Retour

Sacha Guitry

par Geneviève LATOUR

Retour

Sacha Guitry * Collection A.R.T.

ou un Roi du Théâtre
(1885 – 1957)

1. Le Fils d’un père célébrissime
2. Charlotte Lysès et les années d’apprentissage
3. La Découverte du cinéma
4. Yvonne Printemps et les premiers succès
5. Sacha Guitry, une célébrité parisienne
6. Jacqueline Delubac et le bourreau de travail
7. Geneviève de Séréville et la célébrité mondiale
8. La Période infamante
9. Lana Marconi : la Résurrection
10. Les Dernières Années douloureuses
11. Résumés et critiques de quelques pièces
12.Oeuvres dramatiques
13. Extrait de Deburau


1. Le Fils d’un père célébrissime

« Je suis né le 21 février 1885. Cette révélation n’a rien pour mon lecteur qui soit très émouvant, je m’en rends compte, mais l’on voudra bien convenir que, pour moi, c’est une date . Ainsi s’exprimait Sacha Guitry dans son autobiographie : Si j’ai bonne mémoire.
Sans doute aurait-il pu ajouter qu’il n’était pas né de parents anonymes. Si sa mère, Renée de Pont-Gest, était une actrice aux engagements incertains, son père, Lucien Guitry, était l’un des plus célèbres comédiens de Paris.

L’enfant naquit à Saint-Petersbourg, au 12 perspective Nevski, l’une des avenues les plus fameuses du monde entier, parce que son père Lucien Guitry, avait signé un très avantageux contrat de sept ans avec la direction d’une troupe française se produisant en Russie. La vedette était devenu une idole, au talent reconnu et apprécié de tous. Son ami, le tsar Alexandre III, ne fut pas le moindre de ses admirateurs. À tel point que l’empereur proposa de devenir le parrain du petit français.

En 1885, Lucien et Renée se séparèrent et divorcèrent. Elle n’en pouvait plus des incartades amoureuses de son époux… Demeurant à Paris, Renée obtint la garde de ses fils Jean et Sacha.

De passage à Paris, sous le prétexte d’aller acheter des bonbons, Lucien enleva Sacha pour l’avoir auprès de lui, à Saint-Petersbourg. L’enfant découvrit alors le monde du spectacle: ce fut un enchantement. Comble de bonheur, dans une pantomime, où il interprétait le personnage de Pierrot, Lucien fit engager Sacha qui n’avait que cinq ans. Désormais l’enfant ne rêvera plus que de remonter sur les planches.

De retour définitif à Paris, en 1891, Lucien Guitry s’installa place Vendôme. Sacha fit la connaissance alors des amis de son père, artistes célèbres de tous bords, écrivains, peintres, musiciens, comédiens: Jules Renard, Tristan Bernard, Alphonse Allais, Anatole France, Claude Monet, Auguste Renoir, sans compter l’illustre Sarah Bernhardt à laquelle Lucien donnait souvent la réplique sur scène… et parfois même dans une loge à l’abri d’indiscrets…

Sacha était âgé de six ans et demi. Il était temps de le scolariser. Dès son entrée à l’école primaire, l’enfant, insubordonné, s’insurgea contre son instituteur:  « Il nous demande continuellement combien font deux et deux. Voilà trois jours que nous lui disons, il a encore oublié.  » (1)  Cancre, il le restera jusqu’à sa dix-huitième année. Pensionnaire ou externe, il se fera renvoyer de douze établissements, lycée, collège, institution religieuse, cours privés. Redoublant chaque année, il n’ira pas plus loin que la 6ème. Son frère, Jean, ne sera guère meilleur élève que lui.
Délivré de ses études, l’adolescent avoua à son père qu’il voulait devenir comédien.

Lucien Guitry n’était pas vraiment enchanté de ce projet.« On verra ! » répondit-il. En fait, il craignait que son fils, médiocre acteur, ne ternisse le nom célèbre de Guitry
Désœuvré, Sacha, doué pour le dessin et la caricature, plaça quelques croquis dans certains hebdomadaires. Mais il sentait bien que là n’était pas sa vocation. En attendant de devenir comédien, il décida d’écrire des pièces, sans en informer son père. Il intitula son premier manuscrit  Le Page. Son meilleur imprésario fut son frère Jean. Charmant oisif, fréquentant, lui aussi, quelques-unes des relations de son père, il fit lire la pièce de Sacha à l’écrivain Francis de Croisset. Ce dernier la trouva intéressante. Moyennant quelques remaniements, l’ouvrage, devenu un opéra bouffe, fut créé le 15 avril 1902, au Théâtre des Mathurins. Le spectacle fut relativement bien accueilli… et son auteur avait dix-sept ans…
Sacha aurait dû être très heureux… Malheureusement, sa mère, affaiblie par une tuberculose inguérissable, devait s’éteindre le 4 juillet, à l’âge de quarante-deux ans…

(1) Jean-Pierre Danel  Le Destin fabuleux de Sacha Guitry éditions du Marque pages 2007

 2. Charlotte Lysès et les années d’apprentissage

Entre temps Lucien Guitry était devenu directeur du Théâtre de la Renaissance. Il enchaînait les succès. À condition que Sacha abandonnât le nom de Guitry pour le pseudonyme de Lorcey, Lucien lui confia le beau rôle de Paris, dans  La   Bonne Hélène de Jules Lemaître. Un soir, Sacha, sans sa perruque blonde, rata son entrée en scène. Furieux, Lucien l’afficha au tableau de service, comme n’importe quel autre acteur et lui infligea une amende de cent francs. Sacha chercha à s’excuser mais Lucien demeura inflexible.

En réalité, il y avait plus grave. Lucien était l’amant d’une jeune comédienne, Charlotte Lysès. Or, Sacha était tombé sous le charme de la jeune femme de huit ans son aînée. Outre le tendre sentiment qu’il ressentait pour Charlotte, il retrouvait quelque peu auprès d’elle l’appui d’une mère qu’il venait de perdre. Amoureuse, elle aussi, elle poussait le jeune homme à travailler, lui faisait prendre confiance en lui. Bientôt ils se mirent en ménage au grand dam de Lucien, d’où une brouille douloureuse entre le père et le fils, brouille qui durera plus de treize ans.

En 1905, après deux essais sans importance : Le Pas et Yves et le loup et grâce aux encouragements de Charlotte, Sacha écrivit sa première véritable oeuvre: Le KWTZ.
Inspiré à la fois des œuvres d’Alfred Jarry et d’Alphonse Allais et de sa liaison avec Charlotte, Sacha avait voulu écrire un drame passionnel quelque peu loufoque.
Puis vint le triomphe de Nono. Il s’agissait de l’histoire de la jeune Antoinette, dite « Nono », fille de petite vertu sans malice qui séduisait les hommes par sa joie de vivre et son exubérance. Et elle savait en profiter. La pièce d’un jeune auteur d’à peine vingt-ans fut très applaudie. Les amis de Lucien, (volontairement absent), Georges Feydeau, Octave Mirbeau, Tristan Bernard, furent tous très enthousiastes. De retour du théâtre, Jules Renard écrivit dans son Journal : Nono, trois actes est une révélation. C’est du Guitry accouchant lui-même d’un auteur dramatique. De la jeunesse, de l’esprit et jamais bête. Nous étions tous ravis et frappés ».

Sacha fut le premier étonné de ce fabuleux triomphe et quelques années plus tard, il déclara : «Cette pièce, je l’ai faite en trois jours et elle eut un destin que je ne soupçonnais pas».
Ce fut ainsi, qu’au soir du 5 décembre 1905, la carrière du jeune Guitry fut définitivement tracée, celle d’un célèbre auteur dramatique.

Lucien aurait voulu féliciter son fils, mais il se refusait à faire le premier pas. Ce fut Jules Renard qui fut le médiateur. Il accompagna Sacha chez son père. Après une étreinte chaleureuse et émue, Lucien exigea à nouveau que Sacha quitte Charlotte. Ce dernier refusa et une nouvelle fâcherie sépara une fois de plus le père et le fils et cette brouille ne fit qu’empirer, le jour où Sacha épousa Charlotte, le 14 août 1907.

