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Le théâtre face à l’action politique

Il ne faudrait pas croire qu’absorbé par la scène l’auteur dramatique Maulnier se soit désintéressé du sort de la France durant ces années de turbulence coloniale.

Depuis 1953, les combats en Indochine s’étaient intensifiés. En mai 1954, la chute de Dien-Bien Phu mettant fin à une guerre calamiteuse. Indifférente, l’intelligentzia parisienne, installée au Flore et aux Deux Magots semblait ignorer l’importance du désastre. Thierry Maulnier s’en prit violemment à tous ces intellectuels, - en particulier à Jean-Paul Sartre -, qui ne s’étaient guère engagés auprès de ceux qui avaient souffert et qui avaient marché « … sous la menace d’ennemis triomphants qui ont reçu de Moscou leurs idées, leurs méthodes, leurs camions Molotov et leurs orgues de Staline ». 1

Six mois plus tard éclataient les troubles d’Alger. Alors qu’à Paris les intellectuels de gauche soutenaient les rebelles, Thierry Maulnier se mobilisa à fond pour la défense de l’Algérie française : « … réalité de terre attachée à notre terre, de chair attachée à notre chair ».2 Il n’avait cure d’oublier que, dans ces trois départements français, des hommes, émigrés pour la plupart d’Alsace-Lorraine en 1871, avaient apporté leur culture, construit des villages, des routes, des écoles, des hôpitaux. Depuis cent-trente ans, ils constituaient là bas une part de notre patrie.

Quoique très controversé pour sa politique algérienne, Thierry Maulnier eut toutefois la possibilité d’adapter l’œuvre célèbre du dramaturge britannique, Christopher Fry : Le Prince d’Égypte. À la cour du Pharaon, Moïse était devenu général d’armée, jusqu’au jour où il tuait un officier qui brutalisait un Juif. Il s’enfuyait alors avec son peuple et attira sur l’Égypte les dix plaies qui devaient ruiner le pays. Interviewé sur les intentions de l’auteur, Maulnier déclara : « Christopher Fry a voulu traiter, par delà le sujet, d’une part la question d’oppression, d’autre part le conflit qui se dresse entre une brillante civilisation et le peuple qui a besoin de sa liberté pour conquérir l’avenir ». 3 Faisant, en partie, abstraction du problème juif, certains journalistes n’hésitèrent pas à établir une similitude évidente entre l’histoire de Moïse et du Pharaon et la situation de la France face aux aspirations des indigènes d’Algérie et sans omettre le problème racial qui aux U.S.A n‘en finissait pas de se résoudre :  « Les thèmes s’entrecroisent. On peut n’y voir qu’une pièce raciale et politique au sens ethnologique du terme ou une pièce sociale et politique : un peuple en lutte contre ses oppresseurs, le théâtre de la déportation, le théâtre de la résistance, incarné par un chef, le théâtre de la duplicité colonialiste. Ah certes, l’actualité fournit des références ». 4

Le Prince d' Égypte de Christopher Fry
Collections A.R.T.

La pièce, créée au théâtre du Vieux Colombier, le 21 septembre 1955, dans une mise en scène de Marcelle Tassencourt remporta un beau succès auprès du public et ne quitta l’affiche que le 15 janvier 1956, au soir de la cent treizième représentation.

Le Prince d' Égypte, décor de Jacques Marillier
Le Prince d' Égypte, décor de Jacques Marillier
maquette reconstituée peinte par J. Marillier
Collections A.R.T.

