Association de lalogoRégie Théâtrale  
3

Boris Vian, figure de proue de Saint-Germain des Prés

Paris libéré, la France délivrée… Une explosion de joie et de liberté s’empare le jour comme la nuit, du quartier Saint-Germain des Près, point de rencontre d’une jeunesse qui sent naître en elle une ardente soif de vivre. Boris, plus insatiable que tout autre, en est l’un des managers les plus passionnés. Les caves, centre de rencontres clandestines pendant l’Occupation, s’ouvrent alors comme par enchantement et deviennent des lieux de fête où le jazz règne en maître. Il ne se passe pas de soir qu’on ne rencontre Boris Vian au Tabou, puis ensuite au Club Saint-Germain, toujours flanqué de sa trompette.

Boris Vian et Juliette Greco
Boris Vian et Juliette Greco à Saint-Germain des Prés
(photo Paris-Match)

Malgré ses activités nocturnes et musicales, Boris sent naître en lui le besoin d’écrire, d’inventer des histoires. Il rédige son premier roman Vercoquin et le Plancton, fait lire son manuscrit à son ami d’enfance François Rostand, celui-ci le transmet à Raymond Queneau, Secrétaire général des éditions Gallimard. Queneau, très intéressé par le livre ( édité en 1947 ) deviendra l’ami et le protecteur en littérature de Vian.

C’est alors que Boris quitte son emploi d’ingénieur à l‘Afnor. Donna-t-il sa démission, fut-il licencié ? Mystère… Toujours est-il qu’il abandonne la Normalisation pour entrer à l’Office Professionnel des Industries et des Commerces du Papier et du Carton. Le travail , mieux rémunéré, est peu prenant. Boris a tout son temps pour écrire à sa guise et il ne s’en prive pas. Il entreprend un second roman qui deviendra L’Écume des Jours. En 1946, c’est la rencontre au café de Flore de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Boris est invité à entrer dans l’équipe de la revue Les Temps Modernes que dirige le philosophe

Débuts tumultueux d’un écrivain

Aux vacances 1946, Boris fait la connaissance de Jean d’Hallouin, frère de l’un des musiciens du groupe musical de Claude Abadie. Jean d’Hallouin est un jeune éditeur qui n’arrive pas à s’imposer. Or la mode du roman noir américain triomphe à Paris Pas d’orchidée pour Miss Blandisch signé J.H Chase fait la fortune des éditions Gallimard qui viennent de lancer avec beaucoup de succès, une nouvelle collection policière : La Série Noire. Jamais à court d’idées, Boris Vian propose alors à son ami  de lui fabriquer un best seller en dix jours. Et le canular est lancé… Le roman, dans lequel la violence le dispute à l’érotisme, se présente comme la traduction, signée Boris Vian, de l'ouvrage d’un certain Vernon Sullivan, un auteur noir américain. L’œuvre aurait été refusée aux U.S.A parce que trop anti-raciste et trop libertine. Le livre est publié par Jean d’Hallouin sous le titre de J’irai cracher sur vos tombes. Un nègre « blanc », n’ayant que quelques gouttes de sang noir dans les veine, veut venger son demi-frère de couleur. Pour cela, il abuse et étrangle des jeunes filles de race blanche. Tout d’abord, la critique se montre discrète. Mais quatre mois après le lancement du livre, un certain Daniel Parker, vertueux directeur du Cartel d’Action Sociale et Morale, attaque l’ouvrage devant les tribunaux pour incitation à la débauche et obtient de ce fait l’appui d’une association d’anciens combattants de 14-18. M. Parker fait son entrée dans le monde littéraire, Boris Vian aussi ! Deux mois après cette accusation on apprend par la presse que, dans hôtel du quartier Montparnasse, un représentant de commerce a étranglé sa maitresse et qu’à côté du cadavre on a découvert le livre de Vernon Sullivan ouvert à la page où le héros trucide une de ses victimes. J’irai cracher sur vos tombes devient alors «  le roman qui tue ». M. Parker redouble ses accusations et le roman triple ses ventes : c’est la razzia chez les libraires, on s’arrache le livre-homicide.

J'irai cracher sur vos tombes
J'irai cracher sur vos tombes
Dessin de Jean Boullet
Édition originale

Profitant de cette publicité, toujours sous le couvert du nom de Vernon Sullivan, Boris décide d’adapter à la scène son ouvrage : un scandale pour la R.A.T.P. qui refuse de placarder, dans ses stations et ses couloirs, les affiches au titre scandaleux. Mais qu’importe, le 23 avril 1948, au théâtre Verlaine, le rideau se lève sur la première réplique de J’irai cracher sur vos tombes. Le public est déçu, il se sent frustré. Il s’attendait à assister aux scènes érotiques du roman. Mais en 1948, il n’était pas envisageable de les réaliser sur un plateau. « Le rideau tombe habilement au moment où… disons : ça allait devenir intéressant. De sorte que l’essentiel… si essentiel il y a, se passe pendant les entractes ». 1 Certes Vian avait amplement développé le côté racial et social du sujet. Mais, à la vérité, ce n’était pas pour en discuter que le public était venu !

Harcelé de toutes parts au sujet de ce Sullivan, cet auteur invisible, Boris s’enfonce de plus en plus dans l’affabulation. Toute cette agitation, jointe à la fatigue des nuits de trompettiste, l’épuise, son cœur le lâche parfois dans un étouffement, il est souvent sur le point d’ avouer son canular. Mais ce serait renoncer à toute la publicité , source de bénéfices financiers et Boris vient d’être licencié de l’Office du Papier - la direction supportait mal les extravagances de son ingénieur. Alors… alors… alors… il tient jusqu’aux vacances d’été, passées au Cap d’Antibes chez ses amis Bokanovski, puis reconnaît enfin être le vrai et le seul auteur de J’irai cracher sur vos tombes. Il passe alors pour un petit farceur auprès de public et commence pour lui le temps des vaches maigres .

En dépit de son aveu, le procès engagé par M. Parker se poursuit et Boris sera condamné par la 17ème chambre du tribunal correctionnel de la Seine à cent mille francs d’amende pour outrage aux mœurs et saisie du roman ainsi qu’un second Les Morts ont tous la même peau que Vian avait également signé du nom de Vernon Sullivan.

1 Libération Pierre Lagarde 24 avril 1948

Haut de page

retour suite
Table des matières

la mémoire du théâtre