En 1906, Sacha fut affiché dans deux théâtres, au Palais-Royal, le 30 mars avec une petite comédie en un acte : Un étrange point d’honneur. La pièce suivante: Chez les Zoaques, fut d’abord refusée par le directeur du Vaudeville, puis acceptée au Théâtre Antoine. Le spectateur se trouvait transporté au sein d’une ancienne tribu imaginaire. L’infidélité de la femme y était sans importance et la jalousie de l’époux n’avait aucune raison d’être. Moralité : les hommes primitifs étaient, de beaucoup, les plus sages que ceux d’à présent. À l’instar de Nono, la pièce remporta un gros succès. Charlotte y jouait le rôle principal féminin ; André Dubosc lui donnait la réplique. Le spectacle devant partir en tournée, ce dernier se désista. C’est alors que Sacha hésita, puis il se jeta à l’eau : « J’eus, ce soir-là, la sensation très nette qu’à l’avenir j’allais pouvoir très bien jouer mes pièces. Je ne dis pas « les jouer très bien », je dis « très bien les jouer !». (3)
De retour à Paris, Sacha connut une période moins glorieuse, lui-même le reconnut : «Des pièces hâtivement conçues et quelquefois bâclées vont échouer les unes après les autres. Ce sont La Clef, (comédie, écrite pour la grande comédienne Réjane, fut un échec et ne connut que neuf représentations), La petite Hollande, Le scandale à Monte-Carlo. (4)
Une tournée de Nono et Chez les Zoaques, fort applaudie à Biarritz, Bruxelles, Monte-Carlo, etc. redonna joie et espoir au jeune auteur.
De retour à Paris, en 1908 , Sacha ne connut que des succès d’estime lorsqu’il présenta: Scandale à Monte-Carlo au théâtre du Gymnase et Après au théâtre Michel.

Survint alors une autre sorte de « réjouissance », Sacha fut appelé sous les drapeaux. Quelques mois plus tard, il sera réformé pour rhumatismes aigus généralisés. Entre temps, le théâtre Antoine avait affiché  Le Muffle, qui remporta, sinon un triomphe, un joli succès.
En outre, Sacha s’était beaucoup amusé en écrivant C’te pucelle d’Adèle, affichée aux Concerts de la Gaîté-Rochechouart, et interprétée par Colette du temps où elle était mime.

Après une tournée en Russie, Roumanie, Pologne, Turquie, Grèce et Egypte qui connut mille avatars, par la faute d’un impresario incompétent, Sacha Guitry accepta la direction du Théâtre Michel. Six mois plus tard, il y affichait Le Veilleur de Nuit, l’une de ses plus importantes réussites. (5)

Le ménage Guitry donnait l’image d’un couple remarquablement heureux. En réalité Charlotte souffrait de l’attitude de Sacha. Pour lui, le travail et les succès passaient avant tout. Ne disait-il pas :« Je fais tout le temps quelque chose, parce que j’ai remarqué qu’en faisant quelque chose on ne faisait qu’une chose, ce qui n’est pas fatigant, tandis que, lorsqu’on ne fait rien pendant une minute ou deux, on pense alors à tout ce qu’on a à faire et qu’on ne fait pas – et ça c’est éreintant». (6)
En 1911, il produisit Un beau mariage et Un type dans le genre de Napoléon. En 1912, il mit en scène Jean III ou l’irrésistible vocation du fils Mondoucet, de même qu’il afficha Pas complet au théâtre Marigny, La prise de Bergop Zoom au Vaudeville et enfin On passe dans trois jours.

Naturellement l’épouse se sentait délaissée et naturellement elle prit un amant : le ténor d’opéra Francell que Sacha feignit d’ignorer.

Janvier 1914, en dépit des efforts du président Doumergue, la situation sociale de la France était alarmante : de multiples grèves (infirmiers, mineurs, instituteurs, travailleurs agricoles, etc… ) désorganisaient le pays. Indifférent, sans doute, à l’ambiance, Sacha Guitry écrivit une pièce délicieuse, légère, bouffonne : La Pèlerine écossaise dont la première représentation eut lieu le 15 janvier au théâtre des Bouffes Parisiens. Le public, ayant besoin de se détendre, s’amusa beaucoup et le spectacle connut un énorme succès. En fait, l’auteur s’était inspiré, avec une dérision maligne, de la propre histoire de son couple dont l’amour s’amenuisait chaque jour davantage.
Fin mars la gloire ! Le rideau rouge de la Comédie-Française se levait sur Les Deux couverts, pièce en un acte signée Sacha Guitry. Malheureusement celui-ci, cloué au lit par une congestion pulmonaire, ne put savourer son succès.
Depuis le début de l’année, les affaires internationales s’aggravaient entre la France et l’Angleterre d’une part, et l’Allemagne, d’autre part. La mobilisation générale suivie de la déclaration de guerre fut déclarée le 1er août. Sacha souffrant de ses rhumatismes était définitivement réformé, situation délicate face au monde: ne fut-il pas considéré comme un planqué, un tire-au-flanc ?

Les théâtres furent fermés momentanément. Livré à lui-même, Sacha réalisa enfin que Charlotte le trompait. Les scènes succédaient aux scènes. Elles eurent l’avantage d’être une source d’inspiration pour une nouvelle comédie : La Jalousie. Dès la réouverture des théâtres, la pièce fut affichée aux Bouffes Parisiens et connut une réussite certaine.

Ce fut alors, qu’en collaboration avec son ami Albert Willemetz, Sacha se lança dans l’écriture d’une revue : Il faut l’avoir, au théâtre du Palais-Royal. Les deux auteurs cherchaient désespérément une jeune et jolie chanteuse, pour tenir un des rôles principaux. Charlotte Lyses introduisit le loup dans la bergerie en leur présentant Yvonne Printemps. De neuf ans plus jeune que Sacha, elle avait débuté sur scène à onze ans et avait remporté son premier succès dans une revue à scandale : Nue Cocotte. Au regard un peu provoquant, au sourire lumineux, à la silhouette élégante, à la voix exceptionnelle, elle avait un charme qui ne pouvait que séduire. N’avait-elle pas à ses pieds nombre d’amoureux dont le plus célèbre était l’aviateur Georges Guynemer ? Sacha tint ses distances un certain temps, et puis, et puis et puis… C’en était fait alors de son amour pour Charlotte. Furieuse, celle-ci alla jusqu’à menacer d’un révolver son époux infidèle. Indifférent, le jeune auteur, écrivit deux de ses principaux chefs d’œuvre : Faisons un rêve, véritable leçon de séduction et : Deburau pièce en trois actes et un prologue, relatant la vie du célèbre mime. Vint ensuite : Jean de la Fontaine, spectacle dans lequel Sacha, Charlotte et Yvonne se retrouvaient tous trois sur scène.

Intenable, la situation avec Charlotte ne pouvait plus durer. Leur divorce fut prononcé en 1918. L’année suivante, Sacha épousait Yvonne.

(1) Invention allemande Traduction française, Plaisanterie
(2) La comédie Nono fut reprise sept fois
(3) Jean-Pierre Danel, Le Destin fabuleux de Sacha Guitry éditions Document 2007
(4) Sacha Guitry,  Le Petit carnet rouge
(5)  cf Quelques pièces
(6) Lana Guitry – Souvenir Avant-Scène, 1986

 3.  La Découverte du cinéma 

Depuis quelque temps, Sacha se sentait attiré par les possibilités artistiques que pouvait lui offrir le cinéma. En 1917, alors que la guerre battait son plein, il entreprit d’écrire le scénario d’un premier film : Un roman d’amour et d’aventures. Puis, comme pour faire la nique aux ennemis allemands, il tourna une œuvre très originale, à la gloire des personnalités françaises : Ceux de chez nous mettant en scène  Sarah Bernardt récitant des vers, Monet, Renoir, Degas face à leur toile, Antoine faisant répéter L’École des femmes, Anatole France, Octave Mirbeau, Edmond Rostand, à leur bureau, Camille Saint-Saëns à son piano, Rodin sculptant, etc… Inventant en quelque sorte la synchronisation, Sacha, de la salle de projection, doublait lui-même les personnages en suivant le mouvement de leurs lèvres.

 4.  Yvonne Printemps et les premiers succès

La rupture avec Charlotte permit la réconciliation, tant espérée entre le père et le fils. Sans perdre de temps, Sacha écrivit pour Lucien, Pasteur, « une grande pièce sur un grand homme». L’auteur et l’acteur remportèrent un remarquable succès1 . Fort de ce réussite, Sacha reprit bien vite sa plume pour offrir un nouveau triomphe à son père : Mon père avait raison qui fut affiché au théâtre de la Porte Saint-Martin. Après que le rideau final fut tombé, Sacha s’écria:« C’est le plus beau soir de ma vie ! »
Unis dans la gloire, Lucien et Sacha le furent aussi dans le chagrin, le 13 septembre de la même année, leur fils et frère Jean mourait dans un accident d’auto. Ce deuil rapprocha encore, s’il en était besoin, Sacha de son père.

