Gérard
Philipe ne pouvait pas avoir oublié son émotion à la lecture du
manuscrit de Capitaine Bada aussi s’empressa-t-il de
monter la deuxième comédie de Vauthier sur la scène du T.N.P. en
décembre 1952. Ce fut La Nouvelle Mandragore, inspirée
de Machiavel.
L’action se passait à
Florence. Après un long séjour à Paris, Callimaque revenait dans
sa ville natale avec l’intention de séduire Lucrèce, épouse du
richissime Nicia. Ce dernier se désespérait de pas avoir eu
d ‘enfant après plusieurs années de mariage. Liguro, complice
rusé de Callimaque, fit passer ce dernier pour un célèbre
médecin, capable de rendre féconde toutes les femmes en leur
administrant une potion à base de mandragore, dont il avait le
secret. Mais, il y avait un revers à la médaille, selon Liguro,
le premier homme, qui ferait l’amour avec Lucrèce, après qu’elle
ait absorbé de ce breuvage, mourrait sous huitaine. Crédule et
craintif, Nicia n’adhéra pas au projet, ce qui, naturellement,
fit l’affaire de Callimaque…

La Nouvelle Mandragore
Daniel Sorano
dessin de Jan Mara
in Théâtre de France
Collection A.R.T.
La pièce ne fut pas un
triomphe. Toutefois l’affiche était plus qu’alléchante : Gérard
Philipe et Jeanne Moreau tenaient les premiers rôles et la
grande salle du Palais de Chaillot fut complète presque tous les
soirs.
Ce fut alors que Jean Vauthier
perdit sa mère. Il restait seul avec son frère. Pour ne pas
l’abandonner, il continua à habiter à Bordeaux.
Après André Reybaz et Gérard
Philippe, en 1954, à son tour, Jean-Louis Barrault fut séduit
par le nouveau manuscrit que venait de terminer Jean Vauthier :
Fortissimo qui sera jouée sous le titre du : Le
Personnage combattant Metteur en scène, interprète,
Jean Louis Barrault appréciait beaucoup cette pièce : « Le
Personnage combattant est une vraie pièce, car il y a
mise à mort. Les Picadors sont cette armoire, cette
table-rognon, ces sifflets de train, cette machine à écrire, ce
vieux professeur lubrique dans la chambre d’à côté, qui lutine
idiotement une putain, ce fauteuil surtout et dans la chambre
de l’autre côté, ces gémissements de femme qu’on étrangle ».

Le Personnage combattant
Jean-Louis Barrault
(photo DR)
Collection A.R.T.
Le spectacle enchanta le
public du Petit Marigny. Les critiques furent ,pour la plupart,
excellentes, tant pour l’auteur que pour le comédien. Jean
Vauthier, lui même, admiratif de son interprète , sut le
remercier dans un joli article : « Le cher Jean-Louis Barrault,
il s’est glissé sous mon œuvre et, ce que j’espérai follement
est arrivé ; une tâche démesurée a été acceptée : un des plus
grands acteurs de ces temps soulève ma pièce ( pièce dite : à un
personnage pendant un temps supérieur à celui d’une pièce
normale ). Ce qui pourrait être considéré comme impossible,
s’accomplit ! ».
Après avoir obtenu le Prix
Ibsen du théâtre, la pièce tint l’affiche toute l’année 1956 et
fut reprise au Théâtre Récamier du 1 octobre 1971 à la fin de
juin 1972.
Le Personnage combattant
décor de Félix Labisse
maquette reconstituée
Collection A.R.T.
Georges Vitaly, nouveau
directeur du Théâtre La Bruyère, décida de monter à la rentrée
de septembre 1961 : Le Rêveur. L’été précédent,
Vauthier était allé le retrouver à Arcachon, pour discuter de la
création de sa pièce. « Jamais, disait-il en parlant de lui, un
auteur ne connut autant de souffrances ». Il est vrai que si
l’on jouait avec enthousiasme ses pièces à l’étranger, Vauthier
n’était guère, à quelques exceptions près, reconnu à Paris comme
un auteur à succès.

Répétition du Rêveur
de gauche à droite :
Monique Delaroche, Jacques Dufilho, Georges Vitaly, Claude Nicot, Jean Vauthier et Paul Gay
fonds Georges Vitaly
(photo DR)
Collection A.R.T.
Jean Vauthier comptait
beaucoup sur Le Rêveur, comédie en deux parties, pour
redorer son blason. Georges, le personnage principal, génie raté
et frénétique, qui, se déchaînant contre lui-même et contre les
autres, particulièrement contre son épouse qu’ il aimait, s’en
prenait cette fois à un producteur de radio, Simon, auquel il
avait raconté, ainsi qu’à la compagne de ce dernier, Laurette,
un de ses « merveilleux rêves ». Il aurait aimé attirer la jeune
femme dans son univers ésotérique et quelque peu sensuel. La
situation devenait vaudevillesque. Mais Laurette aimait son
époux et ce n’était pas Georges qui aurait été capable de
détruire le couple. Simon utilisa l’histoire de Georges pour en
faire le sujet d’une émission banale. « C’est intéressant,
avait-il déclaré à l’auteur. Voyons de joindre l’art au bifteck
(….) Si tu m’aides à retrouver le début et le détail, je te
donne 4% et je mets ton nom au générique ». Pour Georges cette
offre fut une sévère humiliation. Simon, ce cynique
‘’radiocole’’, n’avait donc rien compris à son inspiration. Il
ne méritait que haine et mépris. Comment traduire ce rêve qui
racontait « une nuit merveilleuse. De nombreuses lumières… de
très nombreuses petites lumières clignotant à l’infini devant
moi…partout clignotant, par milliers » pour en tirer une
sordide histoire radiophonique ?

Le Rêveur
dessin de Sennep
Le Figaro
septembre 1961
Collection A.R.T.
Ainsi que le reconnut Georges
Vitaly la « tentative sembla peu probante ». Pourtant, on ne
pouvait dire que le spectacle fut un cuisant échec, puisque la
pièce fut jouée 176 fois , du 13 septembre 1961 au 29 mars 1962.
Cf Quelques pièces
Cahier Renaud – Barrault’’ N° 76 Deuxième semestre 1971
Arts 8 janvier 1956
Georges Vitaly En toute vitalyté – 50 ans de théâtre librairie Nizet 1995