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Jean Genet

par Geneviève LATOUR

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Jean Genet * photo d'identité

ou
Le Combattant anarchiste et poète

Un enfant abandonné, petit voyou, voleur, provocateur, simulateur, mais un poète éblouissant, exalté, en quête d’absolu, toujours à la recherche de la perfection fut-elle pour le Mal, tel est apparu Jean Genet dans le monde littéraire d’avant-guerre. Lorsqu’il se lança dans le théâtre, la scène se présentait à lui comme « un lieu voisin de la mort où toutes les libertés étaient possibles ».
Héritier à la fois de François Villon, Charles Baudelaire et Antonin Artaud, (1) comme eux, il ne chercha pas le scandale, mais comme pour eux, ce fut son génie qui parut scandaleux aux regards des « Autres»

(1) Antonin Artaud ( 1894 – 1948 ) inventeur du Théâtre de la Cruauté

1. Une enfance malchanceuse
2. Un auteur dramatique perfectionniste et séditieux
3. Les Grands Scandales dramatiques
4. Le Pourfendeur de l’ordre établi
5. Quelques pièces
6. Oeuvre dramatique
7. Extrait du « Balcon »

 

1. Une enfance malchanceuse

« Je suis né le 19 décembre 1910. Pupille de l’assistance publique, il me fut impossible de connaître autre chose de mon état civil. Quand j’eus 21 ans, j’obtins un acte de naissance. Ma mère s’appelle Gabrielle Genet. Mon père reste inconnu. Je suis venu au monde au 22 rue d’Assas. Je savais donc quelque chose sur mon origine, me dis-je, et je me rendis rue d’Assas. Le 12 était occupé par une maternité. On refusa de me renseigner ». Ainsi se présentait Jean Genet tout au cours de sa vie.

Abandonné par sa mère à l’âge de huit mois, l’enfant fut mis en nourrice dans un ménage de petits artisans du Morvan, qui s’engagea à l’élever jusqu’à l’âge de treize ans. Il fut aimé et choyé comme les enfants de la maison. Néanmoins, il se savait délaissé et ne comprenait pas pourquoi.

À cinq ans, Jean entra à l’école communale. Quoiqu’ayant reçu une éducation religieuse – baptisé, enfant de chœur et première communion – l’enfant fut difficile. Dès l’âge de neuf ans, il se montra taciturne et chapardeur. « Je ne peux savoir l’origine de mon goût pour le vol. À dix ans, je volais sans remords des gens que j’aimais. On s’en aperçut. Je crois que le mot de voleur me blessa profondément ». (1)
Très intelligent, à douze ans et demi il fut reçu au certificat d’études, premier de la commune. Son bon résultat lui évita de devenir valet de ferme. Il fut mis en apprentissage de typographe dans une école de la région parisienne. Lecteur passionné de romans d’aventure, il fugua au bout de quinze jours dans l’espoir de rejoindre l’Amérique pour « s’y employer dans les cinémas ». Il fut rattrapé à Nice et ramené à Paris. Confié à la surveillance d’un compositeur aveugle, auteur de chansons populaires, il apprit les rudiments de la versification.
Arrêté, bientôt, pour avoir dérobé une petite somme d’argent, le jeune garçon fut mis en observation dans le service de psychiatrie infantile de l’hôpital Sainte-Anne. On diagnostiqua « un certain degré d’instabilité mentale » qui devait être soigné. Il fut placé dans le service clinique neuro-psychiatrique infantile dont il s’évada.

Une jeunesse corrompue

1926 – Après un premier séjour de trois mois à la prison de la Petite-Roquette pour fugues répétées, l’adolescent, sans ticket de transport, se fit arrêter dans un train. Il fut incarcéré à la prison de Meaux, puis enfermé jusqu’à sa majorité à la colonie pénitentiaire de Mettray,  reconnue plus tard comme bagne d’enfants. Genet y connut ses premières aventures amoureuses et sexuelles et il y découvrit le plaisir que procure la lecture des poètes. Ronsard devint son idole.

