En
1949, Jean abandonna son emploi de dessinateur-journaliste
pour se consacrer à l’art dramatique. S’inspirant d’Antonin
Arthaud, il fit sienne la conviction de ce dernier : « Sans un
élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est
pas possible » et écrivit sa première pièce : Capitaine
Bada. Une fois terminée, il lut son texte au Centre
régional d’Art dramatique de Bordeaux. Ses interlocuteurs le
jugèrent injouable. Tant qu’à faire il fallait alors risquer un
grand coup et c’est ainsi que Vauthier adressa son manuscrit à
Gérard Philipe et à André Reybaz, jeune animateur qui venait
tout juste de créer une troupe de comédiens, La
compagnie des Myrmidons : « Cette pièce, leur
écrivit-il, je l’ai portée sans doute à mon insu très longtemps
en moi; elle traite du drame de l’artiste, des affrontements
avec les femmes, des notions de pardon, de générosité, de
rancune (…) Mais il serait dangereux de la réduire aux
difficultés de la création artistique. Ce serait la limiter.
Bada, en réalité, c’est l’homme empêché, l’homme non pas détruit
mais sur le point de l’être, que sa propension au jeu, à
l’enfantillage maintient dans un état d’enfance prolongée. Il
n’est jamais adulte, car il n’est pas d’artiste qui soit
adulte ».
Gérard Philipe fut tout
d’abord très intéressé par ces trois actes, inspirés, lui
semblait-il, du Théâtre de la cruauté d’Antonin
Artaud. Mais quelque fut son désir de présenter Capitaine
Bada sur la scène du T.N.P., il était tributaire du
programme déjà établi pour l’année 1952, il fallait donc que la
pièce de Vauthier attende son tour pour être mise en scène et
l’auteur n’était pas patient. Ce fut donc à André Reybaz que
revint le plaisir de présenter Capitaine Bada.
Autre problème : Reybaz
n’avait pas la trésorerie nécessaire pour monter sur une scène
parisienne un spectacle, dans l’immédiat Afin de s’attacher Jean
Vauthier, Reybaz, auquel Guy Mollet, député du Pas-de-Calais,
venait de confier le premier Festival d’Arras, lui commanda, à
cette occasion une courte pièce. Ce fut L’Impromptu d’Arras
inspiré d’une farce du Moyen-âge, en référence au Jeu
de la Feuillée et au Jeu d’Adam, œuvres du
trouvère Adam de la Halle. Le succès du Festival permit à Reybaz
d’envisager la présentation de Capitaine Bada. Après
avoir obtenu la subvention de « l’Aide à la première pièce »,
la direction du Théâtre de Poche accueillit le spectacle dont la
première représentation eut lieu le 12 janvier 1952. Le « jeune
» auteur venait de fêter ses quarante-deux ans. C’était un homme
puissant, de haute stature, à la vaste bedaine, au large visage,
à la forte voix. Grand mangeur, grand buveur, sillonnant Paris à
moto, cette force de la nature n’était que contradiction, en
proie à la souffrance à la moindre occasion. Quoique habité par
un profond christianisme, il était possédé par le doute,
l’angoisse et la démesure. Son théâtre, sorte d’exutoire,
s’inspirait de ses états d’âme douloureux et inquiets. Ce
théâtre, ne s’incérait dans aucune classification. Aucune
ressemblance avec le théâtre d’Avant Garde, alors que l’auteur
était de même génération que Beckett, Adamov ou Ionesco. On
pouvait, à la rigueur, le qualifier de théâtre baroque,
frénétique et abstrait. Mais rien qui ne le fit ressembler à
aucun autre. En fait le Capitaine Bada se résumait
en un monologue de trois actes, à la fois cauchemardesque et
tragique.
Le thème était simple, il
s’agissait de la mésentente d’un couple, Bada contre Alice. Les
dialogues étaient empêtrés dans des cris, des trépignements, des
violences, dans une recherche de littérature
indomptée. Pour que le spectacle ait une fin, apparaissait un
employé des pompes funèbres qui apprenait à Bada qu’il était
mort. La présentation par l’auteur n’ était guère plus claire
que l’ensemble de la pièce : « L’œuvre vise à une poésie
dramatique qu’il ne faut pas chercher dans les réactions des
personnages devant l’événement mais au contraire dans la sécrétion
et l’événement par les états d’âme des personnages… L’événement
tourne en rond et dicte des figures rythmées que des ruptures
d’intentions , de langage ou de ton font cesser ou reprendre.
Les gestes… tendent vers le ballet ».

Capitaine Bada
Liliane Maigné et André Reybaz
in Théâtre de France
(photo DR)
Collection A.R.T.
La critique fut partagée.
Ainsi M. Gandray-Rety écrivit-il dans Ce Soir : « À
la Commission de l’Aide à la Première Pièce qui choisit cet
ouvrage là pour une subvention, à la Direction des Arts et
Lettres qui donne à ça son agrément… et l’argent du
contribuable, on est en droit de demander. « N’avez-vous pas
honte de pratiquer ainsi l’abus de confiance ».
Face à cette presse
détestable, la salle du Théâtre de Poche de quatre-vingt places
resta pratiquement vide en dépit du long article fort élogieux
d’André Roussin, l’auteur à la mode, le plus joué, sur les
scènes parisiennes, d’alors : « Cette pièce n’est peut-être pas
une pièce comme on l’entend généralement, c’est un cri
pathétique et déchirant, c’est la tragédie d’un couple chez qui
a pénétré le démon de la crainte. L’auteur n’a voulu pousser ce
cri qu’avec le secours de mille grimaces cocasses et
irrésistibles, mais ce cri nous ne pouvons pas ne pas
l’entendre, ni sentir son authenticité » et de Jean Genet qui
prétendait qu’il n’y avait guère qu’UNE pièce dans le théâtre
contemporain : Capitaine Bada
Cf Quelques pièces
Opéra 6 février 1952