En 1900, Claudel, fut nommé, une fois de plus au consulat de Pékin. Sur le bateau, qui le ramenait en Chine, il fit la connaissance d’une ravissante jeune femme d’origine polonaise, Rosalie Vetch. Malheureusement celle-ci était mariée. Sous l’emprise de son sentiment amoureux et conscient de l’état de péché dans lequel il se trouvait, Claudel vivait la torture. Il lui était impossible de mettre fin à cette liaison intense qui dura cinq années et au cours de laquelle Rosalie lui donna une fille, Louise. Il ne reconnut pas l’enfant qui n’apprit l’identité de son père qu’à l’âge de vingt-huit ans.

Paul Claudel peint par le peintre Hong Chang
in programme original du Repos du septième jour Théâtre de l'Œuvre 1965
Collections A.R.T.
Désespérés, les amants durent se quitter de peur d’un scandale causé par un mari jaloux. Jusqu’à la fin de sa vie, Claudel ne put oublier l’objet de son amour perdu.
S’inspirant du chagrin que lui causait sa rupture avec Rosalie, Claudel s’empressa d’écrire : Le Partage de Midi. Sur un paquebot voguant vers l’Asie, quatre passagers européens se rencontrèrent : la belle et mystérieuse Ysé, son époux, M. de Ciz, noble ruiné, Almaric, un de ses anciens amants et le consul Mesa. Partagés entre une vocation religieuse et l’appel impétueux de la chair. irrésistiblement attirés l’un vers l’autre, Ysé et Mesa tentèrent, sans succès, de résister à leur amour ...
Le Partage de Midi resta dans les tiroirs de son auteur pendant trente sept ans. Sollicité à plusieurs occasions par J.L. Barrault, Paul Claudel rétorquait : « Il y a des cris qu’un homme ne doit pas pousser. Le Partage de Midi est ce cri, cela me gênerait comme si j’étais ce cri ! » Toutefois, en 1948, Barrault eut l’autorisation de monter le drame, au théâtre Marigny dans une distribution prodigieuse : Edwige Feuillère, Pierre Brasseur, Jacques Dacqmine. Les décors furent l’œuvre de Félix Labisse, inspirés d’un reportage photographique de Claudel. Le spectacle fut un triomphe. Suivirent des reprises à la Comédie Française, en 1975 et 2007, au Théâtre de l’Atelier, en 1990, au Festival d’Avignon, en 2000 et au Théâtre de l’Aquarium en 2011.

Le Partage de Midi au Théâtre Marigny - 1948
Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Edwige Feuillère et Jacques Dacqmine
in Encyclopédie du Théâtre contemporain 2
(photo DR)
Coll. Vincent Parot
Le 15 mars 1906, Claudel épousa, en tout bien tout honneur, une jeune fille de bonne famille lyonnaise, Reine Sainte-Marie-Perrin.
Pour Claudel, il n’était plus question d’amour intense et passionné. N’écrivit-il pas dans sa pièce Le Pere humilié : « Le mariage ce n’est pas le plaisir, c’est le sacrifice du plaisir. C’est l’étude de deux âmes qui, pour toujours, désormais, auront à se contenter l’une de l’autre » ?
Néanmoins le ménage eut cinq enfants, Marie, Pierre, Reine, Henri et Renée.
Alors qu’en 1908, il remplissait les fonctions de Consul à Pékin, Paul Claudel entreprit l’écriture d’une nouvelle pièce L’Otage que Lugné Poë se proposa de mettre en scène. Cette fois, le spectateur se trouvait transporté à la fin du Premier Empire. Georges, un lieutenant du roi Louis XVIII, exilé en Angleterre, enleva le pape, alors prisonnier de Napoléon, et l’installa dans la propriété de sa cousine, Sygne de Coûfontaine, en dépit du mécontentement de cette dernière. Turelure, un ancien domestique de la famille, devenu préfet d’Empire, fit du chantage auprès de Sygne : qu’elle l’épouse et il rendra la liberté au pape. Détestant ce prétendant, le rendant responsable de la mort prématurée de ses parents, Sygne accepta, néanmoins, de répondre à ses avances pour sauver sa Sainteté. Alors que Georges, fou de rage, s’apprêtait à tuer Turelure, ce dernier l’abattit et Sygne se suicida. Après que l’empereur Napoléon eut laissé la place à Louis XVIII et Turelure fut nommé comte en remerciement de sa servilité.
L’Otage, interprété par la troupe des comédiens de l’Œuvre, fut présenté, le 2 juin 1914, au Théâtre de Malakoff et le 28 repris à l’Odéon pour quelques représentations. Eve Francis, détentrice du rôle de Sygne, écrivit à Claudel, en poste à Hambourg : « Nous triomphons toujours ! Vive L’Otage ... Sept rappels après le deuxième acte, devant une salle qui trépignait d’enthousiasme... » La pièce fut affichée à la Comédie française en 1934.
Dans le même temps, Paul Claudel connut une période douloureuse. En 1913, après de décès de son père, sa mère entra dans une maison de retraite. Sa sœur aînée, Camille, une sculptrice de grand talent, vivant depuis plus d’une dizaine d’années un amour éperdu avec son maître Auguste Rodin, venait d’être abandonnée par ce dernier au profit d’une autre femme. Elle en conçut un tel chagrin que de dépression en dépression, les médecins décèlent chez elle, une « démence paranoïde ». Elle dut être internée et ce fut son frère, Paul, qui la conduisit, le 7 mars 1913, à l’asile de Ville Evrard.