Devançant la date du service militaire, à dix-neuf ans, Genet s’engagea pour deux ans. Il fut affecté dans le régiment du Génie à Montpellier. Soldat exemplaire, il obtint le grade de caporal et signa un engagement de six années dans l’armée coloniale. Il fut envoyé successivement en Syrie, puis au Maroc. Confronté au monde arabe, il y restera attaché toute sa vie. De retour en France, il renouvela ses engagements. Ce fut pour lui le temps de lectures intensives. Il découvrit entre autres les œuvres de Dostoïevski, mais aussi les articles de la revue Détective qui alimentèrent son imagination. Il commença à écrire pour son propre compte.
Entre deux séjours à l’armée, il traversa la France et l’Espagne à pied. Cette alternance entre le cantonnement et le vagabondage semblait lui convenir.

Le 18 juin 1936, alors qu’il était incorporé à Aix-en-Provence, il décida de déserter. Après avoir falsifié ses papiers d’identité, il se mit en route pour un long voyage à travers l’Europe. On le retrouva en Italie, en Albanie, en Yougoslavie, en Autriche, en Pologne. Arrêté pour vols et vagabondage, il fut refoulé de tous ces pays. Il chercha alors à se réfugier à Brno en Tchécoslovaquie où il demanda le droit d’asile. Il fut entendu par la Ligue des Droits de l’Homme locale. Accueilli par l’un de ses membres, il lui confia ses premiers manuscrits (qui disparaîtront à tout jamais). En outre Genet fit la connaissance d’une jeune juive allemande, Anna Bloch. Il échangera avec elle une correspondance quasi amoureuse lors de son retour en France

Après avoir traversé l’Allemagne et la Belgique, il se retrouva à Paris le 16 septembre 1937.
Il rêva alors d’un voyage en Afrique. Malheureusement il se fit prendre pour un simple vol de mouchoirs et écopa d’un mois de prison avec sursis. À peine le jugement fut-il rendu que Genet est à nouveau appréhendé, poursuivi cette fois, par son passé. Accusé de désertion, falsification de papiers d’identité, port d’armes prohibé, vols et vagabondage, il fut condamné à huit mois de prison et réformé de l’armée pour « déséquilibre ».

Lors des trois années qui suivirent, Genet fut emprisonné une dizaine de fois pour vols, usage de faux papiers et port d’armes prohibé… Il profita de ses divers internements à la Santé à Fresnes pour se consacrer à l’écriture de ses premiers romans : Notre-Dame-des-Fleurs et Mémoires de la rose et de son poème Le Condamné à mort, œuvre dédiée à la mémoire de l’assassin Maurice Pilorge guillotiné en 1939. Jean Genet en confia le manuscrit à l’un des détenus, typographe de son métier afin que, libéré, celui-ci puisse l’imprimer. C’est ainsi qu’au début de l’année 1943, Le Condamné à mort commença à circuler à Paris, sous le manteau.
À sa nouvelle sortie de prison, cherchant à revendre des livres volés, Genet tint une boîte de bouquiniste sur les quais de la Seine. Il fit la connaissance de deux jeunes écrivains, Jean Turlais et Roland Laudenbach qui firent découvrir Le Condamné à mort à Jean Cocteau  Ce dernier fut subjugué :  « Parfois, il m’arrive un miracle… Par exemple Le Condamné à Mort. Ce long poème est une splendeur… ». (2)

(1) Jean Genet Journal du voleur paru dans la revue Les Temps Modernes 1946
(2) Jean Cocteau Journal 1942- 1943 ed. Gallimard

2. Un auteur dramatique perfectionniste et séditieux

À son tour, Jean Cocteau présenta le nouveau « génie sublime et confondant » à Jean-Paul Sartre et au décorateur Christian Bérard. Tous deux furent d’accord pour reconnaître l’exceptionnel talent de Genet mis en valeur par une langue extrêmement pure. L’auteur reconnaissait lui-même son désir de perfection: « Je travaille mes phrases aussi longtemps qu’il faut pour obtenir un résultat satisfaisant ». (1)

Tandis qu’on lui reprochait de réserver son théâtre de l’Athénée aux seules œuvres de Molière et de Giraudoux, Jouvet se proposait de monter un divertissement en un acte. Il lui fallait donc compléter le programme par un lever de rideau, de préférence original,et d’un auteur inconnu. Christian Bérard le persuada de prendre connaissance de l’une des premières œuvres dramatiques, en trois actes, La Tragédie des confidentes, signée Jean Genet. Bien que l’auteur s’en défendit, il lui était difficile de nier la similitude du sujet avec un fait divers des années 1935. (2)

Après lecture, Jouvet accepta de monter l’ouvrage à la condition que le jeune auteur le condense en un acte et y apporte d’importants remaniements. Ce fut sous le titre de Les Bonnes (3) que la pièce fut jouée, en seconde partie du spectacle programmé à partir du 19 avril 1947.

