« … L’an 1898, le 3 avril, dimanche des Rameaux, naquit le quatrième enfant d’une famille fière et effacée, presque pauvre, à qui un père prophétisa qu’il serait rien que magnifique et inutile . Ce qui se vérifia puisque je suis poète ». Ainsi se présentera, quelques vingt ans plus tard, le jeune Adémar Adolphe Louis Martens, natif d’Ixelles, arrondissement de Bruxelles.
Son père, passionné d’histoire médiévale et de folklore flamand, était employé aux Archives de Belgique, chargé des dossiers concernant les époques du Moyen-âge et de la Renaissance. Quant à la mère de l’enfant, fort pieuse, elle n’avait cure d’oublier, qu’adolescente, elle désirait prendre le voile.
C’est ainsi que les premières années d’Adhémar s’écoulèrent, bercées dans un univers de prières et de récits imaginaires. De caractère rêveur, très impressionnable, l’enfant était la proie idéale pour tous les conteurs de légendes laïques ou religieuses. La vision effrayante des enfers lui occasionnait des cauchemars épouvantables. En revanche, l'aventure épique et chevaleresque le passionnait. Il se sentait revivre en Till Eulenspiegel, son héros préféré et l’empereur Charles Quint avait toute son admiration.
Adulte, Adhémar n’oubliera jamais l’influence de ses parents : « Je me sens vraiment le contemporain de ces gens du Moyen-âge ou de la pré -Renaissance. Je sais comment ils vivaient et connais chacune de leurs occupations. Je suis familier de leur cerveau et de leur cœur comme de leur logis et de leur boutique ». Conscient de l’imagination de son fils et de l’intérêt qu’il portait à l’Histoire et aux histoires, M. Martens lui fit découvrir l’Opéra, le théâtre royal et le théâtre de marionnettes. À son grand plaisir, on offrit, à l’enfant, de petits mannequins de bois pour lesquels il inventait des histoires rocambolesques. Mais le garçonnet n’hésitait pas, pour se défendre d’un mauvais sort imaginaire, à leur percer les yeux avec des épingles.
Refusant que leur fils ne fréquente une « École sans Dieu », ses parents, de fervents catholiques, l’inscrivirent, dès l’âge de sept ans, à l’Institut Saint-Louis de Bruxelles. Tous les professeurs étaient des ecclésiastiques. Le jeune élève se mit bientôt à détester les « Messieurs prêtres » et leur méthodes impitoyables. Les journées se partageaient entre les cours et les services religieux. L’enfant aimait par dessus tout le son des cloches de la chapelle, les ors et la soie chamarrée des vêtements sacerdotaux le ravissaient, mais à l’office du soir, à l’heure où tombe la nuit, où les ombres des statues, à la fois agrandies et déformées, se profilaient sur le mur, le sermon du prêtre, annonçant le jugement dernier, le terrorisait et déchainait dans son coeur les affres de la Sainte Agonie : « On m’a trop menacé naguère, mes parents et les prêtres, et ma vie s’est édifiée sur la peur. (…) Le prêtre clamait la mort dans l’oratoire où l’on nous rassemblait chaque soir, pareils à des coupables. Et nous baissions le front. Un vent glacial nous frôlait la nuque et nous redoutions que la porte s’ouvrit et que quelqu’un d’invisible vint appréhender l’un de nous ».
À quinze ans, l’adolescent attrapa le typhus – on alla jusqu’à craindre une méningite - . Il dut abandonner ses études, sans regret. Il entra alors au Conservatoire royal de musique, dans la classe violon. Il n’obtint aucune récompense, mais garda de l’expérience l’amour de la musique Il devint ensuite répétiteur dans une riche famille où il apprit à lire à de jeunes enfants. Les leçons terminées, il passait son temps soit dans les bibliothèques, soit dans des galeries d’art. Il s’intéressa avec enthousiasme aux œuvres de certains peintres flamands de la Renaissance comme Jérôme Bosch ou Breughel l’Ancien, ainsi que celles de son contemporain, l’anglais James Ensor. Il découvrait, sur leurs toiles de facture fantasmagorique, une source d’inspiration qui le séduisait.