Alors que la Radiodiffusion nationale belge était tombée sous contrôle allemand, Louis préféra abandonner son poste au département des informations pour se spécialiser dans les émissions littéraires et culturelles. Néanmoins, les semaines passant, il se sentit mal à l’aise, l’emprise de l’occupant lui devint insupportable. Il donna donc sa démission le 15 mai 1942.
Privé de son traitement, il reprit avec grand plaisir l’écriture des deux premiers romans mis en chantier depuis quelques années : Le Péché de complication et Le Cadavre exquis. Ayant trouvé des distributeurs, il devint éditeur non seulement pour ses œuvres, mais pour celles du dramaturge flamand, Michel de Guelderode, et se disposait à étendre son catalogue aux ouvrages de Colette et d’Anatole France…
Au cours d’un voyage à Paris, il fit la connaissance d’André Gide, d’Henry de Montherlant et de Paul Achard, tout en se rassasiant de soirées théâtrales.
L’année suivante, Louis découvrit l’Italie, patrie de son épouse. Venise, Rome l’enchantèrent au plus haut point. Il aurait aimé y vivre. Mais bientôt le débarquement des alliées en Silice, l’obligea à rentrer en Belgique où la famille de sa femme était recherchée comme indésirable.
Commença alors pour Louis et Bianca le temps de la clandestinité.
En juin 44 ce fut au tour de la France et bientôt celui de la Belgique d’être libérées. Un ami résistant informa Louis qu’une dénonciation anonyme avait été lancée contre lui et que des policiers s’étaient rendus à son domicile bruxellois pour l’arrêter. Après avoir trouvé refuge chez quelques amis, le jeune ménage décida de fuir la Belgique coûte que coûte. « La frontière franco-belge, à ce moment-là, était hermétiquement close. Il ne restait qu’à foncer. Nous avions pris une petite route qui menait à un poste frontière secondaire. Un peu avant d’y arriver, la voiture a pris de la vitesse. Lancée à cent vingt à l’heure sur la route mal pavée, elle tanguait comme un hors-bord. Dans la clarté des phares, j’ai entrevu deux douaniers qui gesticulaient, mais qui eurent l’esprit, au dernier moment, de faire un saut sur le côté. La liberté m’ouvrait la barrière ».
Arrivés en France, anonymes, Louis et Bianca, se réfugièrent en Anjou, dans un vieux château, transformé en hôtel.
En Belgique, pendant ce temps, les procès politiques succédaient aux procès politiques. C’est ainsi que tous les anciens collaborateurs de la Radiodiffusion Nationale Belge furent condamnés par le Conseil de Guerre.
Alors qu’entre juillet 1940 et mai 1942, Louis avait enregistré environ trois cents émissions, il ne lui en fut reproché que cinq : l’interview d’un prisonnier rapatrié, deux autres révélant que certains officiers belges, déserteurs, seraient passé en France, un reportage sur la réquisition obligatoire d’ouvriers belges vers l’Allemagne et enfin, la protestation face à un bombardement par les Alliés sur un quartier populeux de Bruxelles.
Condamné par contumace, à quinze ans de travaux forcés, à la déchéance nationale et à la dégradation militaire, Louis Carette ne remettra plus jamais les pieds sur le sol belge.
Félicien Marceau Les Années courtes Éditions Gallimard 1968