Tandis que Lucien, parti en tournée, triomphait dans le personnage de Pasteur, Sacha toujours très amoureux de sa femme, lui offrait un merveilleux hymne à l’amour intitulé Je t’aime qu’il présentait ainsi dans le programme:« À mon inspiratrice Yvonne, à mon interprète Printemps ! ».

Comme si ses travaux d’auteur dramatique ne lui suffisaient pas, Sacha s‘était épris de peinture. Le 23 janvier 1921, il eut la fierté d’inaugurer sa propre exposition dans la célèbre galerie d’art des frères Bernheim, tandis que, rentré à Paris, Lucien se faisait applaudir dans Le Comédien, puis dans Le Grand Duc, deux comédies signées de son fils.
Pour effacer, sans doute, le mauvais souvenir de la précédente guerre, on vivait « des années folles » sans contrainte, dans une joyeuse insouciance. Le couple Guitry faisait partie des plus célèbres couples du Tout Paris. Et pourtant… Yvonne commençait à souffrir: son mari, submergé par le travail,   avait tendance à la négliger, elle aussi.
L’année 1922 fut fertile en créations : Chez Jean de La FontaineUne petite main qui se placeL’Illusionniste, Jacqueline, Un Monsieur qui attend une dame, Un sujet de romancomédies qui n’eurent pas la carrière de celles des succès antérieurs mais qui furent néanmoins très applaudies.

Le 15 février 1923, ce fut la création au théâtre Edouard VII de L’Amour masqué,  comédie musicale sur une partition d’André Messager. Ce fut à nouveau un triomphe à la fois pour le spectacle mais aussi pour le rossignol nommé Printemps, une interprète exceptionnelle.
Alors que Lucien Guitry tenait un rôle principal dans On ne joue pas pour s’amuser, créée le 26 mars 1925, il tomba malade et dut cesser de jouer au début du mois de mai. Le 1er juin, une crise cardiaque, plus violente que les autres, l’emporta. À leur retour du Vésinet où ils cherchaient une villa pour venir s’y reposer, Sacha et Yvonne n’apprirent la triste nouvelle qu’une heure après le décès. La douleur de Sacha fut immense et il dut prendre sur lui pour recevoir, comme il se devait, toutes les personnalités qui vinrent saluer la dépouille du grand acteur. Lors des obsèques, une foule immense accompagna le cercueil jusqu’au cimetière de Montmartre. Selon les désirs du défunt aucun discours ne fut prononcé, à l’exception de la prise de parole d’André Antoine qui déclara : « Au nom des Comédiens français, je salue le plus grand de tous les comédiens. ».

Ainsi qu’il l’avait promis à son père, Sacha s’empressa d’écrire la nouvelle comédie musicale dont ils s’étaient longuement entretenus: Mozart. Sans perdre de temps, Sacha contacta le musicien Reynaldo Hahn et fit répéter Yvonne dans le rôle éponyme. Le 6 décembre 1925, les représentations de Mozart débutaient au théâtre Edouard VII : un nouveau triomphe, international celui-là. Après une brillante tournée en Angleterre, le spectacle eut l’honneur d’être applaudi chaleureusement au Channing‘s Theater de New York, ainsi qu’au Princess Theater de Montréal et à l’Opera House de Boston.

De retour en France le 25 avril au théâtre Edouard VII, Sacha retrouva son public lors de la création de Désiré, un valet de chambre amoureux de sa patronne. Un nouveau triomphe… qui sera le succès de la saison théâtrale, affiché pendant plus d’un an et demi.

5.   Sacha Guitry, une célébrité parisienne

En 1929, le baron Philippe de Rothschild offrait à Paris « le théâtre le plus moderne du monde » : le théâtre Pigalle qui possédait une scène tournante. Ce fut Sacha Guitry qui eut l’honneur de l’inauguration avec L’Histoire de France, pièce historique en quatorze tableaux dont le premier était consacré aux Gaulois, puis venaient ceux évoquant Jeanne d’Arc, Louis XI, Mazarin, etc. Tout Paris assista à la première représentation et une ovation finale réunit le baron de Rothschild et l’auteur dramatique.
En décembre, pour la première fois à Paris, on pouvait communiquer par T.S.F avec New-York. Ce fut à Sacha Guitry que revint le privilège d’adresser les bons vœux de la nation française à ses amis américains.
Le 12 mars 1930, au cours d’un gala franco-américain, au théâtre des Champs-Élysées, en présence de Gaston  Doumergue, président de la République, et de Mr. Walter, ambassadeur des Etats-Unis, les invités de choix applaudirent la création d’un à-propos: Chez Georges Washington, sur une musique d’Henri Büsser.

Le 24 juin, lors d’une soirée donnée à Deauville, Sacha apparut en duc de Morny, fondateur de la station balnéaire. Enfin, à l’Hôtel de Ville de Paris, le 17 novembre, à l’occasion de la visite officielle du marquis de Hoyos, Alcalde de Madrid, Sacha eut la satisfaction de voir représenter un acte de Deburau et un autre de La Jalousie. Ainsi commença, pour le célèbre auteur, une longue série de représentations dans les galas officiels auxquels il fut invité.

Après avoir été promu officier dans l’ordre de la Légion d’honneur, début janvier 1931, Sacha Guitry monta sa dernière création au Théâtre de la Madeleine : Frans Hals ou l’Admiration, dans laquelle il s’était programmé, ainsi que son épouse et un jeune comédien, Pierre Fresnay. Ce dernier, désormais, comptera beaucoup dans la vie d’Yvonne Printemps…
Le 10 novembre, ému mais heureux, Sacha assista à l’inauguration du monument consacré à Lucien Guitry, au devant de son hôtel particulier avenue Élisée-Reclus.
Après une longue tournée en Italie, Sacha et Yvonne revinrent à Paris pour répéter, au théâtre de la Madeleine, trois courtes comédies: Les Desseins de la Providence, Françoise et Le Voyage de Tchong Li. À la répétition générale, assistèrent Sir Austen Chamberlain et Lord Tyrrel.

En juin, le théâtre de la Madeleine afficha une reprise de Désiré et Villa à vendre dans laquelle une jeune inconnue, Jacqueline Delubac, avait été engagée, tandis que des artistes de la Comédie-Française répétaient La Jalousie, inscrite depuis peu au répertoire de l’illustre maison.

Dans le même temps, à l’initiative du directeur du Conservatoire, Henry Rabaud, Sacha Guitry fut nommé membre du jury au concours de comédie de fin d’année.

Au cours de l’été 1933 eut lieu une tournée des casinos: Vittel, Evian, Genève, Aix-les-Bains, Vichy, Deauville, La Baule, Royan et Biarritz, en attendant la création, le 5 octobre, au théâtre des Bouffes Parisiens, de Mon bel inconnu et de Maîtresses de rois au Casino de Paris, avec l’illustre Cécile Sorel. Cette pièce obtint un beau succès et tint l’affiche deux années.

Pour Sacha, tout semblait concourir à sa joie de vivre. Et pourtant, ses rapports avec son épouse se dégradaient chaque jour davantage. Comme avec Charlotte, les scènes de ménage se renouvelaient sans cesse. L’amour intensif du travail de Sacha et les aventures extra conjugales d’Yvonne, de notoriété publique, étaient la cause de cette mésentente. Quoique jouant les rôles d’amoureux en scène, le couple devait se séparer, après qu’un soir, Berthe Bovy, sociétaire de la Comédie- Française, épouse de Pierre Fresnay, avait appelé Sacha au téléphone pour lui annoncer qu’ils étaient tous les deux « cocus ». De son côté Yvonne découvrit lors d’une représentation de la reprise de Désiré et Villa à vendre au théâtre de la Madeleine, que l’une des jeunes comédiennes, engagée dans un petit rôle, la très élégante Jacqueline Delubac, ne laissait pas Sacha indifférent. Yvonne décida alors de quitter son époux ayant reconnu l’avoir beaucoup aimé.

Le 20 février 1935, la séparation devint officielle après que les époux s’étaient envoyé des lettres d’insulte, car à l’époque le divorce à tort réciproque n’était pas admis. Il fallait des preuves sévères de leur mésentente.

