
Michel Vitold dans Nekrassov
(photo Georges Henri)
f onds Simone Berriau
Collections A.R.T.
Après son incursion dans le drame romantique, Jean-Paul Sartre se hâte de revenir à l’actualité et de se colleter pour la première fois à la comédie satirique. Le 6 juin 1955, le Théâtre Antoine affiche : Nekrassov. Il s’agit de s’attaquer à la presse, à la presse de droite plus précisément. Cette fois encore l’ambiance des répétitions, au Théâtre Antoine, fut houleuse. Louis de Funès, puis René Léfevre rendirent l’un après l’autre le rôle de Palotin, directeur du journal, Le Soir à Paris; Pierre Asso, qui devait interpréter Siblot, le rédacteur en chef, se désista à son tour. Jean Meyer metteur en scène du spectacle eut toutes les difficultés du monde pour obliger Sartre à effectuer des coupures indispensables et à ré-écrire les deux derniers tableaux.

Nekrassov
Jean Meyer, Simone Berriau et Jean-Paul Sartre
(photo DR)
f onds Simone Berriau
Collection A.R.T.
La première représentation fixée au 17 mai, fut retardée au 30 mai puis au 8 juin 1955. Au soir de la Générale, les critiques de droite et le beau monde qui composaient la salle étaient furieux. Les uns crurent reconnaître dans le rôle principal, Pierre Lazareff, directeur de France-Soir , les autres en tinrent pour Pierre Brisson, directeur du Figaro. Sartre ne cessait de le répéter : « Nekrassov n’est pas une pièce à clef…Ce n’est pas vrai…». Mais le mal était fait. Certes les journalistes de gauche se frottaient les mains. Malheureusement leurs lecteurs ne remplissaient pas les salles : « Nekrassov s’en prenait aux gens qui assurent les bonnes recettes ; ceux qui vinrent s’amusèrent mais se firent une loi de dire à leurs amis qu’ils s’étaient ennuyés. La bourgeoisie digère, sous prétexte de culture, bien des avanies, cette arête-là lui restait dans la gorge. Nekrassov n’eut que soixante représentations ».

Collection A.R.T.
Après avoir abandonné deux projets, l’un, Le Pari, concernant sa conception de la liberté, l’autre, La Part du Feu, un réquisitoire contre le maccarthysme, au printemps 1958 Sartre mit en chantier une nouvelle pièce, intitulée : Les Séquestrés d’Altona. La tâche se montra très difficile. À quelques semaines de la première représentation, il déclara lors d’une interview d’avant-première : « J’ai mis un an et demi à l’écrire… Je l’ai terminée, il y a trois semaines, au mois d’août, pendant l’interruption des répétitions. Il reste encore dix lignes à écrire. Les dernières. Ce fut beaucoup plus difficile que pour Huis Clos ».

Collection A.R.T.
La pièce avait été primitivement programmée pour octobre 1958. Mais Sartre, surmené par l’écriture de son ouvrage Critique de la raison dialectique et foncièrement bouleversé par les tensions politiques de cette année cruciale qui vit l’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir, tomba malade, frôla l’attaque cérébrale et dut prendre un repos immédiat. La création du spectacle fut donc reporté d’une année et montée non plus au Théâtre Antoine mais au Théâtre de la Renaissance. Tragédie des temps présents, la pièce a pour thème l’usage de la torture. Alors que la guerre d’Algérie bat son plein, il est reconnu que des officiers français à l’instar des SS n’hésitent pas à employer la violence contre leurs prisonniers. L’action se situe en Allemagne treize ans après la fin de la guerre. ( cf Analyses et critiques)
Lors d’une interview, il lui est demandé pourquoi n’avoir pas traité directement les déplorables rapports franco-algériens, Jean-Paul Sartre s’explique : « Je tenais à avoir une large audience et cela aurait été impossible si j’avais abordé de front le problème de la violence tel qu’il se présente aujourd’hui dans la société française…Mais ce n’est pas la seule raison. Quoique nous ne soyons pas des Allemands, quoique nos problèmes diffèrent de ceux qui étaient les leurs au moment du nazisme, il y a entre les Allemands et nous des liens très particuliers. Nous nous sommes trouvés vis-à-vis d’eux exactement dans la situation où se trouvent les Algériens vis-à-vis de nous aujourd’hui. Je voudrais que la première réaction des spectateurs soit de condamner ces gens qui lui sont montrés, les mêmes que ceux qui ont opéré rue des Saussaies ».

Dessin de Sennep
La pièce fut diversement accueillie, passionnante et sublime pour les uns, affligeante ou trop longue pour d’autres. Elle connut néanmoins un grand succès auprès du public qui se pressa nombreux au guichet du théâtre. Après une année sur la scène de la Renaissance, la pièce fut reprise à l’Athénée où l’on fêta la 250ème représentation.
La dernière pièce de Sartre n’est pas de Sartre, il s’agit d’une adaptation des Troyennes, dernier volet de la trilogie d’Euripide.

Les Troyennes au T.N.P.
1965, Georges Wilson a succédé à Jean Vilar à la tête du T.N.P. Au début de l’année, Sartre lui remet son manuscrit et la tragédie sera représentée au T.N.P. à partir du 1er mars. Pour rendre le côté oratorio de l’œuvre, Sartre a renoncé au dialogue habituel pour adopter le verset.
Pourquoi avoir choisi pour thème les derniers instants de femmes veuves et d’esclaves qui attendent la mort de leur cité ? Sartre s’explique : « Il est une condamnation de la guerre en général et des expéditions coloniales en particuliers. La guerre, nous savons aujourd’hui ce que cela signifie : une guerre atomique ne laissera ni vainqueurs ni vaincus. C’est ce que la pièce démontre : les Grecs ont détruit Troie, mais ils n’en tireront aucun bénéfice puisque la vengeance des dieux les fera périr tous. Quant aux guerres coloniales, c’est le seul point sur lequel je me suis permis d’accentuer un peu le texte. Je parle de l’Europe, c’est une idée moderne mais elle répond à l’opposition antique entre Grecs et Barbares… Et si l’expression de sale guerre prend pour nous un sens très précis, reportez-vous au texte grec, vous verrez qu’elle s’y trouve, ou à peu près ».
La critique fut dans son ensemble assez élogieuse. Certains journalistes de droite comme Jean-Jacques Gautier du Figaro, évitant de parler du contexte, s’extasièrent sur la mise en scène et jeu des comédiens, d’autres comme Robert Kanters dans L’Express consacrèrent une partie de leur article à analyser le témoignage politique que Sartre avait voulu donner à son ouvrage. Après donc avoir commencer sa carrière d’auteur dramatique par l’adaptation d’une tragédie grecque, Les Mouches, Jean-Paul Sartre la termina par une seconde. Le cercle est bouclé, si l’on excepte la reprise de l’adaptation scénique de L’Engrenage au Théâtre de la Ville en février 1969.
Libération 7 juin 1955
La Force des Choses Simone de Beauvoir Éditions Gallimard
L’Express 10 septembre 1959
Siège à Paris de la Gestapo pendant l’Occupation
Théâtre Populaire N° 16 , 4ème trimestre 1959
Bref journal mensuel du T.N.P. février 1965