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Quelques pièces
FILS DE PERSONNE
Analyse
Nous sommes en 1941. Prisonnier évadé, l’avocat parisien, Georges Carrion, s’est réfugié sur la Côte d’Azur. Il a retrouvé une ancienne maîtresse Marie accompagnée de Gillou, 13 ans, leur fils. Georges leur propose l’hospitalité. Il s’attache à Gillou. La cohabitation avec Marie est invivable. Elle veut retourner à Paris avec l’adolescent. Carrion refuse, il veut garder son fils. L’enfant ne sait vers qui se diriger. Cette hésitation, preuve d’un caractère veule, déçoit Carrion et au moment où son fils va le choisir, il le rejette
Critiques
« Georges sacrifie son fils - car toute cette histoire n’est qu’un assassinat moral - en manière de représailles contre sa propre incapacité de vivre ».
(´M. Albrecht Buesche Parizer Zeitung )
« On entend toujours parler de la cruauté, de l’inhumanité de Montherlant. Mais attention: cette cruauté, qui existe, ne vient jamais d’un défaut de sensibilité, elle vient toujours de la volonté qui, mue par l’intelligence, intervient sur la sensibilité pour la paralyser localement et momentanément. Ici aussi , dans « Fils de Personne », une décision de l’intelligence met en mouvement la cruauté ».
(M. Rolf de Wuyters)
« La pièce magnifiquement décharnée de M. Henry de Montherlant prend ses racines dans le temps présent. elle y puise sa sève la plus âcre et la plus généreuse. Montant d’un sol pourri, elle pousse sans un noeud, sans un coude, ses quatre branches desséchées vers le zénith d’un ciel impitoyable et pur. Nietzsche avait médité sur l’origine de la tragédie; on dirait qu’il est revenu accomplir en plein XXème siècle, la forme tragique. Fils de Personne est bien une tragédie, où les dieux sont intégrés à la nature humaine, où la fatalité est une puissance de l’âme, son exigence la plus haute et la plus dangereuse.»
H-R Lenormand Panorama
« Fils de Personne n’est pas, essentiellement, une comédie de caractère. Il se peut que Georges soit un Alceste sans le savoir un « misogyne atrabilaire », emporté, excessif et qui parfois frôle l’odieux et d’autres fois le ridicule. Qu’est-ce que ça fait ? (...) C’est à tout le monde que Montherlant prétend faire la leçon. Et qu’il la fait sans ménagement. C’est toujours la même croisade qu’il poursuit dans ses romans ou ses essais divers, contre la médiocrité et la veulerie ambiantes. Etes-vous pour ou contre ? C’est la seule question. je ne veux plus voir Gillou, ni Marie, ni même Georges. Je veux voir seulement d’un côté une foule assise, tout un public, toute une société « abâtardie et molle », hé oui, nos pharisiens, nos resquilleurs, nos combinards, nos bourgeois flanqués de leurs bourgeoises nos midinettes avec leurs midinets, nos acheteurs de billets de la Loterie Nationale, nos liseurs de magazines, nos joueurs de belote, nos amateurs de Milton, de Tino Rossi et de pernod pour Arthur ; tout le magma, enfin, de notre décadence. Et de l’autre côté, en face Montherlant, lui seul, comme l’homme à cheval de Drieu La Rochelle - à cheval sur d’exorbitants principes - qui fouaille de là-haut, à pleine cravache dans le tas... J’avoue que pour ma part j’applaudis des deux mains, en attendant mieux ».
Claude Jamet, Images mêlées édition 1948
DEMAIN IL FERA JOUR
Analyse
Nous sommes en juin 1944. Georges est rentré à Paris. Il a repris ses occupations. Il revoit Marie et Gillou. À dix-sept ans l’adolescent rêve de s’engager dans un réseau de la Résistance. Son père cherche à l’en dissuader jusqu’au jour où il reçoit une lettre de menace. Peu ou prou collaborateur, Georges se sent en danger de dénonciation. Pour se dédouaner, il encourage son fils à rejoindre le rang des combattants. À la première escarmouche, Gillou est tué.
