En dépit de la naissance de leur second enfant, une petite fille Carole, née le 16 avril 1948, le couple Boris et Michelle se désagrège chaque jour davantage. L’amour romantique de leurs dix huit ans se transforme peu à peu en une amitié disons compréhensive. Boris papillonne de ci de là. Michelle, une intellectuelle, se rapproche chaque jour de Jean-Paul Sartre auquel elle voue une admiration sans borne. La rupture se précipite quand, le 6 juin 1950, Boris fait la connaissance d’une jeune danseuse de vingt-deux ans du ballet de Roland Petit, Ursula Kubler, qui vient de rompre une aventure amoureuse sans espoir. Rencontre furtive. Si le coup de foudre n’est pas au rendez-vous, nait une complicité affectueuse. Mais Ursula et Boris, échaudés par une expérience malheureuse, n’osent pas s’engager dans une nouvelle histoire de cœur. Boris a huit ans de plus qu’Ursula, il est encore marié , il est père de famille et par dessus tout il est malade.
Pour subvenir il écrit des articles sous des pseudonymes divers. Albert Camus l’engage à Combat, il signe également quelques papiers dans Samedi Soir et France Dimanche et entreprend la rédaction du Manuel de Saint-Germain-des-Près qui ne sera édité qu’en 1974. Toujours présente, Ursula sait l’écouter, le comprendre et l’aimer. Quelques mois plus tard, début 1951, ils s’installent tous deux dans une chambre de bonne du boulevard de Clichy. Boris demande le divorce à ses torts puis commence la rédaction de deux nouvelles comédies : Tête de Méduse, son premier vaudeville et Le Goûter des Généraux, sa pièce la plus corrosive, une caricature d’officiers supérieurs de l’armée française qui sous sa plume de l’auteur se montrent de vieilles ganaches gâteuses et abruties.
En avril 1952, nouveau succès pour Boris Vian. C’est à la Rose Rouge cette fois. Le cabaret-théâtre de la rue de Rennes, très à la mode, attirait une clientèle fière d’être mêlée à des personnalités du monde artistique, Jacques Prévert, Gérard Philipe, Louis Aragon, Maria Casarès, Simone Signoret, etc… pour applaudir les numéros de jeunes artistes inconnus, chanteurs, comédiens qui devenaient en quelques semaines de véritables vedettes. On y acclamait Les Frères Jacques, Francis Lemarque, Jacques Douai, Jacques Dufilho, Mouloudji, Jean Ferrat… Le 4 avril, Yves Robert et sa compagnie présente Cinémassacre, texte de Boris Vian dans des décors et costumes de Jean-Denis Malclès. Il s’agit de l’histoire d’amour d’un homme et d’une femme qui se rencontrent dans un bar. La scène est traitée successivement à la manière de C.B. de Mille, de Jacques Prévert et Marcel Carné, d’A. Hitchcock, de V. de Sica, de Ch. Chaplin, etc... Le spectacle fut un triomphe. Après la quatre centième représentation, le succès n’étant pas épuisé, Jacques Canetti affichera Cinémassacre dans son cabaret des Trois Baudets pendant encore une saison .

Mademoiselle Julie
L 'Équarrissage pour tous
Texte intégral des deux pièces
Paris-Théâtre n°66 1952
( Bibliothèque historique de la ville de Paris )
La rentrée théâtrale de 1952, Jean-Marie Serreau, directeur de l’éphémère et néanmoins prodigieux petit théâtre de Babylone présenta pour la première fois en France, le chef d’œuvre d’August Strindberg : Mademoiselle Julie. Ce fut Boris Vian qui en assura l‘adaptation. Il prit un grand plaisir à ce travail. Très satisfait, Jean-Marie Serreau confia à Boris en mai 1953 l’adaptation d’un autre de ses spectacles L’Incendie à l’Opéra, drame inconnu de l’allemand Georges Keiser.
Au mois de janvier était sorti en librairie L’Arrache Cœur, ouvrage qui passa totalement inaperçu. Profondément découragé, Boris décide alors d’abandonner la carrière de romancier.
Dans le même temps Boris et Ursula se marièrent, quittèrent leur chambre de bonne et s’installèrent définitivement 6 bis, cité Véron , au pied du Moulin de la Galette. À quelques mois de là, Jacques Prévert et son épouse s’établiront dans le voisinage et les deux couples se lieront d’amitié.
Boris se remet à l’écriture théâtrale. Il s’agit tout d’abord d’un pastiche de tragédie, trois actes et en vers : Serie Blème puis quelques mois plus tard du livret d’une comédie musicale Le Chasseur Français.
Grâce à Jean-Marie Serreau, Boris Vian fit la connaissance de Jo Tréhard, directeur du Festival de Caen. Ce dernier avait pour dessein de monter un spectacle sur le thème des Chevaliers de la Table Ronde. Il se confia à B. Vian qui s’enticha du projet annoncé grandiose. À l’intérieur du château de Caen, Boris avait à sa disposition un plateau de mille huit cents mètres carrés sur lequel évoluerait une distribution très importante : trente cinq comédiens et cent cinquante figurants. Dans l’immense cycle de la Table Ronde, Boris choisi pour thème les amours de la Reine Guenièvre, épouse du roi Arthur, et de Lancelot. Il intitula son œuvre Le Chevalier de Neige. Jo Tréhard assura la mise en scène, Georges Delerue composa la musique et François Ganeau dessina les décors et costumes. Le succès fut à la hauteur des espérances de chacun. Après les représentations, debout dans les nuit de juillet, les dix mille spectateurs ne pouvaient s’arracher du spectacle.

Le Chevalier de Neige
décor de François Ganeau
in Les décorateurs de Théâtre de Raymond Cogniat 1955
Coll. part.
Son talent, fort apprécié par Raymond Queneau et par Jacques Prévert, B. Vian eut la joie d’être nommé, le 11 mai 1953, membre du corps des Satrapes du Collège de Pataphysique. Il considéra cette nomination comme un véritable honneur.
6bis, cité Véron est devenu le musée de Boris Vian
Le Collège de Pataphysique, créé en 1948, a pour but de parodier les théories et les méthodes des sciences modernes. Alfred Jarry en est considéré comme le fondateur. Les membres principaux en sont Raymond Queneau, Jacques Prévert, Marcel Duchamp, etc.