En 1958, reprenant le canevas de la construction de L’Œuf, Félicien Marceau écrivit pour Marie Bell, ancienne Sociétaire de la Comédie-Française et directrice du Théâtre du Gymnase, une pièce en trois actes : La Bonne soupe. Il s’agissait cette fois de l’histoire de Marie-Paule, femme d’une cinquantaine d’années encore belle, élégante, cynique, au passé assez mouvementé. Un soir de déprime, alors qu’elle vient jouer au casino de Monte-Carlo, terrorisée par la « peur de manquer », elle eut le besoin de se confier et prit pour confident un croupier complaisant.
Cette fois il ne s’agit pas d’un monologue mais d’un dialogue entre la Marie-Paule actuelle et celle qui fut la Marie-Paule d’autrefois, une jeune fille de vingt ans.

Maquettes originales de Jacques Noël pour La Bonne soupe
Collections A.R.T.
Alors que quelques spectateurs riaient aux éclats en écoutant certaines outrances de langage, d’autres s’en montrèrent choqués. Ainsi en fut-il du critique Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro : « Je ne crois pas que M. Félicien Marceau fasse exprès de déplaire, mais son obstination instinctive à choisir le motif sombre pour en dépeindre toutes les noirceurs, cet entêtement à ne voir que l’horrible a quelque chose de déplaisant. Lucidité, me dira-t-on ? Un peu d’azur fait bien valoir les noirs ; une bouffée d’air pur, de temps en temps, rend supportable la visite des égouts de l’âme humaine ».

Félicien Marceau et André Barsacq pendant les répétitions de La Bonne soupe
(photo DR)
Collections A.R.T.
La pièce toutefois connut un grand succès. L’affiche était alléchante. Au nom de Marie Bell était adjoint celui de la jeune vedette Jeanne Moreau, qui venait de triompher au cinéma dans Les Amants de Louis Malle. Tous les soirs, au baisser de rideau, les deux comédiennes étaient ovationnées.

Marie Bell et Jeanne Moreau
in Paris Théâtre n°141
(photo DR)
Collections A.R.T.
Alors que La Bonne soupe achevait sa carrière, la radiodiffusion française retransmettait une pièce en un acte, signée Félicien Marceau : La Mort de Néron relatant les dernières heures de la vie du tyran, sorte d’ébauche de L’Étouffe-chrétien qui sera créé au théâtre de la Renaissance, dans une mise en scène d’André Barsacq. Une fois encore l’auteur chercha à innover. Il ne s’agissait plus d’une comédie, mais d’une « tragédie burlesque » dont le personnage principal était l’empereur Néron, Néron le fou, Néron le pyromane, Néron l’assassin, en proie à ses fantasmes et à ses angoisses. Certes le tyran était omnipotent, ses ordres les plus cruels les plus extravagants étaient exécutés, mais en revanche, il n’était entouré que de flagorneurs qui le haïssaient. Et comble de disgrâce, ce monarque absolu, ne pouvait exercer son pouvoir qu’en l’absence d’Agrippine, sa mère. Dès qu’elle apparaissait, elle le dominait comme un méchant enfant. En fait Néron était quelqu’un de très solitaire et de très malheureux.

Félicien Marceau et andré Barsacq pendant les répétitions de L'Étouffe-chrétien
(photo DR)
Collections A.R.T.
Créé le 21 octobre 1960, le spectacle quitta l’affiche au début décembre. On ne put parler d’une véritable réussite. Les avis furent partagés. Au verdict très sévère de Max Favalelli, dans Paris-Presse : « Rien de plus irritant que de voir un tireur mettre ses balles hors de la cible. Surtout lorsqu’il s’agit d’un tireur aussi adroit que M. Félicien Marceau » s’opposait une critique plus favorable de Robert Kanters, dans L’Express : « C’est sans doute la moins réussie des pièces de M. Félicien Marceau et par certains côtés la plus intéressante ».

Francis Blanche
Programme original de L'Étouffe-chrétien
(photo Studio Vallois)
Collections A.R.T.
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Il fallut que la pièce soit jouée en tournée à l’étranger pour qu’elle recueille le succès, souhaité par son créateur : « L’auteur de La Bonne soupe vient de donner sa pièce la plus forte et le plus originale. La critique parisienne ne s’en aperçoit pas ? Le public, déconcerté, fait la petite bouche ?... Eh bien tant pis pour la critique et pour le public. (…) Tragédie burlesque, tenant le milieu entre Ubu Roi et les Elisabéthains, L’Étouffe-chrétien diffère apparemment des précédents ouvrages de notre auteur qui ont remporté l’un des plus grands succès qu’enregistre l’histoire du théâtre. Je dis « apparemment » parce qu’en réalité c’est une méthode semblable appliquée à un sujet nouveau, beaucoup plus profond et beaucoup plus riche ». .