Critiques
« Demain il fera Jour » nous ramène à la plus sordide anecdote. Savez-vous pourquoi l’avocat Georges Carrion était un si mauvais père ? C’est qu’il portait en lui l’âme d’un futur collaborateur (...) « M. de Montherlant ,pourquoi salir, gratuitement, l’un de vos anciens personnages ? Il n’y avait point de nécessité, au sens exigeant du mot, à ce que le Carrion de Cannes dur, orgueilleux, abusé, mais intègre, devint le lâche abject que vous nous montrez aujourd’hui. incapable d’aimer les hommes, l’êtes-vous aussi d’aimer vos personnages?»
Francis Ambrière Opéra 18 juin 1949
« C’est le droit d’un écrivain d’écrire contre les êtres qu’il crée tout ce qu’il veut, de les déshonorer s’il lui plait. L’entreprise est sans danger. Je ne vois pas qu’on ait là-dessus à évoquer la chevalerie errante... »
« Demain il fera Jour baigne dans une lumière blafarde des matins d’exécution (...)"Demain il fera Jour est malaisé à défendre.»
Gustave Joly L’Aurore 22mai 1949
« Je me souviens d’un entretien que nous eûmes, Montherlant et moi après la première représentation de « Demain il fera Jour ». Il me parla de cette lette P (initiale du mot Peur) qu’il voyait inscrite sur le front de maints spectateurs, de celui-ci de celui-là et encore de celui-là tandis qu’ils écoutaient les répliques de la pièce. Je fis remarquer à Montherlant que si les collaborateurs étaient gênés en voyant agir Georges, bien des résistants durent être gênés en écoutant Gillou, car la fraîcheur de ses illusions, comparée à ce que le temps les aurait fait devenir dut leur donner plus d’un sentiment mélancolique et amer des rêves perdus...On assure que la réplique de Gillou : « Et après cela les Français seront entre eux et ils referont la France » provoquait bien souvent des ’’mouvements divers ’’. Quel spectateur ne songeait en sortant que la mort préservait peut - être Gillou ,après quatre ans de Libération, de devenir ce qu’était devenu son père après quatre ans d’Occupation.»
Michel de Saint-Pierre Montherlant, Bourreau de lui même Éditions Gallimard novembre 1949
MALATESTA
Analyse
Le drame commence le jour où Sigismond Malatesta, seigneur de Rimini, apprend que le pape Paul II a des vues sur ses propres terres. Malatesta réagit avec violence et charge son homme de confiance, l’écrivain Porcellio de se rendre à Rome pour assassiner le Saint Père. Porcellio juge la mission bien périlleuse et persuade habilement Malatesta qu’une action aussi glorieuse ne saurait être accomplie que par le prince lui même. Malatesta se laisse convaincre et part pour le Vatican, un poignard caché sous son pourpoint. Averti des intentions de son visiteur le pape refuse de le recevoir en audience privée et le retient prisonnier. C’est Isotta, l’épouse aimante et fidèle de Malatesta qui viendra implorer sa grâce auprès de Paul II. De retour à Rimini, Malatesta se livre à nouveau à sa vie de plaisirs et de débauche en s’éprenant d’une adolescente de treize ans . Porcellio, ne supportant plus son état de subalterne face à ce maître méprisable, l’ empoisonne .
Critiques
« Je suis persuadé que si Malatesta avait été d’un autre que d’Henry de Montherlant, on lui aurait fait un tout autre accueil, tellement plus favorable, tellement plus équitable, mais c’est là le cas où la personnalité de l’auteur et le fait que « les gens » reprochent à l’homme de s’être conduit comme ci ou comme ça, cause à l’homme un tort considérable ».
Jean-Jacques Gautier Le Figaro
« Tragédie de l’aveuglement où chaque personnage vit avec un bandeau sur les yeux. Le contact ne s’est pas établi entre la scène et le public, Malatesta ne vivant pas. Il est impossible en toute honnêteté, et non par crainte des foudres de M. de Montherlant, d’affirmer que si le personnage ne s’est pas visiblement « animé » l’auteur seul en est responsable. Mais je sais que parfois c’est le public qui refuse la vie à un personnage et que Malatesta peut, un beau soir, se mettre à filer comme un voilier prend le vent. Ce Malatesta, héros de la pièce, il faudrait qu’on puisse le rejeter avec violence ou s’attacher à lui. Hélas ! on reste spectateur et son malheur « qu’il va chercher en dehors de son destin » par aveuglement, par absurde entêtement, n’émeut pas ». Montherlant définit sa pièce, son héros : « Malatesta ? Un type comme moi qu’on accuse de tout ».. Que les simples d’esprit se jettent sur cet ouvrage pour en ramener triomphalement les allusions à l’actualité, laissons-les faire.. ».
