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Les dernières années douloureuses

L'année 1950 commença bien mal, atteint d’une forte grippe, suivie d’une bronchite, Sacha Guitry dut s’arrêter de travailler pour garder le lit. Il lui fallut attendre sa guérison avant de reprendre le tournage d’un nouveau film : Le Trésor de Cantenac. En dépit de ses violents maux d’estomac, il s‘attela, ensuite, avec Fernandel, à la réalisation de Tu m’as sauvé la vie, puis il décida d’écrire un scénario d’après sa pièce : Deburau. Sans tarder, il en commença les prises de vues.

Tu m'as sauvé la vie
Tu m'as sauvé la vie
Fernandel et Sacha Guitry

(photo DR)

Ayant décidé de passer avec Lana les fêtes de fin d’année dans le Midi chez des amis, il fut pris là-bas d’hémorragie Ce fut sur une civière qu’il rentra à Paris pour être opéré, le 24 janvier, d’un ulcère à l’estomac, à l’hôpital américain de Neuilly. Alors que le malade avait prévu de tourner un nouveau film, Adhémar, en début d’année, il dut y renoncer et en confier la réalisation à Fernandel.

À peine sa convalescence terminée, Sacha Guitry mit en répétition, au théâtre des Variétés, Une folie, nouvelle version de sa pièce Un monde fou, créée en 1938.

Le 6 septembre, Sacha, en relative bonne santé, commença les prises de vue de La Poison. Il s’agissait d’un brave homme qui, ne supportant plus sa mégère de femme, cherchait les moyens d’être acquitté, après l’avoir estourbie. Michel Simon fut magnifique dans ce rôle. Mais la critique du film fut détestable, le public n’y retrouvait pas le fameux style léger de l’auteur.

À ses ennuis de santé s’ajoutaient encore des soucis d’argent. Il dut continuer à se défaire de quelques unes de ses œuvres d’art. Dans l’espoir que Lana n’en saurait rien, il en faisait faire des copies. Elle n’était pas dupe, mais pour ne pas décevoir ni vexer son époux, elle n’en disait rien.

Regrettant, sans doute, le temps des galas au profit d’œuvres sociales, Sacha Guitry décida de faire visiter, moyennant petites pièces de monnaie, son hôtel particulier de l’avenue Élisée-Reclus qui détenait encore quelques œuvres d’art - tant tableaux que sculptures -. Le montant de la recette serait versé aux œuvres de la Société des auteurs. L’inauguration de cette exposition fut présidée par André Cornu, ministre des Beaux-Arts et Roger-Ferdinand, président de la Société des Auteurs.

Exposition avenue Élisée-Reclus
Exposition avenue Élisée-Reclus
(photo DR)
in Point de vue-images du monde Spécial Sacha Guitry - 1957
Collections A.R.T.

Début avril, débuta une série d’émissions radiophoniques, consacrées à Sacha Guitry et le 3 mai commença le tournage de Je l’ai été trois fois ou l’histoire d’un pauvre homme que ses trois épouses successives avaient trompé et qui en prenait l’habitude.

Je l'ai été trois fois
Je l'ai été trois fois
Lana Marconi, Sacha Guitry et Bernard Blier

(photo DR)

Pour ne pas perdre la main, en septembre, Sacha Guitry écrivit le scénario de La Vie d’un honnête homme avec Michel Simon, Louis de Funès et Pauline Carton.

Il ne fallait pas croire qu’au milieu de toutes ces réalisations cinématographiques, Sacha Guitry avait oublié la scène. Le 25 avril, il présentait, au théâtre des Variétés, une pièce en quatre actes : Palsambleu.

Palsembleu
Palsembleu
(photo DR)

Quelques mois auparavant, il avait fêté ses cinquante ans de théâtre.

Dans le même temps, le gouvernement français souhaitant rénover le château de Versailles, on demanda à Sacha si, éventuellement, il pouvait réaliser un film sur le sujet, dont les recettes financeraient une partie des travaux. Fou de joie, ce dernier retrouva ses vingt ans. Deux mois plus tard, après qu’il ait travaillé quinze heures par jour, le film Si Versailles m’était conté était en boîte. Sacha jouait le personnage de Louis XIV. Il s’était entouré de vedettes telles que Jean-Pierre Aumont, Brigitte Bardot, Jean-Louis Barrault, Bourvil, Claudette Colbert, Danièle Delorme, Robert Hirsch, Jean Marais, Georges Marchal, Gérard Philipe, Orson Welles et des chanteurs, Annie Cordy, Edith Piaf et Tino Rossi.

Si Versailles m'était conté
Si Versailles m'était conté
Sacha Guitry (Louis XIV) à la tête de toutes les vedettes française

(photo DR)
in Point de vue-images du monde Spécial Sacha Guitry - 1957
Collections A.R.T.

Cet effort fut trop important. Très fatigué, lors de la reprise de Deburau, Sacha Guitry fut la proie d’un grave malaise. Il dut alors accepter que c’en était fini pour lui d’être acteur. Malgré un déchirement douloureux, il préféra renoncer à la scène plutôt que de se montrer comme un vieux comédien malade et décati.

En juillet 1954, début du tournage d’un nouveau film : Napoléon. La bataille finale devait avoir lieu en Provence à 1.2OO mètres d’altitude. Le cœur malade, Sacha ne put y assister et donna ses ordres par radio.

Napoléon
Napoléon
Michèle Morgan, Sacha Guitry et Daniel Gélin

(photo DR)

Après avoir subi une seconde intervention chirurgicale, en février 1955, Sacha fut accueilli à la célèbre émission télévisée de Jean Nohain Trente-huit Chandelles avant de fêter son soixantième-dixième anniversaire.