6.   Jacqueline Delubac et le bourreau de travail

Sacha épousait Jacqueline Delubac, après avoir déclaré à ses invités,
« J’ai cinquante ans, Jacqueline en a vingt-cinq, il est donc normal qu’en ce jour elle devienne ma moitié!». Pour lui prouver son amour, il n’eut de cesse de lui offrir des cadeaux de prix: diamants, vison, collier de perles. La femme élégante qu’était Jacqueline se sentait alors comblée.

Au lendemain des festivités de la noce, la Comédie-Française présentait, pour la première fois, l’adaptation filmée d’une pièce de théâtre, il s’agissait de la projection des Deux Couverts signée Sacha Guitry.

L’année 1936 sera marquée par le tournage d’une adaptation de la pièce Pasteur. Sacha reprit le rôle du savant, une façon de rendre hommage à son père. Le film obtint un succès semblable à celui de la pièce et reçut la médaille d’or du « Comité international pour la diffusion artistique et littéraire par le cinématographe ». De plus Sacha fut élevé au grade de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur.

Tandis que le 18 septembre, on présentait, en exclusivité au cinéma Marignan, le film Le Roman d’un tricheur, au sujet profondément amoral, était affichée, le Ier octobre, au Théâtre de la Madeleine, la centième pièce de Sacha Guitry: Le Mot de Cambronne. Ce furent, encore une fois, de véritables triomphes.
Puis vint la projection de deux adaptations théâtrales filmées, la première, au Colisée de Mon père avait raison et la seconde, Faisons un rêve au Marignan, suivi de la projection du Roman d’un tricheur.

Tournant dans les studios la journée, jouant la comédie le soir, Sacha était débordé. Il ne lui restait que la nuit pour écrire. Jacqueline, à l’encontre d’Yvonne, était une épouse fidèle. Néanmoins, bien qu’elle ait joué dans vingt-trois pièces de son époux et tourné dans onze de ses films, elle s’ennuyait auprès de lui, il ne lui appartenait jamais, elle se sentait à son tour délaissée. Si elle devenait célèbre, elle savait qu’elle le devait à son époux et s’il lui plaisait d’être une artiste applaudie, elle aurait préféré, de loin, être choyée par l’homme qu’elle aimait.

Le ménage commençait doucement à se disloquer.

L’année 1936 fut une année de bouleversement politique. L’arrivée du Front Populaire fut un événement capital en France. Sacha ne s’en souciait guère, il poursuivait son labeur d’écrivain et de réalisateur. Comme s’il avait tout son temps, il organisait des galas au bénéfice des « Gueules cassées » ou des artistes malheureux. Il lui arriva même d’apprendre à faire des tours de prestidigitation pour se produire lors d’une soirée en faveur des frères Isola, illusionnistes, tombés dans l’oubli. De plus, il n’était pas rare ni étonnant d’entendre à la radio des émissions qui lui étaient consacrées. Enfin, il ne comptait plus ses tournées à travers la France et à l’étranger où il se faisait acclamer.

En mai 1937, inspiré à la fois par l’« Entente cordiale » réunissant la France et la Grande-Bretagne et le récent couronnement de George V , Sacha imagina un scénario relatif à la couronne anglaise, film, intitulé évidemment: Les Perles de la couronne. À cette occasion, il reçut une subvention record et put ainsi engager les vedettes parisiennes de premier ordre: Raimu, Mistinguett, Arletty, Marguerite Moréno, Jean-Louis Barrault et Cécile Sorel. La sortie du film fut un événement dont le triomphe parisien se répercuta à Londres.

L’année 1936 fut une année de bouleversement politique. L’arrivée du Front Populaire fut un événement capital en France. Sacha ne s’en souciait guère, il poursuivait son labeur d’écrivain et de réalisateur. Comme s’il avait tout son temps, il organisait des galas au bénéfice des « Gueules cassées » ou des artistes malheureux. Il lui arriva même d’apprendre à faire des tours de prestidigitation pour se produire lors d’une soirée en faveur des frères Isola, illusionnistes, tombés dans l’oubli. De plus, il n’était pas rare ni étonnant d’entendre à la radio des émissions qui lui étaient consacrées. Enfin, il ne comptait plus ses tournées à travers la France et à l’étranger où il se faisait acclamer.

En mai 1937, inspiré à la fois par l’« Entente cordiale » réunissant la France et la Grande-Bretagne et le récent couronnement de George V , Sacha imagina un scénario relatif à la couronne anglaise, film, intitulé évidemment: Les Perles de la couronne. À cette occasion, il reçut une subvention record et put ainsi engager les vedettes parisiennes de premier ordre: Raimu, Mistinguett, Arletty, Marguerite Moréno, Jean-Louis Barrault et Cécile Sorel. La sortie du film fut un événement dont le triomphe parisien se répercuta à Londres.

Sans perdre une minute, en octobre, Sacha se mit à l’écriture de son futur film Remontons les Champs-Élysées. Le premier tour de manivelle eut lieu le 3 mars aux studios de Joinville.

Dans un petit rôle avait été engagée Geneviève de Séréville, la « Miss Cinémonde » de l’année. Pendant ce temps, Jacqueline Delubac, accompagnée du jeune premier Henry Garat, était partie à Nice pour tourner, sous la direction de Pierre Caron, Accroche-cœur dont le scénario était signé Sacha Guitry. Le 19 juillet, au palais de l’Élysée, en présence des souverains britanniques, du président de la République française et du corps diplomatique, Sacha Guitry et Jacqueline Delubac interprétèrent un à-propos sur l’origine du « God save the King ».

Début novembre, le Théâtre de la Madeleine afficha Un monde fou. Ce fut la dernière fois que Jacqueline Delubac donna, sur scène, la réplique à son époux. C’est alors que d’un commun accord, les Guitry décidèrent l’officialisation de leur divorce.

7. Geneviève de Séréville et la célébrité mondiale

Quoique fort bouleversé par ce nouvel échec sentimental, Sacha se sentait préoccupé par la situation de la France depuis les événements de Munich. Il avait toujours refusé que ses pièces fussent jouées en Allemagne, quelles que puissent être les sommes fabuleuses que lui offraient les impresarios d’outre-Rhin. Il s’était donné pour règle de ne jamais parler de politique en public, personne donc ne pouvait se douter de ses véritables sentiments.

Au bout de quelques semaines de célibat, Sacha reconnut que vivre sans une compagne était intolérable : « Enfin me voilà seul, écrivait-il. Je le souhaitais depuis longtemps. Je vais pouvoir donc enfin vivre seul. Et, déjà je me demande avec qui. ». (1)
Après une courte liaison avec Simone Maderon à laquelle Sacha donna le nom de scène de Simone Paris et lui offrit ses premiers rôles, il s’éprit sérieusement de la jeune comédienne Geneviève de Séréville, âgée de vingt-cinq ans. Il la côtoyait depuis quelque temps, avant même son divorce. Il demanda à la jeune fille de devenir son épouse le 4 juillet 1939, – Geneviève dont le père, un baron très catholique, obligea son illustre fiancé à se marier pour la première fois à l’église-.

Le Tout-Paris se gaussa quelque peu de cette quatrième union officielle. Néanmoins, ce fut dans la loge du Président de la République que le couple Guitry assista au défilé du 14 juillet avant de partir faire la tournée des casinos. Affichés dans plusieurs pièces à succès dont : Faisons un rêveLes Deux Couverts et Les Femmes et l’Amour, ils déclenchèrent l’enthousiasme chaque soir.
Rentrés à Paris pour assister, le 30 août, à la première projection de Ils étaient neuf célibataires, ils durent déchanter, le film ne reçut pas l’accueil attendu. C’est que le climat général de l‘époque n’était pas favorable : le lendemain, la France et l’Angleterre déclaraient la guerre à l’Allemagne et l’ordre de mobilisation était affiché aux portes de toutes les mairies.

Aux premiers mois du conflit, il ne se passa pratiquement rien entre les belligérants. Ce fut ce que l’on appelait « la drôle de guerre ». Trop âgé pour être mobilisé, Sacha Guitry tenta de poursuivre sa tâche d’auteur-acteur. Le 17 novembre, il présenta au Théâtre de la Madeleine sa dernière création : Florence, qui, retravaillée, deviendra plus tard Toa. Sacha interprétait son rôle d’auteur-acteur en proie à une vieille maîtresse qui le menaçait de mort. Une trouvaille de mise en scène ajouta à l’intérêt de la pièce. En effet, l’actrice principale, Elvire Popesco, assise au milieu du public, s’adressait de la salle à son ancien amant sur scène. Certains spectateurs la prirent pour une folle réellement dangereuse. À la suite de la représentation, Guitry tint à projeter son film Ceux de chez nous, sorte de provocation face aux troupes allemandes.