Alors que Jean Genet était encore inconnu du grand public, certains courriéristes, ne manquèrent pas, dans des articles d’avant-première, de situer la personnalité de l’auteur:  « Il s’agit de M. Jean Genet de la Santé, de Fresnes, et autres lieux qui conduisent à la célébrité et à la fortune… ». (4)

D’après Léo Lapara, secrétaire de Louis Jouvet : « Les premières représentations se déroulèrent sans incident (…) À partir de la huitième, les choses se gâtèrent. Et, jusqu’à la dernière, rares seront les soirs où Les Bonnes ne seront l’objet, en cours de représentation, de quolibets, emboîtages, ricanements ou sifflets. À la fin, de huées et sifflets auxquels se mêleront, par réaction, les quelques bravos et applaudissements des inconditionnels de Genet ». (5) Et Jacques Lemarchand de raconter: « À la sortie du théâtre, on entendait surtout les spectatrices dont certaines étaient tout-à-fait choquées par ce qu’elles venaient de voir: « Cela est faux, c’est inexact. Moi, mes domestiques m’aiment bien ! » et une autre se récria: « Ma bonne doit être heureuse, je lui donne toutes mes vieilles robes… ». (6)
Le rideau tomba définitivement le 28 juin, au soir de la 92ème représentation.
La pièce fut reprise en 1954 dans une mise en scène de Tania Balachova au Théâtre de la Huchette.

Grâce à Jean Cocteau, Jean Genet fit la connaissance de Roland Petit. Ce dernier lui commanda un argument de ballet pour sa nouvelle compagnie de danse. Sur une musique de Darius Milhaud et avec une chorégraphie de Janine Charrat, ‘Adame miroir fut créé le 31 mai au Théâtre Marigny. Le spectacle, considéré comme l’un des plus « parisiens » de l’année, fut bien accueilli: « C’est une belle œuvre (…) très charnelle, très trouble, très attachante (…) L’existentialisme entre dans la danse… ». (7)
Lors de l’un de ses nombreux emprisonnements, Genet avait entrepris l’écriture d’un drame de circonstance dont l’action se situait à l’intérieur d’une prison. L’ouvrage s’intitulait Pour la Belle. La distribution comprenait quatre personnages : trois détenus et un surveillant. Dans une cellule sont réunis Yeux Verts, assassin voué à la guillotine, Lefranc et Maurice de simples voleurs. Maurice admire le courage du criminel. Lefranc déteste Maurice. Il est secrètement épris, lui aussi, d’Yeux Verts au point de se vouloir meurtrier afin d’atteindre à la pureté qu’il devine chez son idole.
Outre la violence du sujet, la pièce se déroulait dans un climat d’homosexualité qui ajoutait un sentiment de gêne du spectateur.

À la suite du demi-succès des Bonnes, Genet s’enhardit. Il prit soin de retravailler son manuscrit et, sous le titre de Haute Surveillance, l’adressa à Jean-Louis Barrault. Ce dernier tout d’abord parut intéressé, mais ne donna pas suite. Genet ne lui pardonnera jamais.
Entre temps, l’éditeur Marc Barbezat (8) avait publié les deux pièces: Les Bonnes et Haute Surveillance.

Le Prix de la Pléïade fut attribué à Jean Genet par un jury composé de l’académicien Marcel Arland, du romancier Maurice Blanchot, de Jacques Lemarchand, d’André Malraux, de Jean-Paul Sartre, de Raymond Queneau, de Jean Paulhan, d’Albert Camus, de Paul Eluard, du cinéaste Roland Tual et du poète Joe Bousquet.

En 1949, Jean Marchat, directeur du théâtre des Mathurins, fut séduit par Haute Surveillance. Ce fut en étroite collaboration avec l’auteur qu’il monta la pièce et s’en félicita: «  Vous ne pouvez savoir quel sens du théâtre j’ai la joie de découvrir dans ce poète. Il a des idées de mise en scène extraordinaires qui ont grandement facilité ma tâche… ». (9)