Alors qu’on fêtait la 400ème représentation de La Cage aux Folles, son auteur eut la fierté de recevoir une proposition du Théâtre Français. La salle Richelieu devait impérativement être rénovée. L’administrateur, Pierre Dux, décida que, pendant les travaux, les représentations de la Comédie Française auraient lieu, désormais, au théâtre Marigny. P. Dux avait suivi la carrière de son ancien élève de l’école de la rue Blanche et s‘était réjoui de son exceptionnelle réussite. Il lui demanda de concevoir un spectacle en avant première des représentations, affichées désormais au Marigny.
L’Impromptu du Marigny fut le titre choisi par les membres du Comité.
Alors que, bien souvent, les directeurs de théâtres jugeaient les distributions de Jean Poiret trop fournies, cette fois ci , il lui fallait écrire un rôle pour chacun des membres de la troupe, environ soixante comédiens .Les grands pièces classiques servaient de base aux différents numéros du spectacle . On pouvait applaudir Rodrigue jouant de la guitare électrique, imaginer que Phèdre serait montée aux arènes de Lutèce, Cyrano de Bergerac au Théâtre de Poche et Le Misanthrope dans une gare désaffectée. Ce fut le sociétaire, Jacques Charron, qui se chargea de la mise en scène. Il participait lui-même au spectacle en temps que chanteur « pop ». Il était accompagné alors de deux autres sociétaires, Denise Gence ( 52 ans) et Françoise Seigner (46 ans), toutes deux portant cuissardes et jupettes.

L'Impromptu de Marigny
Jacques Charon et Michel Duchaussoy
in programme original de Joyeuses Pâques
(photo Angelini)
Collections A.R.T.
En dépit du succès remporté par ce spectacle, la critique se montra sévèrement choquée. Cela n’empêcha pas le nouveau Président de la République d’assister à l’une des représentations et, lorsque Alain Pralon imita François Mitterrand et que Michel Duchaussoy joua de l’accordéon, Giscard d’Estaing se leva pour applaudir, toute la salle l’imita.
À n’en pas douter, Jean Poiret était devenu plus que jamais l’idole du « Tout Paris » au point tel que, le soir de Noël, une émission radiophonique lui fut consacrée, sous le titre : Poiret est à vous.
Face à son exceptionnelle réussite, Jean Poiret était néanmoins inquiet. Ainsi se confia-t-il à un journaliste : « ... La feuille de papier dans la journée, la salle de 8OO places tous les soirs, c’est angoissant. On pense que ce métier se fait dans la légèreté, mais plus j’avance dans la vie, plus je pense que c’est une épreuve sportive (...) quand je rentre en scène, j’ai le même trac qu’au soir de la Première, car le public est toujours neuf, Imaginez qu’il ne rit pas où je l’attends...Tout à coup, la disgrâce... C’est toujours possible ! »
Ainsi qu’il le déclara, Jean était toujours un passionné de musique légère : « Depuis mes débuts sur une scène, j’ai conçu le théâtre comme un mélange de texte, de musique et de danse. C’est pourquoi j’adore le music-hall et la comédie musicale. Lorsque l’orchestre attaque, je suis heureux... ».
Tandis qu’il continuait à jouer tous les soirs dans La Cage aux folles, Jean Poiret se remit au travail l’après midi. Il s’attaqua à une nouvelle pièce, mélange de dialogues à la fois parlés et chantés. Il avait chargé le musicien Michel Emer d’écrire la partition. L’épouse de ce dernier, Jacqueline Maillan, dont J. Poiret appréciait le talent, l’exubérance, la joie de vivre, la drôlerie, était engagée pour interpréter le rôle principal de Féfé de Broadway - c’était ainsi que J. Poiret avait intitulé sa nouvelle comédie.