Les galas de bienfaisance ne se comptaient plus et Sacha s’y impliquait autant qu’il le pouvait. Après le Gala pour la Croix Rouge, ce furent le Gala au profit des Victimes finlandaises, puis une soirée donnée au bénéfice des 13ème, 31ème et 211ème régiments d’infanterie, une soirée théâtrale au profit de la Caisse de secours de la Base aérienne de St-Cyr, un gala au Théâtre Royal du Parc de Bruxelles en faveur d’un groupement automobile de l’armée, en présence du roi Léopold, une soirée au bénéfice des anciens combattants du spectacle etc…
À Madrid, le 16 mars suivant, au cours d’une présentation de Les Perles de la couronne, Sacha Guitry fit la connaissance du Maréchal Pétain, ambassadeur de France et du corps diplomatique.

Après l’invasion des troupes allemandes le 10 mai 1940, le théâtre de la Madeleine, comme tous les théâtres parisiens, fut fermé. Sacha et Geneviève se réfugièrent à Dax. La « Kommandantur » s’était installée dans le plus bel hôtel de la ville, « Le Splendid », où résidaient Sacha et son épouse. Un matin, un officier et deux soldats vinrent les inviter à prendre le café avec le général occupant la région. Comment refuser ?

Après que l’armistice fut signé le 23 mai, les Guitry rentrèrent à Paris. La vie leur parut avoir repris son cours et le Théâtre de la Madeleine réafficha Pasteur. Parmi les spectateurs se comptaient des officiers allemands en uniformes qui s’amusaient beaucoup. C’était pour eux une façon très agréable de parfaire leur français.

Le 19 Décembre eut lieu la première lecture de : Mon auguste grand-père, pièce tournant en dérision les lois contre les Juifs. Le spectacle fut interdit par la censure allemande. Le titre de la pièce suivante : Le Soir d’Austerlitz fut également proscrit et dut s’intituler Vive l’empereur pour être créée le 6 mai 1941.

Vint alors la série des honneurs célébrant l’illustre personnalité de Sacha Guitry : Louis de Monaco le nomma au grade de commandeur dans l’ordre de Saint-Charles, Jean-Louis Vaudoyer, président du Comité d’organisation des spectacles, l’appela auprès de lui comme conseiller, M. Hautecoeur, directeur des Beaux-Arts, lui offrit la présidence du Groupe des théâtres. Au décès de Victor Boucher, ce fut Sacha Guitry qui le remplaça au poste de Président de l’Association des artistes dramatiques. Renouvelant l’invitation de l’officier de la « Kommandatur « de Dax, le général Goering désirant faire la connaissance d’une telle célébrité française, lui envoya deux militaires le chercher pour l’amener auprès de lui.
Certes, toutes ces marques de faveur ne manquèrent pas de faire des envieux.

Néanmoins, Sacha Guitry n‘avait cure d‘oublier le Théâtre, son Théâtre ! Le 27 mai 1943 eut lieu la répétition générale de N’écoutez pas Mesdames !, au théâtre de la Madeleine, que Sacha avait en quelque sorte investi. Geneviève Guitry, un peu vexée et regrettant que son époux ne lui trouve pas un grand talent de comédienne, refusa de jouer dans la pièce. Une fois encore le spectacle remporta un véritable triomphe. Parmi le public se comptait, chaque soir, plusieurs officiers allemands en uniformes, qui applaudissaient à tout rompre.
Le 3 Septembre fut présenté le film : Le Destin fabuleux de Désirée Clary, au cinéma Le Marivaux et le 5 octobre, Sacha se rendit à Vichy présenter au Chef de l’État son ouvrage, édité au bénéfice du Secours National : De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain.

La direction de la Radio nationale n’oubliait pas le célèbre auteur et deux émissions lui furent consacrées, le 9 janvier 1943, retransmission de la pièce Deburau et le 24 janvier, celle de Françoise et de Chagrin d’amour.

En juillet 1943 débuta le tournage de La Malibran. Incommodé par la chaleur, Sacha fut victime d’un malaise et l’on dut interrompre les prises de vue jusqu’au 2 août. Alors qu’il jouait Daniel, le rôle principal dans N’écoutez pas Mesdames, le 13 octobre, Sacha tomba en syncope sur la scène, il fallut abaisser le rideau. Sacha devait vraiment se ménager. Mais comment faire ? De plus son couple avec Geneviève commençait, lui aussi, à battre de l’aile. La jeune femme venait de perdre son père pour lequel elle avait une grande d’affection. Elle attendait que son mari, de trente ans son aîné, le remplace en quelque sorte et lui témoigne toute la tendresse dont elle avait besoin. Hélas comme pour ses précédentes épouses, Sacha, débordé par ses multiples occupations, ne trouvait guère le temps d’être présent auprès de sa jeune femme. Elle éprouva quelques consolations dans des aventures passagères, tandis que Sacha, déçu, cherchait à séduire la belle actrice Mona Goya, qui avait fait partie, l’année précédente de la distribution d’un nouveau film : Donne-moi tes yeux, dont le scénario, quelque peu mélancolique, se passait sous l’Occupation. Il était question de restrictions, de «Marché noir», de couvre feu, de censure, etc…

Entre Geneviève et Sacha, la situation se dégradait. Les scènes de ménage succédaient aux scènes de ménage. Sacha proposa à Geneviève de l’adopter, ainsi pourrait-elle garder le nom de Guitry et ne serait jamais dans le besoin. Geneviève, quelque peu vexée, refusa. En avril 1944, Sacha Guitry entamait son quatrième divorce. Il dut reconnaître qu’il était en partie coupable. Après avoir séduit les femmes par son charme, sa brillance, sa générosité, lorsqu’il les savait amoureuses de lui, il leur préférait son travail et sa gloire.

Suite au départ de Geneviève, Sacha accorda ses faveurs à différentes artistes, Mona Goya bien sûr, puis la cantatrice Géori Boué, Arletty, Michèle Alfa et surtout la jolie Yvette Lebon, à laquelle, pour un temps, il avait prêté une chambre dans son hôtel particulier de l’avenue Élisée-Reclus.

Depuis deux ans, les émissions de radios, consacrées aux oeuvres de Sacha Guitry ne se comptaient plus et les galas de bienfaisance se succédaient. Généreux, Sacha ne supportait pas le malheur des autres. Ainsi, lorsque son ami, l’écrivain, Tristan Bernard fut arrêté ainsi que son épouse, en tant que Juifs, Sacha n‘eut de cesse de les faire libérer,grâce à ses relations allemandes. Tous les occupants n’étaient pas des nazis (2),  et certains comme le lieutenant Ernst Jünger avaient fait de leur séjour à Paris, une sorte de partie de plaisir et recherchaient la présence de Guitry.

(1) Sacha Guitry Elles et Toi éditions Raoul Solar 194
(2) Ernst Jünger : « Je me regardai dans la glace, en uniforme de lieutenant non sans ironie. Mais c’est sans doute en ce moment l’aventure de beaucoup d’autres hommes en Europe qui n’avaient jamais cru reprendre du service » Ed. de La Pléiade, 2008.

8. La Période infamante

La fin de la guerre était proche. La défaite de Stalingrad avait été pour les Allemands le début de leur débâcle. Après que les Anglo-Américains ont débarqué en Normandie, l’armistice était imminente. Sans perdre un jour, le nouveau gouvernement français instaura «l’Epuration » et les dits «collaborateurs » furent arrêtés. Après des lettres et coups de téléphone de menace, au matin du 28 août, cinq hommes, révolver en main, vinrent se saisir de Sacha Guitry sans lui laisser le temps de s’habiller. Vêtu simplement de son pyjama, chaussé de ses seules mules, il fut conduit à pied jusqu’à la Mairie du 7ème arrondissement sous les huées des passants. Il dut attendre le soir pour être conduit, en voiture blindée, au dépôt. Il fut reçu par un fonctionnaire qui, s’adressant à ses subordonnés, leur annonça : « Pour ce salaud-là, jugement demain matin et exécution immédiate » et fit conduire le suspect dans une cellule. Le 25 août, Paris fut libéré. Les Allemands vaincus, Sacha crut en la fin de ses malheurs. En fait, il fut réveillé en pleine nuit et conduit dans une autre cellule, minuscule celle-là où logeait déjà un autre détenu. Le 31 août, il se retrouva au Vel d’Hiv, là où les Allemands avaient parqué les Juifs avant de les envoyer dans les camps de la mort. Sacha retrouva certains artistes, politiciens, hommes d’affaires français qu’il avait fréquentés pendant l’Occupation.
Faute de preuve tangible, Sacha fut inculpé pour «intelligence avec l’ennemi». On fit paraître dans la presse une annonce promettant une récompense aux personnes qui pourraient apporter des arguments compromettants. Ceux-ci étaient grotesques : les Allemands auraient nourri Sacha Guitry pendant la guerre… dans son bureau, trônait le buste de Mussolini, en fait il s’agissait de celui de Lucien Guitry ressemblant quelque peu au Duce… et d’autres accusations de même acabit.

