« Je suis né le 19 décembre 1910. Pupille de l’assistance publique, il me fut impossible de connaître autre chose de mon état civil. Quand j’eus 21 ans, j’obtins un acte de naissance. Ma mère s’appelle Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. Je suis venu au monde au 22 rue d’Assas. Je savais donc quelque chose sur mon origine, me dis-je, et je me rendis rue d’Assas. Le 12 était occupé par une maternité. On refusa de me renseigner ». Ainsi se présentait Jean Genet tout au cours de sa vie.
Abandonné par sa mère à l’âge de huit mois, l’enfant fut mis en nourrice dans un ménage de petits artisans du Morvan, qui s’engagea à l’élever jusqu’à l’âge de treize ans. Il fut aimé et choyé comme les enfants de la maison. Néanmoins, il se savait délaissé et ne comprenait pas pourquoi.

Jean Genet au centre vers 1912 chez les Régnier, sa famille d'accueil
in Lire décembre 2010
À cinq ans, Jean entra à l’école communale. Quoiqu’ayant reçu une éducation religieuse - baptisé, enfant de chœur et première communion - l’enfant fut difficile. Dès l’âge de neuf ans, il se montra taciturne et chapardeur. « Je ne peux savoir l’origine de mon goût pour le vol. À dix ans, je volais sans remords des gens que j’aimais. On s’en aperçut. Je crois que le mot de voleur me blessa profondément ».

Portrait présumé de Jean Genet en premier communiant - 1922
(Coll. Guillaume Hanoteau)
Très intelligent, à douze ans et demi il fut reçu au certificat d’études, premier de la commune. Son bon résultat lui évita de devenir valet de ferme. Il fut mis en apprentissage de typographe dans une école de la région parisienne. Lecteur passionné de romans d’aventure, il fugua au bout de quinze jours dans l’espoir de rejoindre l’Amérique pour « s’y employer dans les cinémas ». Il fut rattrapé à Nice et ramené à Paris. Confié à la surveillance d’un compositeur aveugle, auteur de chansons populaires, il apprit les rudiments de la versification.
Arrêté, bientôt, pour avoir dérobé une petite somme d’argent, le jeune garçon fut mis en observation dans le service de psychiatrie infantile de l’hôpital Sainte-Anne. On diagnostiqua « un certain degré d’instabilité mentale » qui devait être soigné. Il fut placé dans le service clinique neuro-psychiatrique infantile dont il s’évada.
Une jeunesse corrompue
1926 - Après un premier séjour de trois mois à la prison de la Petite-Roquette pour fugues répétées, l’adolescent, sans ticket de transport, se fit arrêter dans un train. Il fut incarcéré à la prison de Meaux, puis enfermé jusqu’à sa majorité à la colonie pénitentiaire de Mettray, reconnue plus tard comme bagne d’enfants. Genet y connut ses premières aventures amoureuses et sexuelles et il y découvrit le plaisir que procure la lecture des poètes. Ronsard devint son idole.
Devançant la date du service militaire, à dix-neuf ans, Genet s’engagea pour deux ans. Il fut affecté dans le régiment du Génie à Montpellier. Soldat exemplaire, il obtint le grade de caporal et signa un engagement de six années dans l’armée coloniale. Il fut envoyé successivement en Syrie, puis au Maroc. Confronté au monde arabe, il y restera attaché toute sa vie. De retour en France, il renouvela ses engagements. Ce fut pour lui le temps de lectures intensives. Il découvrit entre autres les œuvres de Dostoïevski, mais aussi les articles de la revue Détective qui alimentèrent son imagination. Il commença à écrire pour son propre compte.
Entre deux séjours à l’armée, il traversa la France et l’Espagne à pied. Cette alternance entre le cantonnement et le vagabondage semblait lui convenir.
Le 18 juin 1936, alors qu’il était incorporé à Aix-en-Provence, il décida de déserter. Après avoir falsifié ses papiers d’identité, il se mit en route pour un long voyage à travers l’Europe. On le retrouva en Italie, en Albanie, en Yougoslavie, en Autriche, en Pologne. Arrêté pour vols et vagabondage, il fut refoulé de tous ces pays. Il chercha alors à se réfugier à Brno en Tchécoslovaquie où il demanda le droit d’asile. Il fut entendu par la Ligue des Droits de l’Homme locale. Accueilli par l’un de ses membres il lui confia ses premiers manuscrits (qui disparaitront à tout jamais). En outre Genet fit la connaissance d’une jeune juive allemande, Anna Bloch. Il échangera avec elle une correspondance quasi amoureuse lors de son retour en France
Après avoir traversé l’Allemagne et la Belgique, il se retrouva à Paris, le 16 septembre 1937
Il rêva alors d’un voyage en Afrique. Malheureusement il se fit prendre pour un simple vol de mouchoirs et écopa d’un mois de prison avec sursis. À peine le jugement fut-il rendu que Genet est à nouveau appréhendé, poursuivi, cette fois, par son passé. Accusé de désertion, falsification de papiers d’identité, port d’armes prohibé, vols et vagabondage, il fut condamné à huit mois de prison et réformé de l’armée pour « déséquilibre ».
Lors des trois années qui suivirent, Genet fut emprisonné une dizaine de fois pour vols, usage de faux papiers et port d’armes prohibé… Il profita de ses divers internements à la Santé, à Fresnes pour se consacrer à l’écriture de ses premiers romans: Notre-Dame-des-Fleurs et Mémoires de la rose et de son poème Le Condamné à mort, œuvre dédiée à la mémoire de l’assassin Maurice Pilorge, guillotiné en 1939. Jean Genet en confia le manuscrit à l’un des détenus, typographe de son métier afin que, libéré, celui-ci puisse l’imprimer. C’est ainsi qu’au début de l’année 1943, Le Condamné à mort commença à circuler à Paris, sous le manteau.
À sa nouvelle sortie de prison, cherchant à revendre des livres volés, Genet tint une boîte de bouquiniste sur les quais de la Seine. Il fit la connaissance de deux jeunes écrivains, Jean Turlais et Roland Laudenbach qui firent découvrir Le Condamné à Mort à Jean Cocteau Ce dernier fut subjugué : « Parfois, il m’arrive un miracle… Par exemple Le Condamné à Mort. Ce long poème est une splendeur… ».
Jean Genet Journal du voleur paru dans la revue Les Temps Modernes 1946
Jean Cocteau Journal 1942- 1943 ed. Gallimard