Le 10 mars, au cours d’une soirée de gala à l’Opéra, le Président de la République René Coty assista à le première projection du film : Napoléon. Ce fut un triomphe. Sacha Guitry fut acclamé par un public de choix, fort enthousiaste. En revanche, lorsque le film fut présenté sur les écrans parisiens, il reçut de la critique un accueil décevant, Pourquoi ? Sans doute lui reprochait-on de ne pas être à la mode existentialiste...

Ne pas travailler ! Cela était impossible pour Sacha Guitry. Il s’adonna, une fois encore, à un nouveau projet : Si Paris nous était conté. Malheureusement, sa santé était plus que jamais déficiente. Atteint de polynévrite, il souffrait le martyr et devait supporter plusieurs piqûres de morphine par jour, d’où cette affirmation : « La morphine a été inventée pour que les médecins puissent dormir tranquilles !». 1 Après s’être servi d’une canne, Guitry ne pourra bientôt plus tenir sur ses jambes et devra soit rester au lit, soit se déplacer en fauteuil roulant. Il eut ensuite des problèmes dentaires et perdit une bonne partie de ses dents et, à tous ces maux, s’ajoutèrent des douleurs d’estomac... Pour cacher l’amaigrissement de son visage, il se laissa pousser la barbe.

Sacha Guitry
(photo DR)

Une satisfaction toutefois, le 6 juillet 1955, la Société des auteurs le décora de sa Grande Médaille d’Or.

Fin décembre, lorsque le tournage de Si Paris nous était conté fut achevé Sacha Guitry en offrit les bobines au Conseil Municipal de Paris, tandis qu’une présentation officielle du film eut lieu au cours d’un gala de l’Opéra. Sacha Guitry, ne pouvant plus se déplacer, fut porté de sa voiture à sa loge par des machinistes. Alors qu’il espérait que le film reçoive un accueil triomphal, les critiques furent très moyennes, à l’exception, toutefois, de François Truffaut qui, dans Les Cahiers du Cinéma, s’extasia devant l’éternel génie de l’auteur.

Sacha Guitry à l'Opéra
in Point de vue-images du monde Spécial Sacha Guitry - 1957
(photo DR)
Collections A.R.T.

Bien que très fatigué, après avoir absorbé sa dose quotidienne de morphine, Sacha Guitry se sentait revigoré et se remettait promptement au travail. Il entreprit le scénario de Si Monaco m’était conté qui resta inachevé. Puis ce fut celui de Assassins et voleurs, une histoire aux mœurs libertines, retravaillée d’après l’un de ses premiers films : Un roman d’amour et d’aventures. À cette occasion, furent engagés les jeunes comédiens Jean Poiret, Michel Serrault et Darry Cowl. Le tournage de ce film fut terminé, tant bien que mal, au début février 1957.

Assassins et voleurs
Assassins et voleurs
Jean Poiret et Michel Serrault

(photo DR)

Alors que Sacha Guitry espérait trouver dans le travail un remède à ses maux, il fut bien obligé de constater que son état physique se dégradait chaque jour davantage. Désespéré, alors, il absorba un tube entier de tranquillisants. Après trois jours de coma, la mort ne voulant pas encore de lui, il se remit à son bureau pour écrire le scénario de Les Trois font la paire. Adieu les grands films historiques, il s’agissait, cette fois, de l’histoire de jumeaux, interprétée par Michel Simon, Darry Cowl et Philippe Nicaud. Le public et les critiques, mis au courant de l’état plus ou moins grabataire du réalisateur, obligé parfois de déléguer ses pouvoirs à Michel Simon, se montrèrent apparemment très enthousiastes. Ils admirèrent, une fois encore l’esprit, l’humour, l’ironie, la fantaisie et le style de l’auteur.

Dans le même temps, Danielle Darrieux, Robert Lamoureux et Louis de Funès, triomphaient, au théâtre des Variétés, dans une reprise de Faisons un rêve. Sacha Guitry, qui ne sortait pratiquement plus, avait eu le plaisir de faire répéter ces acteurs chez lui, avenue Élisée–Reclus.

De plus, Sacha eut l’honneur qu’on lui commande un impromptu, à l’occasion du mariage du Prince Régnier de Monaco et de l’actrice Grâce Kelly, célébré le 27avril.

Encouragé par ces récents succès, Sacha reprit espoir : il n’était pas encore mort, il lui restait, pensait–il, de belles œuvres à écrire. Pour commencer, il chercha à achever son scénario de La Vie à deux qu’il avait mis de côté et dont l’affiche aurait dû porter les noms des célèbres acteurs Fernandel et Pierre Brasseur.

L’été 1957 fut caniculaire. Sacha ne supporta pas cette trop grande chaleur et les évanouissements succédaient aux évanouissements suivis de crises d’hémorragie. Lana était aux petits soins auprès de son époux. Dans un moment de lucidité et de tendresse, il lui murmura «  Mon petit ne me regarde pas, ce n’est pas un spectacle... ».  2

À partir du 20 juillet, souffrant d’une forte fièvre, Sacha Guitry sombra dans un profond coma. Par instants, toutefois, il reprenait conscience et invoquait son père. Sa dernière phrase fut : «  Allons mes enfants, en voiture  ». À quoi ces quelques mots se raccrochaient-ils ?

Au matin du 24 juillet, Sacha Guitry s'éteignit dans son hôtel de l’avenue Élisée-Reclus. Mais son Théâtre restera toujours vivant...

Lit de mort
in Point de vue-images du monde Spécial Sacha Guitry - 1957
(photo DR)
Collections A.R.T.

1 Jean-Pierre Danel Le Destin fabuleux de Sacha Guitry édition Document 200
2 Jean-Pierre Danel Le Destin fabuleux de Sacha Guitry édition Document

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