À court d’idées, le juge dut reconnaître que son prévenu était pratiquement innocent. Le 24 octobre Sacha fut relâché, bien que l’enquête fût poursuivie.
Sorti de prison, afin de ne pas être importuné, Sacha Guitry se cacha, quatre mois, dans une clinique, sous un faux nom. Cette nouvelle épreuve fut très pénible pour l’homme célèbre qu’il avait été.

Malheureusement, il n’en avait pas fini d’être humilié : ses pièces, ses films étaient interdits et la radiodiffusion avait rayé son nom de ses programmes. Il pouvait d’autre part compter parmi ses anciens amis ceux qui lui étaient restés fidèles. Ainsi en fut-il pour l’historien Alain Decaux, et les comédiens Maurice Teynac et José Noguero qui organisèrent un dîner dans la galerie de peinture Ror Volmar à l’occasion de ses soixante ans. Mais les autres ???
Sans de nouvelles rentrées d’argent, le cœur brisé, Sacha dut mettre en vente ou hypothéquer une partie de ses collections d’œuvres d’art auxquelles il était tant attaché.

Sacha Guitry en prison. Dessin de Gus

9. Lana Marconi : la Résurrection

Seul, abominablement seul, il n’osait espérer rencontrer une nouvelle âme soeur. Il se sentait si malheureux que sans vergogne, il se confia à son amie Arletty qui, elle aussi, avait subi de gros ennuis à la Libération. Arletty pensa alors à une jeune femme de vingt-sept ans, Roumaine, inconnue dont on lui avait parlé. Riche, elle s’appelait Lana Marconi et vivait seule dans un palace parisien. Sacha reprit espoir et sans attendre lui téléphona. Elle crut, tout d’abord qu’il s’agissait d’un farceur, mais son interlocuteur se montra si charmeur, si convainquant qu’elle finit par le croire et accepta le rendez-vous qu’il lui proposa chez lui, avenue Élisée-Reclus.

La rencontre fut inespérée. Rajeuni, Sacha avait en partie retrouvé sa superbe pour recevoir une élégante et un peu mystérieuse jeune personne, celle qu’il n’osait plus espérer. Dans l’instant, il entreprit donc de la séduire. Elle fut charmée et à son tour sut répondre avec esprit aux galanteries délicates de son hôte. La rumeur apprendra plus tard à Sacha que Lana devait être une fille cachée du roi de Roumanie. Lui se souvint, alors qu’il avait eu pour parrain Alexandre III, le tsar de Russie. Cette fois ce ne serait pas le Théâtre qui rassemblerait les amoureux, mais la grande Noblesse internationale.

Guitry était redevenu un des auteurs les plus célèbres de Paris, et pourtant, la guerre terminée, une nouvelle génération d’écrivains était née : ils s’appelaient Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jean Anouilh, Henry de Montherlant, etc. Leur théâtre ne ressemblait en rien à celui de Sacha Guitry que l’on qualifiait désormais de bourgeois, un peu démodé. Apparemment ce dernier n’en avait cure et poursuivait l’écriture de ses œuvres comme il les sentait.

Ce fut bientôt, au théâtre du Gymnase, la création de Toa, seconde mouture de Florence créée en 1932, puis le 12 décembre, le rideau se levait sur Tu m’as sauvé la vie où il était question d’un bourgeois reconnaissant à un clochard de l’avoir sauvé d’un mauvais pas. À peine le rideau tombait-il sur la première représentation de la pièce que Sacha Guitry commençait- à en écrire le scénario.

Un bonheur ne venant jamais seul, le 7 mai 1945, il fut officiellement reconnu que, pendant l’Occupation, Sacha Guitry ne faisait parti d’aucun mouvement de collaborateurs et n’avait signé aucun contrat avec quelque organisme allemand que ce fût. Néanmoins, il lui fallut attendre le 8 août 1947 pour qu’un commissaire du Gouvernement prenne la décision de classer l’affaire. Pendant cette période difficile, une rumeur parisienne, forte du proverbe : « il n’y a pas de fumée sans feu »  fit circuler le bruit que Sacha Guitry avait dû être réellement en relation avec l’Occupant. L’Académie Goncourt, dont il faisait partie depuis 1939, lui intenta un procès qu’elle perdit. Lorsqu’il fut question de réintégration, le 4 octobre 1948, Sacha Guitry donna sa démission.
À contrario, Lana, se montra une amie très attentive, très fidèle. Venue s’installer chez Sacha, elle le soutint de toutes ses forces. En raison des événements, le divorce avec Geneviève n’était pas encore enregistré. Sacha ne put que promettre par écrit à Lana qu’il l’épouserait dès qu’il serait libre. Après donc une liaison de quatre années, le mariage eut lieu le 25 novembre 1949 à l’église grecque orthodoxe. Sacha déclara à sa cinquième conjointe : « Les autres furent mes épouses, vous vous serez ma veuve ! ».

A partir du 1er janvier 1948, Sacha put reprendre, avec le plaisir que l’on devine, ses activités d’auteur dramatique et, sans perdre de temps, il mit en répétition une nouvelle pièce : Le Diable boiteux. Précédemment, il avait écrit un scénario sur le même sujet, mais le film fut interdit par la censure. En fait, il s’agissait de l’histoire de Talleyrand, cet homme politique à la fois détesté et admiré. Servant sans vergogne un régime après l’autre, il était indispensable à tous.

La pièce fut affichée à partir du 17 janvier 1948. Sacha Guitry, ovationné à son entrée en scène, interprétait le personnage du Diable Boiteux. Il confia son premier petit rôle à Lana, elle qui tenait tant à partager la vie de son futur époux ! Ayant retrouvé leur auteur préféré, les spectateurs du théâtre Edouard VII, à l’exception de quelques sifflets isolés, applaudirent à tout rompre.

Tandis qu’il jouait le soir, à partir de février, Sacha tournait Le Comédien dont le scénario rendait hommage à son père.

Sacha Guitry aurait du être infiniment heureux, mais les épreuves passées ne pourraient plus jamais s‘oublier. Finie la joie de vivre des heureuses années…

La censure ayant disparu, Le Diable boiteux put enfin être tourné. Présenté sur les écrans des cinémas Marivaux et Marignan, le film remporta un succès analogue à celui de la pièce.

Retrouvant son intense besoin de travail, Sacha ne perdit pas une minute et présenta le 3 octobre Aux deux Colombes sur la scène des Variétés. Le rideau se levait sur un homme fort séduisant que convoitaient deux femmes. Il finissait par les congédier toutes deux, pour en choisir une troisième.

Guitry était redevenu un des auteurs les plus célèbres de Paris, et pourtant, la guerre terminée, une nouvelle génération d’écrivains était née : ils s’appelaient Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jean Anouilh, Henry de Montherlant. Leur théâtre ne ressemblait en rien à celui de Sacha Guitry que l’on qualifiait désormais de bourgeois, un peu démodé. Apparemment ce dernier n’en avait cure et poursuivait l’écriture de ses œuvres comme il les sentait.

Ce fut bientôt, au théâtre du Gymnase, la création de Toa, seconde mouture de Florence créée en 1932, puis le 12 décembre, le rideau se levait sur Tu m’as sauvé la vie où il était question d’un bourgeois reconnaissant à un clochard de l’avoir sauvé d’un mauvais pas. À peine le rideau tombait-il sur la première représentation de la pièce que Sacha Guitry commençait- à en écrire le scénario.

10. Les Dernières Années douloureuses

L’année 1950 commença bien mal, atteint d’une forte grippe, suivie d’une bronchite, Sacha Guitry dut s’arrêter de travailler pour garder le lit. Il lui fallut attendre sa guérison avant de reprendre le tournage d’un nouveau film : Le Trésor de Cantenac. En dépit de ses violents maux d’estomac, il s‘attela, ensuite, avec Fernandel, à la réalisation de Tu m’as sauvé la vie, puis il décida d’écrire un scénario d’après sa pièce : Deburau. Sans tarder, il en commença les prises de vues.

