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Apparition de Jean Marais

À la suite des représentations d’Orphée, Cocteau avait décidé de reprendre un projet, mis en veilleuse depuis plusieurs mois, il s’agissait d’Œdipe Roi, adaptation libre de l’œuvre de Sophocle. La tragédie en un acte, restée dans un tiroir depuis plusieurs années, ne sera représentée que lors de l’Exposition Internationale de juillet 1937, au théâtre Antoine, dans une mise en scène de Raymond Rouleau et interprétée par une troupe de comédiens débutants à laquelle appartenait le jeune Jean Marais, élève du cours Charles Dullin. L’ installation de praticables dans la salle, le jeu d’acteurs parmi le public, la frénésie d‘Œdipe, les costumes fait de bandelettes et de bonnets phrygiens, toute cette mise en scène déconcerta la plupart des spectateurs. Pourtant, d’après les souvenirs du figurant Jean Marais : « Le spectacle était d’une extraordinaire beauté, si singulier cependant que certains spectateurs restaient insensibles, voire scandalisés (…) Des spectateurs chuchotaient, d’autres ricanaient. De mon socle, je livrais bataille ; je tournais brusquement ma tête vers les rieurs et les regardais l’œil fixe. Cette statue vivante, méchante, les statufiait à leur tour » 1

Jean Cocteau et Jean Marais en 1937
Jean Cocteau et Jean Marais en 1937
(photo DR)
Collection A.R.T.

Jean Cocteau attiré par le jeune comédien timide et impressionné lui propose de jouer dans son prochain spectacle. Inspiré de la légende du Graal, ce sera Les Chevaliers de la Table ronde au Théâtre de l’Œuvre. Dans la préface du programme, Cocteau se plait à raconter la genèse de son ouvrage : « En 1934 j’étais malade, je m‘éveillais un matin déshabitué de dormir et j’assistais d’un bout à l’autre de ce drame dont l’intrigue, l’époque et les personnages m’étaient aussi peu familiers que possible. Ajouterais-je que je les tenais pour rébarbatifs. C’est trois ans après, lorsque Igor Markevitch me força affectueusement la main que j’arrivais à sortir l’ouvrage du vague où je le tenais en marge, comme il nous arrive, malades, le matin de prolonger nos rêves, de barboter entre chien et loup et d’inventer un monde intermédiaire qui nous évite le choc de la réalité. Une fois la pièce écrite, je me documentai, je me trouvai en face de mes fautes de fabuliste et je décidai de m’y tenir ».

Les Chevaliers de la Table ronde
Les Chevaliers de la Table Ronde
projet d'affiche
in Dessins en marge du texte des Chevaliers de la Table ronde
Édition Gallimard - 1941

( Bibliothèque historique de la ville de Paris )

Cette fois encore, la pièce, créée le 14 octobre 1937, reçut un accueil, une fois encore, mitigé. Les critiques ne sont pas franchement mauvaises, elles sont ambigües. 2 Pour le beau Jean Marais, les critiques sont unanimes : « ( Il ) fait un superbe Galaad dont les muscles roulent sous la peau et qui a du feu et de la violence » 3

Jean Marais dans Les Chevaliers de la Table Ronde 1938
Jean Marais dans Les Chevaliers de la Table Ronde
Archives du Théâtre de l' Œuvre

(photo DR)
fonds Georges Herbert
Collections A.R.T.

Les Chevaliers de la Table Ronde - programme
Les Chevaliers de la Table Ronde
programme originale

Collection A.R.T.

voir l"intégralité du programme

La pièce fut jouée jusqu’au 2 janvier 1938, après avoir atteint la centième représentation...

Abandonnant les mythes anciens et moyenâgeux, Cocteau décide alors d’écrire une pièce d’actualité. Jean Marais y tiendra le premier rôle. Depuis la fin de la guerre, nombre de mères veuves avait reporté un amour abusif sur leur grand fils. Parfois, le père était encore de ce monde, mais faible et inexistant, d’où les rapports mère-fils toujours excessifs. Quand l’amour se présente au jeune homme sous l’aspect d’une autre femme, celle-ci est naturellement détestée par la mère et si cette belle personne a eu antérieurement des faiblesses pour le père… c’est le drame intégral. Ainsi se présente le sujet des Parents terribles.

Ayant pris connaissance du manuscrit, Louis Jouvet et plusieurs autres directeurs de théâtres refusent la pièce. Finalement Alice Cocéa, co-directrice des Ambassadeurs, théâtre municipal de la ville de Paris, accepte de la mettre en scène. La première représentation des Parents terribles est fixée au 14 novembre 1938. Dans l’ensemble un beau succès : « Une sorte de triomphe pour le théâtre, l’auteur et les interprètes ». 4 Seuls quelques critiques d’extrême droite sont violement choqués : « Si le mot « ordure » a un sens, il convient de l’appliquer sans distinction à l’œuvre et à l’auteur »5 Par contre Jean Zay, ministre de l’Éducation Nationale du gouvernement de Léon Blum prétend « avoir assisté à la naissance d’une grande œuvre classique  6 Conforté par ce jugement le co-directeur du théâtre, Roger Capgras propose une représentation gratuite à l’intention des élèves des écoles de la ville de Paris, âgés de plus de seize ans. La séance serait précédée d’une conférence de Jean Cocteau. Initiative malheureuse qui déclenche le scandale. La municipalité s’insurge. Comment pouvait-on présenter un spectacle pareil à des adolescents… ? Dans le Bulletin Municipal il est stipulé qu’une telle pièce est une propre « incitation de la jeunesse à la débauche ». L’auteur est sommé de retirer sa pièce dans les dix jours. La querelle s’amplifie. Maurice Rostand, Joseph Kessel, Louis Aragon et la presse communiste prennent la défense de Cocteau. Profitant de la publicité qu’engendre le scandale, le directeur du Théâtre des Bouffes Parisiens, théâtre privé, s’empresse de reprendre le spectacle – spectacle malheureusement interrompu par la déclaration de guerre 7

Le déménagement des Parents terribles
Le « déménagement » des Parents terribles.
Collection A.R.T.

1 Jean Marais Histoire de ma Vie ed. Albin Michel 1975
2 cf Analyses et critiques de quelques pièces
3 Pierre Brisson Le Figaro 24 octobre 1937
4 Gustave Fréjaville Le Journal des Débats 16 novembre 1938
5 Robert Brasillach L’Epoque 14 novembre 1938
6 Paris Soir 21 décembre 1938
7 Reprise en octobre 1941, sous l’Occupation, la pièce fut interdite au lendemain de la première représentation qui donna lieu à un véritable massacre : hurlements, bagarres, envoi de boules puantes. « Cette pièce est ignoble, c’est une ordure, » cria un spectateur

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