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À la découverte du monde
Aux premiers jours de 1925, quelque temps après le décès de Mme de Riancey, Montherlant décide de voyager A trente ans, il veut tirer un trait sur son passé et ne pas se laisser embrigader tant dans sa vie privée que dans sa vie publique, Pas de chaîne, pas d’engagement, la Solitude dans toute sa force et sa grandeur. Il se reconnaît dans le poète Alfred de Vigny et plus encore dans les Stoïciens. Il quitte Paris pour toujours, espère-t-il. Il choisit l’Espagne comme terre d’élection. Arrivé à Madrid, il visite les musées, découvre l’âme hispanique, ses poètes, ses historiens, ses romanciers. Aficionado enthousiaste, il assiste à toutes les corridas programmées. Il n’hésite pas à pratiquer le noble art du torero. Au cours d’un combat il y gagne une sérieuse blessure à l’aine qui se rappellera à lui jusqu’à son dernier souffle.
Puis un beau jour, il traverse la Méditerranée pour se rendre en terre maghrébine. Il est subjugué par l’exotisme arabe. Il s’empresse de lire les récits d’André Gide racontant son séjour tunisien. Henry s’attache à ce pays de rêve, le pays où l’on peut s’aimer selon son désir, de quelque nature qu’il soit. Oubliée cette censure parisienne mesquine et malveillante. Ici dans les nuits chaudes, sous un ciel étoilé, les corps disponibles peuvent se découvrir et s’enlacer sans que personne n’y trouve à redire. Parfois Henry se contente de rencontres fugitives mais parfois aussi il ébauche des liaisons plus sérieuses. Néanmoins aucune de ces amours ne mérite d’être durables.
Incapable de se fixer, Montherlant se déplace sans cesse. Il découvre peu à peu le sens réel du mot de Colonisation. Il s’introduit dans le milieu corrompu des « Petits Blancs » et s’indigne de leur manière de traiter les noirs en esclaves indigènes. « Quels affreux tyranneaux deviennent tant d’Européens aux colonies » écrit-il dans ses petits carnets. Néanmoins, au cours de ses pérégrinations, il fait la connaissance de certains colons de bonne volonté qui, sincèrement s’efforcent d’apporter le progrès, source de bien être, au peuple africain. Alors que Montherlant se proposait d’écrire un roman quelque peu libertin sur ses idylles algériennes, il abandonne son projet et remplissant son stylo d’une encre très noire, il s’attaque à un « grand roman social sur la question indigène » : La Rose de Sable, roman qu’il ne publiera pas avant des décennies.
L’entr'acte tunisien durera jusqu’en 1936. Après s’être déclaré « pleinement citoyen algérien », Montherlant, écœuré par la déplorable cohabitation des Indigènes et des Blancs, se déprend de l’Afrique du Nord et rentre à Paris, le 23 février 1936. Il loue alors un appartement rue de Bourgogne qu’il quittera en 1939 pour s’installer définitivement au 25 quai Voltaire dans l’immeuble où vécut Alfred de Musset., Montherlant se jette à corps perdu dans la rédaction de deux ouvrages parmi les plus importants de son œuvre: Les Célibataires et Les Jeunes Filles. L’être humain n’y trouve aucune grâce. Solitaire, l’ homme se racornit , devient égoïste et mesquin Ainsi sont les célibataires. Vivre en couple ? La solution est pire encore. « L’amour est gâché non seulement par le mariage, mais par la seule possibilité du mariage ».
Le cycle en quatre tomes des Jeunes Filles démontrera l’incompatibilité d’humeur innée entre les deux sexes. Néanmoins, en ce printemps 1939, lors d’une conférence, Henry rencontre une jeune personne qui saura trouver le chemin de ce « cœur-citadelle ». Après bien des hésitations et des atermoiements, Montherlant rompt ses fiançailles et dans un deuxième temps écrit dans son journal : « Les femmes sont des objets charmants, très sensibles mais, pour le sérieux, on ne peut pas compter sur elles ».
Alors qu’il a retrouvé le bitume parisien, naît en Montherlant une âme bucolique et champêtre. Cherchant à glorifier « la grande dignité des bêtes, des plantes et des eaux » il autorise le jeune comédien Sylvain Itkine à monter au Théâtre Pigalle, les 6 et 7 décembre 1938. un poème dramatique, Pasiphaé, écrit en 1928 et publié à Tunis en 1936.
Depuis plusieurs années, Montherlant sent monter l’orage entre la France du Front Populaire et l’Allemagne du Nazisme. Dès 1935, il s’en inquiète et, pacifiste, il publie un essai séditieux et antimilitariste : Service inutile.
La déclaration de guerre accable Montherlant. Sa nature pessimiste et son désenchantement le conduisent à fustiger ceux qui s’exposent en première ligne parce qu’ils « croient en la France » Dans son petit carnet, il se confie : « Tout le mal est fait sur la terre par les convaincus et les ambitieux... Être patriote en France est une crucifixion... ».
La débâcle laisse Montherlant dans un état d’immoralité désespérée. Réfugié à Marseille puis à Nice, il est mêlé à de sordides histoires de pédérastie. Poursuivi par une mère pour avoir voulu abuser de son fils, il est menacé de prison.
La Rose des Sables sera publiée en 1968, après la décolonisation des territoires africains.
Le Démon du Bien troisième tome du cycle des Jeunes Filles ed. Gallimard.
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