Max Favalelli Paris Presse 23 décembre 1950
« Une œuvre d’art est toujours une confession de son auteur, même lorsqu’il parle de la pluie et du beau temps. Que dire alors de l’œuvre de M.de Montherlant qui ne parle jamais que de lui même ? : « Si je ne me regardais pas vivre, pourquoi vivrais-je ? » dit son Malatesta (...) Le langage est beau au sens olympique du mot. Mais on s’en rend mieux compte à la lecture qu’à la scène. Peut être le texte est-il trop nourri pour la scène et le spectateur n’est guère capable de saisir cette série ininterrompue de balles qui lui arrivent dessus. D’autre part, un drame doit, coûte que coûte forcer l’attention du spectateur comme un enfant que l’on fait tenir tranquille pendant la photographier: « Regarde le petit oiseau qui va sortir! ». Or la pièce manque totalement de cette attente du petit oiseau ».
Elsa Triolet Les Lettres Françaises 28 décembre 1950
LA GUERRE CIVILE
Analyse
Depuis dix-huit mois, César a passé le Rubicond. Pompée, battu plusieurs fois, a fait retraite. Après avoir traversé l’Adriatique, il s’est fixé à Dyrrachium. César, après avoir occupé l’Italie, est venu rejoindre son adversaire. Il y a quatre mois que les deux camps sont face à face, sans engagement sérieux.

Collections A.R.T.
Critiques
« Après des jours et des jours de théâtre plat, ingrat, désertique, de théâtre prudent, respectueux, immobile, on prend un plaisir fou à écouter Henry de Montherlant. Je tiens au mot folie. La Guerre civile est une de ces pièces extravagantes et bavardes qu’on ne se lasse pas d’entendre. Et que l’on aime justement parce qu’elles sont extravagantes et bavardes, c’est-à-dire téméraire. Ce monde qui meurt, c’est celui dans lequel vivait Caton, dans lequel vit Montherlant. Caton savait que ce monde ne valait rien, Montherlant le sait aussi. Mais il sait également que le présent n’a rien à attendre de l’avenir, que tout est pourri, que tout est truqué, que seule la mort joue franc jeu. Ces vérités sont assénées dans une langue superbe, parfois redondante mais d’une attaque, d’une insolence, d’un éclat qui balaie toutes les réticences ».
Pierre Marcabru Paris-Presse 28 janvier 1965
« Quiconque a traduit le De viris illustribus urbis Romae, surtout s’il a pratiqué un peu Plutarque et Corneille sera sensible à cette pièce. Cela sent bon les souvenirs d’école et à partir d’un certain âge, cette odeur n’est pas déplaisante. Si, de surcroît, on a du goût pour le nihilisme sentencieux d’un vieil homme amer et morose et sans doute sincère pour la fascination morbide du néant et sa rumination funèbre, on sera comblé ».
Gilles Sandier Arts 3 février 1965
« Ce drame est celui de Montherlant. Et j’entends bien que depuis le temps que vous le lisez, vous commencez à savoir par cœur ce qu’il va vous dire sur les hommes, sur la bêtise de la jeunesse, que vous savez qu’il va s’attendrir sur lui-même, qu’il peut se suicider à tout moment, etc… De plus comme Montherlant parle par la bouche de deux personnages, Caton et Pompée – ils disent d’ailleurs à peu près la même chose – c’est vraiment à une confession-plaidoirie que vous avez droit . Et je pense que vous en êtes las… Mais Montherlant aussi est las de dire toujours les mêmes choses et c’est par cette lassitude qu’il émeut. Malgré le peu de vertus théâtrales de La Guerre Civile, le monologue final de Pompée est un grand moment de théâtre. H.de Montherlant s’y résume et s’y déchire. Le cabotinage est évident. Mais il ne se cache pas d’être cabotin et c’est très fort… »
Guy Dumur Le Nouvel Observateur 4 février 1962
Ecrivain, neveu de Montherlant.
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