Camille Claudel
Était-ce pour se distraire de ses chagrins familiaux qu’ après avoir terminer la traduction des Euménides d’Eschyle et s’en inspirant, Claudel, en poste en Chine, en écrivit une comédie rocambolesque qu’il présenta ainsi à Lugné Poë : « Je viens de terminer Protée drame satyrique en deux actes. C’est une bouffonnerie extravagante, une véritable pitrerie de cirque ». Sur les conseils d’André Gide, il confia son manuscrit à Jacques Copeau, directeur du théâtre du Vieux Colombier et il s’inquiétait : « La troupe du Vieux Colombier a-t-elle des éléments comiques ? Pour Protée, il me faudrait un gaillard puissamment entripaillé ». En fait, la pièce ne fut pas montée au Vieux Colombier. Après bien des projets avortés, Protée ne fut interprété que par quelques troupes d’étudiants et ne fut mis en scène, officiellement, que le 25 février 1955 à la Comédie de Paris, sous la direction de Raymond Gérôme et réaffiché au théâtre Hébertot en 1974.

Protée à la Comédie de Paris
- 1955
Henri Nassiet, Michel Piccoli et Jany Holt
in Encyclopédie du Théâtre contemporain 2
(photo Georges Henri)
Coll. Vincent Parot
28 juillet 1914, déclaration de la Grande Guerre... Lugné Poë fut envoyé au front. tandis qu’étant âgé de quarante six ans et père de famille, Paul Claudel fut exempté
Il fut muté au Ministère de la guerre et envoyé, en tant que Chargé d’Affaires, au Brésil.
Claudel avait fait la connaissance du jeune musicien, Darius Milhaud et l’avait engagé comme secrétaire. Encouragé par son collaborateur, Claudel se laissa convaincre d’inventer l’argument d’un ballet dont Milhaud, composa la musique. Ce fut L'Homme et son désir, créé le 6 juin 1921, par Les Ballets Suédois au théâtre des Champs-Élysées. Puis tous deux composèrent, l’un pour le texte, l’autre la partie musicale, L’Ours et la lune, une ébauche de théâtre pour marionnettes, relatant les malheurs causés par la Grande Guerre. L’ouvrage fut édité en 1919 par les éditions de la N.R.F.

L'Homme et son désir
in Encyclopédie du Théâtre contemporain 2
Coll. Vincent Parot
Lettre du 8 septembre 1913, à Lugne Poë
Lettre du 26 novembre 1913 à André Gide