Les mois passaient, la révolte algérienne s’était développée au point d’être devenue « la guerre d’Algérie ». Thierry Maulnier devait se rendre à l’évidence et admettre que l’Algérie n’était pas une province comme les autres. Il lui faudrait trouver un statut spécial afin pensait-il que « des milliers de Musulmans, longtemps éloignés de nous par le doute ou la haine, tendent les mains vers les mains qui se tendent par dessus le fossé de sang ». 5

Le 26 février 1958, de retour dans la salle du boulevard des Batignolles, qui ne portait plus le nom composé de Théâtre des Arts-Hébertot mais simplement de Théâtre Hébertot, Thierry Maulnier présentait : Procès à Jésus dans la mise en scène de Marcelle Tassencourt, Il s’agissait de la version française d’une œuvre de l’auteur italien Diego Fabbri. Ce dernier, interviewé, avait déclaré : « J’ai imaginé une troupe d’acteurs – une famille juive – qui de ville en ville pose cette question au public : Les ancêtre ont-ils eu tort ou raison de condamner Jésus ? »

La répétition générale, à laquelle assista une délégation de Dominicains, fut un triomphe : «  La place manque pour dire avec quelle véritable ferveur et quel enthousiasme le grand public a accueilli, hier soir, la première représentation de Procès à Jésus ». 6

Procès à Jésus, décor de Jacques Marillier
Procès à Jésus, décor de Jacques Marillier
fonds Jacques Marillier
Collections A.R.T.

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La presse catholique fut très favorable au spectacle : « Œuvre insolite et forte dont il appartient à nous d’abord, catholiques, d’assurer l’audience et le succès (…) La forme dramatique en est aussi neuve que belle, intelligente et remarquablement accordée aux préoccupations des hommes de notre temps. ». 7 Les autres critiques se montrèrent plus réservés quant au sujet lui même : «  J’avoue que la dialectique, qu’elle soit marxiste ou chrétienne, m’irrite toujours un peu. Mais ce Procès à Jésus ne manquera pas de passionner un public averti et qui ne tardera pas à lui trouver, dans notre époque d’inquiétants prolongements ». 8

La pièce tint l’affiche une année et prit fin au soir de la quatre-centième représentation. Pendant toute sa durée des débats la concernant furent organisés les soirs de relâche, dans des cinémas de la banlieue ouvrière, Colombes, Argenteuil, Asnières, Pantin, etc.

En juin, la pièce fut programmée dans le cadre du Festival Nuits de Bourgogne.

Le 16 décembre 1958, sous l’égide des étudiants de la Sorbonne et sous la présidence de l’archevêque de Paris, Mgr Feltin, Procès à Jésus fut interprété dans le stade du Velodrôme d’Hiver.

Six mois plus tard le 25 mars 1959, au cours d’une soirée exceptionnelle, la pièce fut rejouée dans l’immense salle de l’Alhambra-Maurice Chevalier

En dépit de son succès au théâtre, Thierry Maulnier ne pouvait oublier les évènements qui secouaient la France. S’étant fait nommé grand reporter au Figaro, après le célèbre discours du Général de Gaulle au forum d’Alger, Maulnier décida d’entreprendre, avec son épouse, un voyage d’une quinzaine de jours en Algérie afin de rencontrer la communauté des Pieds-Noirs et d’écouter leurs doléances.

De retour en France, en collaboration avec l’auteur Costa du Rels, Thierry Maulnier s’attaqua, une nouvelle fois, à l’adaptation française d’un ouvrage de Diego Fabbri : Le Signe du Feu. Pièce d’inspiration religieuse, mise en scène par Marcelle Tassencourt, elle fut programmée à partir du 2 février 1960 au théâtre Hébertot. Dans un hôtel de Berlin se trouvaient, secrètement, réunis quelques pères Jésuites venus des quatre coins de la terre. Leur but était d’envisager les moyens de défendre leur Foi dans un monde nouveau, redoutable et plein d’embûches.

Le Signe du feu, décor de Jacques Marillier
Le Signe du feu, décor de Jacques Marillier
fonds Jacques Marillier
Collections A.R.T.

« Il y a d’étranges affinités entre notre époque et celle où vécut le fondateur de la Compagnie de Jésus. De nos jours, on photographie la moitié invisible de la lune et les astronautes se préparent à explorer le Cosmos. Ignace de Loyola avait deux ans à l’heure où Christophe Colomb , croyant débarquer aux Indes, découvrait la moitié inconnue de la terre. L’univers prenait brusquement, comme il le fait aujourd’hui, des dimensions nouvelles » lisait-on dans le programme.

