès : L’Annonce faite à Marie. Claudel aurait souhaité que son œuvre soit inscrite au répertoire de la Comédie Française, sans résultat. En fait L’Annonce faite à Marie verra le jour en 1912, au théâtre de Malakoff, joué par la troupe du théâtre de l’Œuvre, dans une mise en scène d’Aurélien Lugné Poë. Après de triomphales tournées, la pièce connaîtra mille et une reprises dont celle de Gaston Baty qui l’affichera en 1921, à la Comédie Montaigne et celle que Louis Jouvet présentera en 1945, au théâtre de l’Athénée.
Une dizaine d'années après sa conversion, Paul Claudel, profitant de son séjour à Shanghai où le réclamaient ses fonctions diplomatiques, rencontra des missionnaires français qui l’initièrent aux croyances ancestrales de la Chine. Claudel écrivit alors Le Repos du septième jour, pièce à la fois symboliste et d’inspiration chrétienne, la moins connue de son théâtre. L‘action se déroule dans la Chine ancestrale. Les morts reviennent, sans cesse, sur la terre et ne laissent aucun repos aux vivants. L’Empereur décide de descendre aux Enfers où il apprend que les mortels n’auront la paix que s’ils consacrent le « septième jour » à la prière et au repos.
La pièce sera mise en scène par Pierre Franck, en 1965, au théâtre de l’Œuvre et publiée aux éditions du Mercure de France.

Le Repos du septième jour au Théâtre de l'Œuvre
André Luguet et Denis Manuel
(photo Lipnitski)
fonds Georges Herbert
Collections A.R.T.
Lettre à Philippe Berthelot 2 mai 1931
Lettre du 18 février 1909