Ayant décidé de passer avec Lana les fêtes de fin d’année dans le Midi chez des amis, il fut pris là-bas d’hémorragie Ce fut sur une civière qu’il rentra à Paris pour être opéré, le 24 janvier, d’un ulcère à l’estomac, à l’Hôpital américain de Neuilly. Alors que le malade avait prévu de tourner un nouveau film, Adhémar, en début d’année, il dut y renoncer et en confier la réalisation à Fernandel.
À peine sa convalescence terminée, Sacha Guitry mit en répétition, au théâtre des Variétés, Une folie, nouvelle version de sa pièce Un monde fou, créée en 1938.
Le 6 septembre, Sacha, en relative bonne santé, commença les prises de vue de La Poison. Il s’agissait d’un brave homme qui, ne supportant plus sa mégère de femme, cherchait les moyens d’être acquitté, après l’avoir estourbie. Michel Simon fut magnifique dans ce rôle. Mais la critique du film fut détestable, le public n’y retrouvait pas le fameux style léger de l’auteur.

À ses ennuis de santé s’ajoutaient encore des soucis d’argent. Il dut continuer à se défaire de quelques-unes de ses œuvres d’art. Dans l’espoir que Lana n’en saurait rien, il en faisait faire des copies. Elle n’était pas dupe, mais pour ne pas décevoir ni vexer son époux, elle n’en disait rien.
Regrettant, sans doute, le temps des galas au profit d’œuvres sociales, Sacha Guitry décida de faire visiter, moyennant petites pièces de monnaie, son hôtel particulier de l’avenue Élisée-Reclus qui détenait encore quelques œuvres d’art – tant tableaux que sculptures -. Le montant de la recette serait versé aux œuvres de la Société des Auteurs. L’inauguration de cette exposition fut présidée par André Cornu, ministre des Beaux-Arts et Roger-Ferdinand, président de la Société des Auteurs.

Début avril, débuta une série d’émissions radiophoniques, consacrées à Sacha Guitry et le 3 mai commença le tournage de Je l’ai été trois fois ou l’histoire d’un pauvre homme que ses trois épouses successives avaient trompé et qui en prenait l’habitude.

Pour ne pas perdre la main, en septembre, Sacha Guitry écrivit le scénario de La Vie d’un honnête homme avec Michel Simon, Louis de Funès et Pauline Carton.
Il ne fallait pas croire qu’au milieu de toutes ces réalisations cinématographiques, Sacha Guitry avait oublié la scène. Le 25 avril, il présentait, au théâtre des Variétés, une pièce en quatre actes : Palsambleu.
Quelques mois auparavant, il avait fêté ses cinquante ans de théâtre.

Dans le même temps, le gouvernement français souhaitant rénover le château de Versailles, on demanda à Sacha si, éventuellement, il pouvait réaliser un film sur le sujet, dont les recettes financeraient une partie des travaux. Fou de joie, ce dernier retrouva ses vingt ans. Deux mois plus tard, après avoir travaillé quinze heures par jour, le film Si Versailles m’était conté était en boîte. Sacha jouait le personnage de Louis XIV. Il s’était entouré de vedettes telles que Jean-Pierre Aumont, Brigitte Bardot, Jean-Louis Barrault, Bourvil, Claudette Colbert, Danièle Delorme, Robert Hirsch, Jean Marais, Georges Marchal, Gérard Philipe, Orson Welles et des chanteurs, Annie Cordy, Edith Piaf et Tino Rossi.
Cet effort fut trop important. Très fatigué, lors de la reprise de Deburau, Sacha Guitry fut la proie d’un grave malaise. Il dut alors accepter que c’en était fini pour lui d’être acteur. Malgré un déchirement douloureux, il préféra renoncer à la scène plutôt que de se montrer comme un vieux comédien malade et décati.

En juillet 1954, début du tournage d’un nouveau film : Napoléon. La bataille finale devait avoir lieu en Provence à 1.200 mètres d’altitude. Le cœur malade, Sacha ne put y assister et donna ses ordres par radio.
Après avoir subi une seconde intervention chirurgicale, en février 1955, Sacha fut accueilli à la célèbre émission télévisée de Jean Nohain Trente-huit Chandelles avant de fêter son soixantième-dixième anniversaire.

Le 10 mars, au cours d’une soirée de gala à l’Opéra, le Président de la République René Coty assista à le première projection du film : Napoléon. Ce fut un triomphe. Sacha Guitry fut acclamé par un public de choix, fort enthousiaste. En revanche, lorsque le film fut présenté sur les écrans parisiens, il reçut de la critique un accueil décevant. Pourquoi ? Sans doute lui reprochait-on de ne pas être à la mode existentialiste…

Ne pas travailler ! Cela était impossible pour Sacha Guitry. Il s’adonna, une fois encore, à un nouveau projet : Si Paris nous était conté. Malheureusement, sa santé était plus que jamais déficiente. Atteint de polynévrite, il souffrait le martyr et devait supporter plusieurs piqûres de morphine par jour, d’où cette affirmation : « La morphine a été inventée pour que les médecins puissent dormir tranquilles !»(1) Après s’être servi d’une canne, Guitry ne pourra bientôt plus tenir sur ses jambes et devra soit rester au lit, soit se déplacer en fauteuil roulant. Il eut ensuite des problèmes dentaires et perdit une bonne partie de ses dents et, à tous ces maux, s’ajoutèrent des douleurs d’estomac… Pour cacher l’amaigrissement de son visage, il se laissa pousser la barbe.
Une satisfaction toutefois, le 6 juillet 1955, la Société des auteurs le décora de sa Grande Médaille d’Or.
Fin décembre, lorsque le tournage de Si Paris nous était conté fut achevé Sacha Guitry en offrit les bobines au Conseil Municipal de Paris, tandis qu’une présentation officielle du film eut lieu au cours d’un gala de l’Opéra. Sacha Guitry, ne pouvant plus se déplacer, fut porté de sa voiture à sa loge par des machinistes. Alors qu’il espérait que le film reçoive un accueil triomphal, les critiques furent très moyennes, à l’exception, toutefois, de François Truffaut qui, dans Les Cahiers du Cinéma, s’extasia devant l’éternel génie de l’auteur.

Bien que très fatigué, après avoir absorbé sa dose quotidienne de morphine, Sacha Guitry se sentait revigoré et se remettait promptement au travail. Il entreprit le scénario de Si Monaco m’était conté qui resta inachevé. Puis ce fut celui de Assassins et voleurs, une histoire aux mœurs libertines, retravaillée d’après l’un de ses premiers films : Un roman d’amour et d’aventures. À cette occasion, furent engagés les jeunes comédiens Jean Poiret, Michel Serrault et Darry Cowl. Le tournage de ce film fut terminé, tant bien que mal, au début février 1957.

Alors que Sacha Guitry espérait trouver dans le travail un remède à ses maux, il fut bien obligé de constater que son état physique se dégradait chaque jour davantage. Désespéré, alors, il absorba un tube entier de tranquillisants. Après trois jours de coma, la mort ne voulant pas encore de lui, il se remit à son bureau pour écrire le scénario de Les Trois font la paire. Adieu les grands films historiques, il s’agissait, cette fois, de l’histoire de jumeaux, interprétée par Michel Simon, Darry Cowl et Philippe Nicaud. Le public et les critiques, mis au courant de l’état plus ou moins grabataire du réalisateur, obligé parfois de déléguer ses pouvoirs à Michel Simon, se montrèrent apparemment très enthousiastes. Ils admirèrent, une fois encore l’esprit, l’humour, l’ironie, la fantaisie et le style de l’auteur.
Dans le même temps, Danielle Darrieux, Robert Lamoureux et Louis de Funès, triomphaient, au théâtre des Variétés, dans une reprise de Faisons un rêve. Sacha Guitry, qui ne sortait pratiquement plus, avait eu le plaisir de faire répéter ces acteurs chez lui, avenue Élisée–Reclus.
De plus, Sacha eut l’honneur qu’on lui commande un impromptu, à l’occasion du mariage du Prince Régnier de Monaco et de l’actrice Grâce Kelly, célébré le 27 avril.
Encouragé par ces récents succès, Sacha reprit espoir : il n’était pas encore mort, il lui restait, pensait-il, de belles œuvres à écrire. Pour commencer, il chercha à achever son scénario de La Vie à deux qu’il avait mis de côté et dont l’affiche aurait dû porter les noms des célèbres acteurs Fernandel et Pierre Brasseur.

