Association de lalogoRégie Théâtrale  
4

Les difficultés d’un auteur pendant l’Occupation

Du petit théâtre Michel, Puget passe aux Ambassadeurs, théâtre plus important et plus coté, avec  Échec à Don Juan  qui est joué 275 fois, et qui rencontre un véritable succès, avec Alice Cocéa et André Luguet. Une jeune femme impétueuse et désabusée, rétive à l’amour, rencontre Don Juan et décide de le duper. Elle se déguise en homme et parvient à piquer la curiosité du célèbre bourreau des cœurs. Elle arrive, par ruse, à le placer dans une situation ridicule, mais Don Juan lui rend, la même nuit, la pareille, lui faisant croire que le palais est en feu, que la mort les attend, et qu’ils n’ont plus qu’à s’aimer à la folie. Alors elle remet ses habits d’homme et ils se battent en duel. Elle le tue. Avant de mourir, Don Juan lui avouera son amour.

Le montage de la pièce connaît quelques sérieuses difficultés. Nous sommes en effet en pleine Occupation. Alice Cocéa, directrice des Ambassadeurs, doit monter une pièce d’Henri Jeanson  Les Mondes Interdits  lorsqu’elle apprend que l’auteur vient d’être arrêté et interné à Fresnes. Il n’est plus question de monter sa pièce. C’est alors qu’elle reçoit une carte de Claude-André Puget qui lui écrit: « J’ai une pièce pour toi et Luguet, et contrairement à ce que l’on dit à Paris, je suis un pur aryen ». Cocéa fait venir Puget à Cavalière où elle se repose. Il lui lit la pièce. Elle est emballée et pose la question à l’auteur: « Es-tu vraiment un pur aryen ? ». Les réponses de l’intéressé deviennent très vagues et embarrassées. Il est formel en ce qui concerne son père, mais évasif quant à sa mère: « C’est un drame de famille. On n’a jamais su ». Il garde le silence et part en disant: « Je m’arrangerai. J’arriverai à Paris avec des papiers en règle ». 1

La Propagandastaffel donne en effet son accord, mais alors que les répétitions battent leur plein, Puget arrive au théâtre pâle et défait: « On ne passera pas. J’ai été dénoncé. Par des français naturellement ». Alice Cocéa, à la veille de présenter la pièce, effectue de nombreuses démarches, Madame Abetz, femme de l’Ambassadeur d’Allemagne, le Docteur Blacke, militaire responsable des questions juives. À force d’insistance, elle finit par obtenir l’autorisation de jouer la pièce. Mais le mystère demeurera toujours quant aux origines maternelles de l’auteur.

Le 20 décembre 1943, c’est la création du  Grand Poucet. Si l’auteur avait sous-titré :  Le Petit Ange,  comédie féerique, cette fois-ci on entre de plain-pied dans la féerie pure. L’action se situe au XVIème siècle. Le Petit Poucet a grandi et est devenu le Grand Poucet, seigneur considéré en raison de ses bottes de sept lieues. Mais les bottes sont usées et pour conserver son prestige, Poucet décide d’affronter à nouveau l’Ogre afin de lui en prendre une autre paire. Pour ce faire, il joue aux dés avec l’Ogre, et après avoir déjà perdu sa vie et sa jeunesse, il met en jeu sa fiancée, grande dame de la Cour, que l’Ogre fait venir et qu’il séduit. Poucet sera sauvé par une amie d’enfance. C’est l’œuvre dans laquelle Claude-André Puget a introduit avec le plus de bonheur la poésie qui l’habite toujours et qui aboutit à ce théâtre plein de charme et de fantaisie. La pièce devait, en un premier temps, être montée et jouée aux Ambassadeurs par Alice Cocéa. Puget voulait Eric Von Stroheim dans le rôle de l’Ogre. Cocéa se tourne alors vers Michel Simon qui déclare : « Moi, c’est le Poucet que je voudrais jouer ! ». Le projet est abandonné et la pièce sera montée au Théâtre Montparnasse. C’est un grand succès qui atteint 300 représentations, mais qui coïncide malheureusement avec une maladie qui oblige l’auteur à un silence d’une année.

1 Alice Cocéa « Mes amours que j’ai tant aimées » Flammarion

 

Haut de page

retour suite
Table des matières

la mémoire du théâtre