Féfé de Broadway
Jacqueline Maillan et Michel Roux
(photo DR)
Le sujet de la pièce était relativement simple, il s’agissait d’une célèbre comédienne, directrice de théâtre, qui décidait de présenter sur scène une parodie de Phèdre, traduite en comédie musicale.
Le montage fut difficile. Le metteur en scène, Pierre Mondy, se trouvait face à une œuvre à grand spectacle comprenant dix décors, neuf comédiens et une quinzaine de figurants tous habillés de somptueux costumes. L’auteur Poiret était anxieux et le directeur du théâtre s’inquiétait pour son argent. Après mille et mille corrections dans le texte, de coupures et de changements dans la mise en scène, vint le jour de la première représentation attendu avec angoisse !
Pourquoi tant de crainte ? Féfé de Broadway fut un succès exceptionnel.
Lors des représentations, le public ne cessait de rire et, au baisser du rideau, les saluts des acteurs étaient accueillis par une salve d’applaudissements qui n’en finissait pas. Le théâtre des Variétés afficha le spectacle pendant plus d’une année.
L’auteur pouvait se réjouir : ses deux spectacles : La Cage aux folles et Féfé de Broadway triomphaient ensemble à Paris.
Mais Jean était épuisé physiquement et nerveusement. Il se demandait combien de temps encore il lui serait possible de poursuivre son rôle dans La Cage aux folles. Il demanda alors à Henry Garcin de lui succéder sur la scène du théâtre du Palais Royal.
Victime d’une grave dépression, Jean dut obéir aux ordres de son docteur et prendre, pour quelque temps, un repos complet. Alors qu’il avait en tête le projet d’une nouvelle comédie , il dut remettre l’écriture à plus tard.
Depuis plusieurs années, en réalité depuis 1973, Jean souhaitait écrire une oeuvre traitant de l’adultère non consommée. En 1979, Jean-Michel Rouzière, dont Jean Poiret était l’auteur préféré, lui commanda une pièce qui remplacerait au théâtre du Palais Royal La Cage aux folles affichée dorénavant au théâtre des Variétés. Jean était ravi. Le temps de Joyeuses Pâques avait enfin sonné.
Joyeuses Pâques
Jean Poiret et Maria Pacôme
in L'Avant Scène n°720
(photo DR)
Collections A.R.T.
Il y avait tellement pensé qu’il ne lui restait plus qu’à assembler son patchwork d’idées quelque peu autobiographiques : « C’est, disait-il, un aimable quinquagénaire qui veut savoir si son charme agit toujours sur les couches fraîches et féminines de la population ». Le sujet tournait naturellement autour de l’infidélité, thème quelque peu éculé, mais qui, sous la plume de Jean Poiret, retrouvait toute sa vitalité festive. D’imbroglio en imbroglio, de mensonges en mensonges, de malentendus en malentendus, le mari, la femme et la maîtresse en perspective s’enfonçaient l’un après l’autre dans des situations inextricables. Caroline Cellier, 35 ans, n’avait plus l’âge de la jeune amoureuse et pas encore celui de l’épouse. On engagea donc Nicole Calfan et Maria Pacôme. Cette dernière déclara, en parlant de Jean Poiret quelque temps plus tard, : « En scène ce n’était pas facile de jouer avec lui. C’était une excellente école. Parce quand on est doué comme l’était Poiret, quand on est adoré comme il l’était du public, il fallait exister à côté de lui »... La pièce, mise en scène, une fois encore, par Pierre Mondy, fut créée le18 janvier 1980.
Elle eut un tel succès qu’après avoir été jouée plus d’une année au théâtre du Palais Royal, elle fut reprise, après le décès de son auteur, en 2000, au théâtre des Variétés et en 2014, au théâtre du Palais Royal. De plus, une version cinématographique, fut tournée par Georges Lautner avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle principal.
Sylvie, la fille de Jean et son assistante, portait sur son père un jugement quelque peu différent de celui des comédiens : « Dans l’intimité, il n’était pas aussi drôle que confronté à un public. Il donnait sa pleine mesure quand il était avec ses copains. Là, c’était l’homme le plus drôle que j’ai connu . (...) Brillantissime, mais pas dans l’intimité. Comme il était bon comédien, il arrivait à donner le change dès qu’il avait un public, que ce soit à la ville ou sur scène ou à l’écran. Dans la sphère privée, il se maîtrisait nettement moins. L’ironie est toujours présente mais, parfois, elle n’était que le reflet de son tempérament ultra-angoissé. En certaines circonstances il pouvait se montrer volcanique... ».
Alors que se poursuivaient les représentations de Joyeuses Pâques, Jean Poiret fut contacté par François Truffaut. Ce dernier s’apprêtait à tourner : Le Dernier métro, film concernant le théâtre pendant l’Occupation. Il proposa à Jean d’interpréter le personnage, double de Sacha Guitry. Bien que pris le soir au théâtre du Palais Royal et ayant promis à son docteur de ne se consacrer qu’à une chose par jour, il lui fut impossible de ne pas accepter. Il n’avait pas oublié qu’en 1957, alors qu’ils n’étaient qu’au début de leur carrière, le « maître » les avait engagés, lui et Michel Serrault, dans son film Assassins et Voleurs. D’autre part, jeune adolescent, il avait connu le temps de l’Occupation et se rappelait fort bien l’arrestation ignoble de Sacha Guitry au lendemain de l’Armistice.

Le Dernier métro
Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Jean Poiret et Andréa Ferréol
(photo DR)
Le 17 septembre, la sortie du Dernier Metro fut reçue triomphalement et Jean Poiret prit sa part des félicitations.
Revers de la médaille, parfois, le soir, au théâtre, après avoir tourné toute la journée, Jean souffrait de crises de tachycardie, on appelait alors de toute urgence S.O.S médecin afin qu’il puisse subir rapidement un électrocardiogramme.
En 1985, le metteur en scène, Bernard Murat, souhaitait monter un vaudeville de Georges Feydeau : Tailleur pour dames. La pièce ne durait qu’une heure et nécessitait d’être étoffée. Murat pensa que Jean Poiret serait l’auteur idéal pour donner à la pièce le poids qui lui manquait. Jean se passionna pour ce travail. Tout en s’efforçant de ne pas « faire du Poiret », mais du « à la manière de » il refit quelques scènes en ajouta d’autres, modernisa les dialogues, et allongea ainsi la comédie de trois quart d’heure.

Collections A.R.T.
Les fanatiques de Feydeau crièrent à l’imposture, Bernard Murat était fort déçu. On évita de citer le nom de J. Poiret sur les affiches. Mais miracle ! au soir de la première représentation, ce fut un brillant succès et le spectacle dura plus d’un an.
Alain Pralon et Michel Duchaussoy, sociétaires de la Comédie Française
Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015
cf Quelques pièces
Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015
Philippe Durant Jean Poiret éditions First document 2015