L’été 1957 fut caniculaire. Sacha ne supporta pas cette trop grande chaleur et les évanouissements succédaient aux évanouissements suivis de crises d’hémorragie. Lana était aux petits soins auprès de son époux. Dans un moment de lucidité et de tendresse, il lui murmura «  Mon petit ne me regarde pas, ce n’est pas un spectacle… ».  (2)
À partir du 20 juillet, souffrant d’une forte fièvre, Sacha Guitry sombra dans un profond coma. Par instants, toutefois, il reprenait conscience et invoquait son père. Sa dernière phrase fut : «  Allons mes enfants, en voiture  ». À quoi ces quelques mots se raccrochaient-ils ?
Au matin du 24 juillet, Sacha Guitry s’éteignit dans son hôtel de l’avenue Élisée-Reclus. Mais son Théâtre restera toujours vivant.
(1) et (2) Jean-Pierre Danel Le Destin fabuleux de Sacha Guitry édition Document 200

11. Résumés et critiques de quelques pièces

LE VEILLEUR DE NUIT
Pièce en trois actes, créée le 2 février 1911 au théâtre Michel avec pour interprètes Madeleine Dolley, Harry Baur, Charlotte Lysès, Sacha Guitry, Rose Grane, Mme Vernières, Mme Charmoy, Miss Bennett, Mr. Pradj, Mr. Cornely, Mr. Davry.

Analyse

Un professeur d’un certain âge avait pour maîtresse une très jeune et jolie demoiselle. Cette dernière tomba bientôt amoureuse d’un garçon de son âge, charmant mais impécunieux. Jalousie mise à part le quinquagénaire les prit tout les deux en charge, et sembla très heureux; «  Je suis content de moi parce que je ne souffre pas de voir s’aimer les autres… »1

Critiques

« L’auditoire de la répétition générale était très favorablement disposé. M. Sacha Guitry plaît infiniment à ce public : il lui plaît par ses qualités , un peu par ses défauts, par ce qu’il y a en lui , de brillant, d’ironique, de gamin, d’effronté, par son laissez – aller, sa belle humeur, son extrême liberté, son irrévérence, , son allure d’enfant gâté à qui tout est permis, même d’outrepasser légèrement les limites du bon goût.(….) Les personnages de Veilleur de nuit sont criants de « ressemblance ». Nous les avons vus. Nous sommes sûrs qu’ils existent… ».
Adolphe Brisson Le Temps

« Quand on parle de ce jeune écrivain, on ne manque point de déclarer qu’il a de très beaux dons et que s’il consent à travailler, il pourra bien, un jour, faire un bon ouvrage. Il ne faut pas oublier cependant que M. Sacha Guitry a déjà remporté les succès les plus vifs et les plus flatteurs ».
M. Nozière L’Intransigeant

« Durant les trois actes de cette amusante et gaillarde pièce , nous avons pu constater que M. Sacha Guitry est doué d’un sens du comique, tout –à – fait personnel et original. (…) Il y a chez M. Sacha Guitry une sorte d’exubérance d’entrain et d’espièglerie ».
Henri de Régnier de l’Académie Française Journal des Débats

« Je ne saurais assez dire combien Le Veilleur de nuit m’a plu. Je suis reconnaissant à M.Sacha Guitry du bon moment qu’il m’a offert. Des pièces comme celle-là nous consolent de ce que les théâtres nous font quelquefois avaler de douteux et d’avarié. Et il y a des périodes où nous avons besoin de compensations ! La comédie nouvelle de M.Sacha Guitry se recommande par ses qualités de meilleur aloi, elle a de la gaîté, de l’exubérance , de l’entrain, de l’émotion, de l’ironie ; un ton de fantaisie espiègle et primesautière l’anime. Elle a la désinvolture et l’audacieuse assurance de la jeunesse (…) On s’abandonne au charme de sa séduction, sans prendre garde tout de suite qu’on est , par-ci par-là, légèrement mystifié ! ».
Joseph Galtier Excelsior

« Il y a dans l’œuvre de M. Sacha Guitry un mélange, à doses inégales, de gaminerie, un peu volontairement entretenue et d’expérience précoce de la vie. Il y a du comique et même du bouffon, avec une facilité soudaine à envisager les choses sous leur aspect sérieux et presque émouvant. Il y par-dessus, et c’est peut-être au fond ce qui le caractérise, je ne dirai pas du naturel, mais de la liberté. (…) Il faut bien admettre que ce charme est sensible au public puisque Le Veilleur de nuit a été accueilli par un gros, par un très gros succès… ».
Léon Blum Comoedia

« Ce n’est pas un tour de force qui confirme les dons exceptionnels du jeune écrivain dramatique, c’est l’évidence d’une force qui bouleversera notre théâtre »
Régis Gignoux Paris-Jour

Reprises
1986 Théâtre 13 et théâtre Montparnasse. Mise en scène : Jacques Nerson
2005 Théâtre des Bouffes Parisiens. Mise en scène : Jean-Laurent Cochet

DEBUREAU
Pièce en vers libres, quatre actes et un prologue, créée au Théâtre du Vaudeville, le 9 février 1918, interprétée par Mrs Sacha Guitry, Hiéronimus, Candi, Marcel de Garcin, Gilder, Ebène, Max Morana, Félix Galipaux, Mmes Yvonne Printemps, Rosine Morana, Alys Delonde, Marthe Rienzi, G. Paulfret, et les comédiens du théâtre des Funambules : Mrs Baron fils, Louvigny, Fabrel, Barral, Mmes Jeanne Fusier, Marguerite Fabre Régine Félyane, C. Ducarre. Musique d’André Messager;

Analyse
Il s’agit des amours imaginaires du célèbre mime Jean-Gaspard Deburau et de Marguerite Gautier qui deviendra la Dame aux camélias

Critiques
« Ce spectacle fut une des pièces les plus tendres et les plus tristes qui se puissent voir. Un vers libre, tout voisin de la prose comme l’iambe des anciens, soutient le discours, le mesure à son rythme et quelquefois l’élève. Des inventions ingénieuses, des pensées gracieuses et mélancoliques en ornent la trame légère. C’est un ouvrage charmant … M. Sacha Guitry n’a rien écrit qui soit supérieur, d’un art à la fois si aisé et si sûr, si sensible , discret et plaisamment varié ».
Henry Bidou Le Journal des débats

« Le public a eu bien raison de faire un accueil enthousiaste à cette pièce dont le but est de l’émouvoir et de le divertir : c ’est là de l’excellent théâtre qui déploie , pour nous plaire, toutes les séduction de la scène et nous ne saurions trop remercier, l’un des derniers illusionnistes qui nous restent aujourd’hui, de nous faire oublier, ne fût –ce qu’un instant, la gravité de certains auteurs appelés sérieux parce qu’ils manquent d’esprit et ennuient ».
G. de Pawlowski Le Journal

« Voici, à mon avis le chef-d’œuvre de Sacha Guitry et c’est vraiment un petit chef-d’œuvre. Cette fois, avec son esprit, Sacha Guitry ouvre son cœur ».
Raoul Aubry La Liberté

« La nouvelle pièce de M. Sacha Guitry est, à mon sens, tout nettement admirable (…) Depuis Cyrano je ne crois pas qu’une pièce plus charmante, plus délicatement littéraire, plus finement et essentiellement française ait été représentée . On a fait plus noble et plus profond : on n’a pas fait plus joli ».
Victor Snell L’Humanité

« 0n a fait un prodigieux succès à Deburau . C’était justice. La fantaisie est d’un pittoresque délicieux et d’une très rare qualité sentimentale ».
Camille de Senne La Semaine de Paris

« Un grand et irrésistible charme se dégage de cet ouvrage profondément senti et comme rempli d’une émotion personnelle. Les belles scènes se succèdent, pleines de finesse , de sentiment, de sympathique douceur ».
Léo Claretie La Rampe

« On allait au Châtelet voir des fééries. On ira à Deburau voir un homme : c’est encore plus mystérieux. Dans une langue poétique aussi riche que souple, en vers qui suivent tout le mouvement et la couleur de la pensée, dans les décors les plus discrets et les plus pittoresques, au milieu d’une foule de costumes charmants, l’auteur est son interprète, et si l’auteur grandit en valeur morale , en importance littéraire, l’acteur ne cesse pas de l’égaler ».
Régis Gignoux Le Figaro

Reprises
1950 Théâtre du Gymnase . Mise en scène : Sacha Guitry.
1980 Théâtre Edouard VII . Mise en scène : Jacques Rosny