Maquettes originales de Jacques Noël pour L'Étouffe-chrétien
Collections A.R.T.
Pour Félicien Marceau L’Étouffe-chrétien restera sa pièce préférée.
Dépité par l’accueil du public français, l’auteur avait en quelque sorte besoin de narguer la critique en se revalorisant à ses propres yeux. Délaissant son petit appartement parisien, il acquit un hôtel particulier de Neuilly et engagea un valet de chambre au gilet rayé , chargé de recevoir les visiteurs. Félicien Marceau était devenu le plus théâtral de tous ses personnages
Délaissant le roman, Marceau se consacra pendant quatre années à la scène
Ce fut d’abord Les Cailloux présentés le 21 janvier 1962, au théâtre de l’Atelier dans une mise en scène d’André Barsacq. L’action se passait à Capri, lieu de prédilection de riches inactifs qui cherchaient… savaient-ils quoi ? Ils étaient la proie de personnages douteux comme la jeune Sara qui, afin d’aider son amant Hongrois et miséreux, décida de voler le roi du chocolat ou de cette Marjorie Watson, fabulatrice insensée qui se faisait passer pour une des femmes les plus riches et les plus en vue d’Amérique, alors qu‘elle n’était qu’une simple employée des P.T.T. dans une petite ville du Colorado, et avait pu se rendre en Italie grâce à un concours organisé par la télévision. La présence sur l’affiche de Barbara Laage actrice française ayant obtenu ses galons de vedette de cinéma au Etats-Unis auprès de Kirk Douglas et de Gene Kelly, ne suffit pas à sauver la pièce qui fut un semi échec et retirée de l’affiche au bout de deux mois.

Jean Tissier, Camille Fournier, Barbara Laage et Michel Piccoli
Programme original des Cailloux
(photo Studio Vallois)
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Faisant sienne la devise que l’on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, Félicien Marceau mit en scène sa pièce suivante : La Preuve par quatre au théâtre de la Michodière. « Dans L’Œuf, je racontais l’angoisse de l’homme devant les lieux communs. Dans La Bonne soupe c’était l’angoisse de la femme devant le manque d’argent. Ici, je constate que mon héros a perdu son âme, ce qui n’est pas drôle », ainsi l’auteur présentait-il sa comédie dans le programme.

Affiches de la 600ème
Collections A.R.T.
Industriel quinquagénaire, vivant très confortablement, Arthur souffrait néanmoins d’inquiétude... À la question : « Qu’est-ce de l’amour ? » il ne sait quoi répondre.
Cette comédie légère connut un grand succès, tant de la part du public qui s’amusa beaucoup, que de celle de la critique
Fort de son succès de metteur en scène, Félicien Marceau décida de renouveler l’expérience au théâtre du Gymnase en septembre 1965 avec sa nouvelle pièce : Madame Princesse. Un titre nobiliaire ? Point du tout, cette dame s’appelait « Princesse » comme elle aurait pu s’appeler « Dupont » . Néanmoins elle était possédée par des idées de grandeur. Un soir, elle eut la faiblesse d’accueillir pour une nuit Nicolas un vieil adolescent qui venait de se trouver mal devant son pavillon de la rue de Vaugirard. Naturellement, le jeune homme s’incrusta - la place était bonne - et Nicolas finit par faire admettre à Madame Princesse qu’il pourrait devenir « son homme de compagnie ». Après avoir accepté, Madame Princesse dut avouer qu’elle tirait ses revenus de divers larcins. Nicolas fut enchanté. À eux deux, ils allaient devenir les escrocs du siècle, Comment ? En opérant, tout simplement, le kidnapping de femmes du monde. Mais les résultats n’étaient pas ceux espérés. Certains maris, désireux de se débarrasser de leurs épouses refusaient de payer la rançon, À l’opposé certaines femmes voulant retrouver leur liberté ne souhaitent pas que leur époux cherche à les récupérer. Alors que faire ? Survint une idée géniale : pourquoi ne pas transformer le pavillon de Vaugirard en lupanar. Cette solution fut la bonne et la richesse du couple fut assurée…

Collections A.R.T.
Félicien Marceau avait écrit le personnage de Nicolas en pensant à Serge Reggiani ; Marie Bell qui tenait le rôle de Mme Princesse lui préféra Jean-Claude Brialy qu’elle trouvait plus vif et plus pétillant. Félicien Marceau accéda à son désir, il eut raison car le couple Bell-Brialy remportait chaque soir un très vif succès. Jouée plus de 300 fois à Paris la pièce fut inscrite, l’année suivante, au programme des célèbres tournées Karsenty pour cent représentations à travers la France et l’étranger.

