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La Jeunesse qui s’estompe

Il ne faudrait pas croire que Françoise Sagan, éblouie par ses succès au théâtre et en librairie, soit devenue une travailleuse acharnée, un de ces écrivains qui se lèvent tous les jours à cinq heures et tapent à la machine quinze heures par jour . Elle poursuivait encore « la période de la fête continuelle qui a été longue, très longue » . 1 Mais le cœur y était moins .

Certes, elle aimait être présente pour son jeune fils, jouer avec lui, lui faire découvrir la vie, néanmoins, il eut, pour s’occuper régulièrement de lui, plusieurs « nounous » : «  Ma mère tenait à ce que j’aie une vie normale avec des repères, une chambre, des jouets, des repas à heures fixes ; elle considérait que c’était très important pour un petit garçon de mon âge » . 2

Après un voyage de trois semaines au Népal avec son frère Jacques, Françoise décida d’ abandonner l’alcool et de ne plus boire que du Coca-Cola . « L’alcool, disait-elle, c’est une sorte de cocon que l’on met entre la vie et soi » . 3 Tiendra-t-elle sa promesse ? … Non, pas vraiment  !

1970, Françoise fêtait ses trente-cinq ans . Elle venait de terminer son huitième roman inspiré une fois encore d’un poème de Paul Eluard : Ma douleur – Un peu de soleil dans l’eau froide .

Elle se sentit de nouveau attirée vers le théâtre  :  « Ma nouvelle pièce est une œuvre d’imagination, mais il est évident qu’il y quelque chose de nostalgique . Je pense à mes vingt ans . Peut-être inconsciemment ai-je besoin de penser à mon autrefois ? » 4

Après avoir choisi pour titre Les Pique-niques du passé, Françoise préféra L'Herbe tendre mais elle dut y renoncer parce que Marcel Achard avait eu cette idée là avant elle . La troisième appellation Un piano dans l’herbe fut la bonne . Maud, une riche quinquagénaire, éprouvant le désir de retrouver les amis de ses vingt ans, les invita tous à passer l’été dans sa propriété de Touraine . Mais comme le déclara l’un d’eux : « La jeunesse c’est aussi dangereux à réveiller qu’un tigre » . Les retrouvailles furent décevantes et l’heure de la vérité douloureuse .

Un piano dans l'herbe de Françoise Sagan
Collections A.R.T.

Françoise avait écrit cette pièce douce et amère en pensant une nouvelle fois confier le rôle principal à Marie Bell . Celle-ci se récusa. Sans doute, la mélancolie n’était-elle pas dans son registre  de comédienne . Françoise Christophe hérita du rôle . Elle y fut remarquable et remarquée .

Françoise Christophe dans Un piano dans l'herbe de Françoise Sagan
Françoise Christophe
Programme original d' Un piano dans l'herbe

Collections A.R.T.

Après que le metteur en scène Raymond Gérôme se soit récusé, ce fut André Barsacq , toujours directeur de l’Atelier, qui monta la pièce dans son théâtre

La première représentation eut lieu le 12 septembre 1970 . Elle fut moyennement accueillie . Le sujet ne semblait pas très original , néanmoins Jacques Lemarchand reconnut que c’était là « un rendez-vous réussi » . 5

Jugement insuffisant pour déclencher un véritable succès .

En juin 1971, André Barsacq, se trouvant à cours de spectacle pour l’inauguration de sa prochaine saison, s’adressa une fois encore à Françoise Sagan . Disposant d’un temps trop court pour écrune nouvelle pièce, elle proposa alors l’adaptation d’un ouvrage de Tennessee Williams : Sweet birds of youth - en français : Doux oiseaux de jeunesse – qui avait été crée en Floride, repris avec succès à New York en 1959 et dont Richard Brooks avait tourné un film avec Paul Newman et Geraldine Page . Il s’agissait de la rencontre d’une comédienne, ancienne vedette du cinéma muet, et d’un gigolo à la recherche de la jeune fille qu’il avait déflorée autrefois et qu’il aimait encore . Ce projet intéressa vivement André Barsacq . Françoise se prit au jeu : « Je commençais en mai-juin, avec quelqu’un qui parlait couramment l’anglais pour m’assister, et je travaillais comme je n’ai jamais plus travaillé de ma vie, c’est à dire sans arrêt, m’acharnant après chaque mot, m’exaspérant, couverte de honte ou de plaisir, passant les étapes qui me permettaient d’entrer un peu dans la poésie de Tennessee d’un texte dur et beau, très dur et très beau » . 6

Tennessee Williams vint à Paris, assister à la première de sa pièce . Françoise garda un fort bon souvenir de cette soirée : « Le public applaudit vigoureusement . On introduit Tennessee, qui ne le voulait pas, sur la scène, il applaudit beaucoup lui-même, ce qui fit rire tout le monde, redoubler les applaudissements » . 7

La pièce connut une jolie carrière de cent dix représentations .

1 Françoise Sagan, ma mère Denis Westhoff édition Flammarion 2012
2 Françoise Sagan, ma mère Denis Westhoff édition Flammarion 2012
3 France-Soir 19 août 1969
4 Paris-Jour 19 novembre 1970
5 Le Figaro Littéraire Jacques Lemarchand 21 septembre 1970
6 Avec mon meilleur souvenir Françoise Sagan éditions Gallimard 1984
7 Avec mon meilleur souvenir Françoise Sagan éditions Gallimard 1984

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