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Émettre de sévères articles sur un sujet pareil aurait été, certes, de très mauvais goût, aussi les critiques, tel Jean Bergeaud, se bornèrent-ils à constater l’évidence : « Pour les œuvres touchant aux problèmes religieux, il s’agit moins de prouver que de libérer, de convertir que d’éclairer, de convaincre que d’établir un dialogue, de discuter que d’aider, à se dégager des fonds inexplorés de la conscience, ce fil qui la conduit hors du labyrinthe, face à la vérité acceptée »

Sans remporter le triomphe de Procès à Jésus, la pièce connut un joli succès et fêta la centième représentation.

Durant les mois qui suivirent, la situation politique devint de plus en plus confuse. Lorsqu’on évoquait l’Algérie, les mots « référendum », « autodétermination » revenaient impitoyablement dans les conversations. Thierry Maulnier continuait à penser que la perte de nos trois départements d’Outre-mer serait pour la France : « la plus grande des catastrophes nationales, la fermeture de l’avenir, l’arrêt du sort qui nous condamnerait au déclin ». 9

Et puis, et puis, et puis… au soir des accords d’Evian, après avoir condamné le putsch des généraux de l’ O.A.S., Maulnier écrivit : « Je ne crois pas qu’il faille s’abandonner au romantisme du désespoir, qui est encore, lorsqu’il s’agit du destin d’un peuple, une des formes de l’abdication. Il n’est pas de situation qui n’offre une chance et une prise pour l’action positive aux hommes et aux peuples qui ne renoncent pas ». 10

Si l’homme engagé politiquement tournait la page, le dramaturge, lui aussi, semblait se renier en signant une comédie satirique. Cette dernière, montée au théâtre de l’Athénée à partir du 5 mars 1960, avait pour titre : Le Sexe et le Néant, - un clin d’œil ironique à Jean -Paul Sartre. 11 Le personnage principal, l’écrivain Annibal Le Borgne, venait de terminer un essai philosophique, illisible. Son éditeur, Jullimard, cherchait à en faire un best seller à force de slogans publicitaires du style : « … du sexe dans la métaphysique et de la métaphysique dans le sexe ». Le snobisme parisien s’en mêlant, il y réussit et autour de l’auteur se forma un cénacle d’admirateurs aux répliques aussi stupides que péremptoires : « Puisque le monde ne signifie rien, la littérature ne peut signifier le monde qu’en assumant l’insignification de tout. Le secret du monde, c’est qu’il n’y a pas de secret ». 12

Le Sexe et le néant de Thierry Maulnier
Collections A.R.T.

Au soir de la générale, le public s’amusa beaucoup. La critique, sous la plume de Jean-Jacques Gautier du Figaro et de Bertrand Poirot-Delpech du Monde, reconnut que Thierry Maulnier avait beaucoup d’esprit, une prédisposition à une ironie percutante, un sens inné de la répartie cinglante, mais en réalité Le Sexe et le Néant n’ajouta rien à la gloire de son auteur.


Jean-Marie Amato
Programme original

Collections A.R.T.

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1 Le Figaro 20 mai 1954
2 Le Figaro 29 mars 1956
3 Franc-Tireur 14 septembre 1955
4 Guy Verdot Franc-Tireur 26 septembre 1955
5 Thierry Maulnier Le Figaro 3 juin 1958
6 Jean-Jacques Brissac Paris-Journal 28 février 1958
7 La Croix 6 mars 1958
8 Max Favalelli Paris-Presse-L’Intransigeant 2 mars 1958
9 Le Figaro 15 novembre 1960
10 Politique Éclair 27 mars 1962
11 cf/ l’essai philosophique L’Être et le Néant
12 Le Sexe et le Néant Acte 1 tableau 4, scène 2

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