Jean-Claude Brialy
Programme original de Madame Princesse
(photo Pietro Pascuttini)
Collections A.R.T.
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Quelques mois plus tard, le 21 février 1967, le rideau du théâtre de la Comédie des Champs-Élysées se levait sur la nouvelle pièce de Félicien Marceau : Un jour j’ai rencontré la vérité, mise en scène par André Barsacq avec François Périer dans le rôle principal. Bernard était un parfait mythomane. Pour lui le mensonge, loin d’être un défaut, était dispensateur de rêves, de poésie et de bonheur. Néanmoins à force de triturer la vérité, elle finit par « sortir de son puits » et s’imposer à l’immuable menteur. Certes Gisèle, son amoureuse, elle-même quelque peu fabulatrice, l’ aimait tel qu’il était. Mais bientôt, à force d’assurer à sa maitresse, Bernard la vit se dédoubler en une Gisèle N°2, qui n’était, elle, que Vérité. Bernard confondit ses deux amoureuses. Et il s’éprit, sans le savoir, de la Gisèle N°2. Alors, il lui sera désormais impossible de mentir. « La vérité n’est peut-être qu’une maladie, une passion qui ronge plus qu’elle ne sert ; mais je ne peux plus m’en passer. Elle est en moi. Elle ne cessera plus d’y être ». Abandonné par ses deux amantes qui en fait n’étaient qu’une seule stoïque, il acceptera que « quand on a la vérité, on est toujours seul ».

Félicien Marceau et François Périer pendant les répétitions de Un jour j’ai rencontré la vérité
(photo Jean-Marie Périer)
Collections A.R.T.
Le spectacle remporta un joli succès. Un des atouts fut l’engagement des talentueuses jumelles Odile Mallet et Geneviève Brunet dans les personnages des deux Gisèles Après une année sur la scène de la Comédie des Champs-Élysées, la pièce fut reprise, l’année suivante, à Bruxelles au Théâtre de la Galerie Saint Hubert pour une saison.

Un jour j’ai rencontré la vérité
décor de Bernard Daydé
fonds Serge Bouillon-Danielle Mathieu-Bouillon
(photo Lipnitsky)
Collections A.R.T.
Collées sur les colonnes Moritz, en septembre 1969, les affiches du théâtre de l’Atelier, annonçaient un spectacle au titre bizarre : Le Babour. Le Babour, cela voulait dire quoi ? En fait il s’agissait de la traduction en dialecte champenois et picard du mot bébé. Un petit enfant venait de naître dans une famille heureuse les Fléchard. Aimé par Josyane sa maman, Irma, sa grand-mère, Pétula, sa jeune tante, il était particulièrement choyé par Eugène, son grand-père, Fernand, son papa, Raoul, son oncle.

Jean-Pierre Marielle
Programme original du Babour
(photo Nicolas Treatt)
Collections A.R.T.
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Un jour, dénoncée on ne sait par qui, un inspecteur du travail, débarqua dans la famille. Il découvrit qu’à l’opposé de la vie normale, c’était les hommes qui demeuraient à la maison pour effectuer les besognes ménagères, Eugène, ancien maçon était chargé du balayage, Raoul, ancien plombier, lavait la vaisselle, etc. et tous s’occupaient avec une joyeuse précauton, des biberons, des couches, des berceuses du Babour.
Les femmes, elles, travaillaient à l’extérieur et rapportaient l’argent nécessaire à l’entretien du foyer. Irma était caissière dans un grand magasin, Pétula travaillait dans un service d’expédition. Josyane, manœuvre conduisait une grue, etc. Mais, en compensation, pour ces dames, tandis que les époux reprisaient les chaussettes, elles allaient au cinéma. L’inspecteur est tout d’abord choqué, prêt à faire un rapport et peu à peu, il essaie de comprendre, puis se convertit et finit lui aussi de rêver de cafetière et de casseroles et la pièce se termine quand ayant pris l’enfant dans ses bras il prédit : « Qu’est-ce qu’il deviendra quand il sera grand, le gentil Babour ? Une belle petite ménagère ! ».
Interviewé au cours des représentations, Félicien Marceau déclara avoir voulu faire une pièce à tendance sociale. « J’espère avoir montré que le social est comme toute chose au monde : qu’il est aussi comique » Il pouvait être satisfait car les critique furent toutes excellentes, les titres à eux seuls étaient séduisants: « Une drôlerie toujours inattendue » , « Rigueur et fantaisie » , « Le rire véhicule la réflexion », « Résultat fort réjouissant » «une satire du monde moderne » « un rire collectif ».
Après avoir publié un essai fort intéressant sur Balzac, Félicien Marceau redevint l’auteur dramatique qu’il ne pouvait cesser d’être. C’est ainsi que Pierre Franck mit en scène, au théâtre de l’Œuvre, une comédie quelque peu loufoque et musicale ( accordéon électrique et contrebasse ) intitulée : L’Ouvre-boite.

