Pour en revenir à Piège pour un homme seul, la réception de la pièce et sa distribution relèvent
de l'aventure la plus folle que pourrait rêver un auteur dramatique. Robert Thomas dépose la brochure
aux Bouffes-Parisiens à l'attention de Jacques Charon, directeur artistique du théâtre. Ce dernier,
qui prenait connaissance de tous les manuscrits qui lui étaient adressés, lit la comédie et décide de la
monter sans attendre, le théâtre étant libre de tout engagement et à la recherche d'un spectacle. Il demande
à Thomas quelle serait, selon lui, la distribution idéale. C'est en effet ainsi qu'on procède. On met en
face de chaque personnage le nom de l'acteur idéal et on recherche ensuite celui ou celle qui se rapproche
le plus du comédien souhaité. C'est alors que la chance continue de sourire à Thomas, cette chance qui
ne le quittera plus jamais. Il suggère : Christian Alers, Gaby Sylvia, Palau, Jacques Morel,
Marcel Cuvelier et Françoise Fleury et… Miracle, tout ce joli monde est libre. Le succès est à
ce point foudroyant que la pièce est vendue en quatre semaines dans à peu près toutes les
capitales européennes, et traduite en quinze langues.
Un impresario américain achète les droits
pour Broadway où Greer Garson doit reprendre le rôle créé par Gaby Sylvia, tandis qu'un
représentant de la Fox acquiert les droits cinématographiques pour vingt millions de francs
(somme astronomique à l'époque) en vue du film que doit en tirer Alfred Hitchcock, mais qui ne
sera jamais tourné, en raison du décès du metteur en scène. Dès lors, les projets affluent et les réalisations aussi. Robert Thomas signe les dialogues d'un film que Franju doit tourner d'après un
roman de Boileau-Narcejac, puis écrit Snack-bar, avec Claude Boissol et Jacques Robert.

Collection A.R.T.
Après Piège, Thomas réussit un beau doublé avec Huit Femmes, pièce dont la distribution, comme le titre l'indique, ne comporte que des femmes. C'est à nouveau un très authentique succès, créé au
théâtre Edouard VII le 28 août 1961. La pièce est mise en scène par Jean Le Poulain, décor de
Roger Harth, son de Fred Kiriloff, robes de Jo Poulard, ce qui a permis au Canard Enchaîné
de titrer sa critique : « Huit Femmes… elles sont treize », aucun de ses collaborateurs, l'auteur compris, n'étant porté sur le beau sexe. Robert Thomas était en effet homosexuel, et partageait sa vie avec
Jo Poulard qu'il avait rencontré lors de son service militaire. Ils ne se quitteront plus, et formeront
un couple d'une parfaite fidélité, jusqu'à la disparition de l’un d’eux.
Ils évoquaient très drôlement leur mariage à Saint-Honoré d'Eylau. Ils étaient entrés dans l'église
à l'occasion d'une cérémonie nuptiale, et étaient restés dans le fond, participant de loin à tous les rites
qu'ils imitaient scrupuleusement, y compris la remise des alliances et les bénédictions. Huit Femmes avait été auparavant créée à Enghien, sélectionnée au concours du Festival
d'Art Dramatique. Mais l'épreuve de la scène a permis à l'auteur de refondre considérablement sa
pièce avant de la présenter à Paris. Elle remportera le prix du Quai des Orfèvres 1961-62 .
Le metteur
en scène François Ozon, en 2002, en tirera un film dans lequel chaque comédienne interprétera
une chanson. Il spécifiera : « de la pièce, je n'ai retenu que la situation et l'intrigue policière que
j'ai simplifiée » . On pourrait lui rétorquer que cette situation et cette intrigue qu'il semble traiter
avec désinvolture constituent l'essentiel de la pièce de Robert Thomas.
Les comédies vont alors se suivre à un bon rythme. On en contera quatorze, qui connaîtront des
fortunes diverses. Le Deuxième coup de feu (d'après un roman de Ladislas Fédor) avec Pierre Dux, Huguette Hue et Lucien Baroux, connaît un nouveau succès et une bonne presse, mais sans
commune mesure avec les deux pièces précédentes. La critique parlera néanmoins d'aventure shakespearienne et reconnaîtra la maîtrise et l'habileté de l'auteur dans la construction d'intrigue policière.

Assassins associés, décor de Jacques Noël
Maquette de la collection particulière de Jacques Noël
Assassins Associés qui succède au Deuxième coup de feu marque un tournant dans l'œuvre
de l'auteur, car il s'agit d'un vaudeville policier, presque plus vaudeville que policier. C'est la création
d'un club d'assassins. Un baron souhaite voir disparaître sa femme, un journaliste désire en faire autant, et
un cafetier souhaite la mort de sa sœur. Le but de l'association sera que chaque assassinat soit sans motif, chacun tuant la tortionnaire d'un autre. Il n'y a ni mystère ni recherche de coupable. Les péripéties
se dérouleront sous les yeux du public, et la pièce se terminera par une véritable hécatombe. Un
grand succès.

Collection A.R.T.
En 1966, Thomas, qui n'est jamais à court d'idées, a celle de réunir à la scène le couple célèbre
de l'émission radiophonique Sur le banc, Jane Sourza et Raymond Souplex. L'action se situe
dans une étude notariale. La standardiste, bavarde comme il n'est pas permis (La perruche) découvre
son patron poignardé. Le temps que la police arrive sur les lieux, le cadavre a disparu. L'inspecteur de
police (le poulet) doute du crime, mais s'apercevra que la perruche avait raison. Ensemble, ils arrêteront
le coupable. La Perruche et le poulet connaîtra, cette fois encore, un joli succès, grâce en partie aux deux protagonistes aimés du public et pour lesquels les rôles étaient taillés sur mesure.

Collection A.R.T.