L'Ouvre-boîte
Michelle Luccioni et Georges Duby
(photo Nicolas Treatt)
Collections A.R.T.
L’action se passait en Suisse, dans la cuisine d’ une maison bourgeoise. Tandis que les patrons invisibles n’étaient nourris que de conserves transmises par monte charge - d’où le titre l’ouvre boite - la domesticité se gobergeait de soles, de gigot, de pâtisseries, etc. Une nouvelle femme de chambre, Marie, fut acceptée avec plaisir par Guy, le chauffeur homosexuel et Fernande la cuisinière qui lui révélèrent que dans un petit pavillon au fond du parc était réfugié l’ancien Président de la République de l’Algonquin, province de l’Ontario, chassé de son pays par un coup d’Etat. Quoiqu’inscrite au syndicat C.S.D.T, Marie s’éprit de cet exilé et n’eut d’autre but que de lui rendre son pouvoir. Guy et Fernande la soutinrent dans son combat. Tous trois conseillèrent à l’ancien Président d’écrire une déclaration à l’intention de son peuple, dans lequel il s’engagerait à résorber le chômage, à lutter contre la pollution « qui favorise l’éclosion des groupuscules nationalistes. Voyez le Japon ! » et à terminer son texte en exprimant sa haine du Capital, source de tous les maux de la terre. Ce manifeste, tiré à des millions d’exemplaire devrait être projeté par avion à travers le pays d’Algonquin. Beau projet… difficilement réalisable. Comment trouver la somme d’argent nécessaire ? Et pourtant, elle fut trouvée cette somme, et le Président demanda Marie en mariage…
La pièce, créée le 13 octobre 1972, quitta la scène le 16 novembre de la même année. C’est assez dire que L’Ouvre-boite ne connut pas un grand succès. Il faut reconnaître que dans les années l970, le chômage, la pollution, le capitalisme n’étaient pas encore à l’ordre du jour.
Déçu, certes, Félicien Marceau l’était, mais quelques mois auparavant, le 22 mai, n’ avait –il pas eu la joie d’être très applaudi au Theater in der Joosefsradt de Vienne pour sa dernière pièce : L’Homme en question traduite par Lore Kornelle, et un mise en scène par Heinrich Schnitzier.

Félicien Marceau, Heinrich Schnitzler ( metteur en scène ), Vilma Degischer ( Elle ) et Hans Holt ( Lui ) en répétitions
à Vienne
in Avant-scène août 1974
(photo Ernst Hausknost)
Ce fut donc plein d’espoir que Marceau confia sa pièce à Pierre Franck pour qu’il l’affiche au théâtre de l’Atelier à partir du 3 novembre 1974.

Croquis de recherche de Jacques Noël pour L'Homme en question
Collection particulière de Jacques Noël
Quoique la critique fût réticente, L’Homme en question, ainsi qu’à Vienne, remporta à Paris un énorme succès, ainsi qu'à Vienne. Le bouche à oreille avait merveilleusement fonctionné, Si un spectateur voulait assister à la pièce pendant les fêtes de fin d’année il lui fallait louer sa place quinze jours à l’avance.

Paul Cambo, Bernard Blier et Martine Sarcey dans L'Homme en question
in Avant-scène août 1974
dessin de Lebon
Pangloss la revue Pan Bruxelles
cf/ Quelques pièces
Un jour j’ai rencontré la vérité deuxième partie
idem
Jean-Jacques Gautier Le Figaro
Jacques Lemarchand Le Figaro littéraire
Philippe Senart La Revue théâtrale
Gilbert Guilleminault L’Aurore
Nicole de Rabaudy Paris-Match
Ed. Dubois Feuille d’avis de Lausanne
cf/ Quelques pièces